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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

16 mars 2024 6 16 /03 /mars /2024 17:18

Depuis le milieu du mois de janvier 2024, j'ai entamé quelques réflexions sur la situation géopolitique européenne. Engagé dans un nouveau défi professionnel, j'ai eu moins de temps pour écrire que je ne l'aurais souhaité et la rédaction de l'article que vous découvrirez ci-dessous m'a pris bien plus de temps que je ne l'escomptais initialement, l'actualité politique rattrapant ma réflexion, comme lorsque Donald J. Trump commença à menacer ouvertement d'abandonner ses alliés s'il était réélu. J'ai cependant persévéré et j'en ai terminé la rédaction le 2 mars dernier.

Après en avoir proposé la publication sur le site de mon parti, la Gauche Républicaine et Socialiste, j'ai finalement décidé de le soumettre à l'équipe du média Le Temps des Ruptures, une bande de jeunes gens aux convictions solides et intelligents ; je remercie chaleureusement Hugo Guiraudou et Chloé Petat et toute l'équipe de rédaction qu'ils animent pour avoir accepté la publication sur leur site de ce très long article, chose faite le 13 mars dernier. Je remercie également Benjamin Morel qui m'a encouragé à aller au bout de la rédaction et à ne pas abandonner l'idée de le publier. Je remercie enfin mon cher ami Mathieu Pouydesseau pour sa relecture et nos conversations.

Bonne lecture,
Frédéric Faravel

Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) de Bezons
Animateur national du pôle Idées, Formation & Riposte du collectif de direction de la GRS

Source photo : Gavriil Grigorov / Pool Photo pour l'interview de Poutine ; Margot Lhermitte pour le portrait de Frédéric Faravel

Source photo : Gavriil Grigorov / Pool Photo pour l'interview de Poutine ; Margot Lhermitte pour le portrait de Frédéric Faravel

Dans moins de trois mois et demi, les électeurs européens seront appelés aux urnes… et ils le feront dans un contexte géopolitique qui n’a jamais été aussi tendu depuis la fin des années 1990. Au-delà des processus internes des vies politiques nationales, cette ambiance anxiogène n’est pas sans influence sur la campagne électorale qui commence.

Et alors qu’Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne sortante (recyclée dans ce poste par Angela Merkel qui tentait de se débarrasser de sa ministre de la défense empêtrée dans des accusations de conflits d’intérêts et de favoritisme sur des millions de contrats de consultants d’incompétence) vient d’annoncer qu’elle était candidate au renouvellement de son mandat – le président de la Commission européenne est élu pour un mandat de cinq ans par le Parlement européen sur proposition (à la majorité qualifiée) du Conseil européen –, il est bon de se souvenir qu’elle avait appelé dès 2020 à l’émergence d’une Europe « plus géopolitique ». Une affirmation plutôt cocasse pour une dirigeante politique qui sur l’économique, le numérique et le géostratégique a toujours fait preuve d’un alignement total sur les États-Unis d’Amérique. Sur les questions énergétiques, elle s’est alignée soit sur la Russie soit sur d’autres dictatures tout aussi impérialistes, comme l’Azerbaïdjan.

Une naïveté stratégique et idéologique qui pourrait bien s’avérer devenir un aveuglement coupable : Vladimir Poutine a organisé sa capacité à maintenir le conflit ukrainien dans la durée, au moment où le soutien matériel et financier des Occidentaux à l’Ukraine commence lui-même à faiblir. C’est l’une des explications des revers récents des troupes ukrainiennes dans la guerre de position qui les opposent à l’armée du Kremlin. Le jusqu’au-boutisme d’une partie des parlementaires républicains au Congrès américain joue également dans cette pénurie de matériel et de munitions que subissent les Ukrainiens et donne un avant-goût de ce qui pourrait advenir de l’alliance américaine après l’élection présidentielle de novembre prochain, que Trump soit à nouveau élu … ou pas.

LE PAYSAGE POLITIQUE EUROPÉEN VA-T-IL ÊTRE BOULEVERSÉ ?

Si l’on s’en tient à l’état des sondages dans les différents États membres de l’Union européenne, les équilibres politiques au sein du Parlement européen vont évoluer, mais sans chambardement spectaculaire. En réalité, l’Union européenne a d’ores-et-déjà glissé vers la droite et les élections européennes ne seront qu’une confirmation de cette situation politique.

À l’extrême droite, la somme des groupes European Conservatives and Reformists – qui rassemble les ultra-conservateurs polonais du PiS, Fratelli d’Italia de Georgia Meloni, Reconquête, Vox ou l’extrême droite suédoise – et Identité & Démocratie – c’est le groupe initié par le Rassemblement national de Marine Le Pen avec le PVV de Geert Wilders, la Lega de Matteo Salvini, le FPÖ autrichien et Alternativ für Deustchland (AfD) – devrait passer de 18 à un peu plus de 24%… on s’attend dans les rapports de force entre ses deux groupes à un rééquilibrage entre les deux extrêmes droites italiennes au profit du parti néofasciste de la première ministre, mais surtout à un doublement du score de l’AfD – dont les orientations l’alignent de plus en plus sur une ligne néo-nazie – passant de 11 à 22/23%. Vox pour ECR et Chega (Portugal) pour ID devraient également progresser, alors que le Rassemblement national pourrait passer de 23% (score de 2019) à 27 voire 30% (Reconquête étant testé à 7-8%). À ces deux groupes parlementaires, il faut ajouter le parti de l’insubmersible premier ministre hongrois Viktor Orban qui a quitté les conservateurs du PPE en 2021, qui devrait conserver leur douzaine d’eurodéputés sans que l’on sache où ils atterriront. Enfin, parmi les députés non inscrits, on compte aussi des membres de l’extrême droite (parfois de la pire obédience comme les néonazis grecs d’Aube dorée) qui devraient encore représenter autour de 3% du parlement européen.

Les conservateurs du PPE (démocrates chrétiens allemands, néerlandais et autrichiens, LR en France, conservateurs espagnols et grecs, centre droit portugais, centristes et berlusconistes italiens, libéraux polonais et irlandais) devraient se maintenir autour de 25%. Renew Europe (libéraux européens, macronistes et conservateurs irlandais) passeraient de 14 à 11,5%.

À gauche, rien de réjouissant, le groupe social-démocrate (S&D) passerait sous la barre des 20%, le groupe des écologistes pourrait perdre au moins un tiers de ses députés. Par ailleurs, il s’agit du groupe qui est le moins cohérent politiquement du parlement européen, 1/3 de ses membres ne sont pas écologistes. Quant à la gauche radicale, elle se maintiendrait autour de 6% sans garantie à ce stade que le nouveau parti de Sahra Wagenknecht en Allemagne décide de siéger dans le même groupe parlementaire que ses « frères ennemis » de Die Linke.

sources : netpublic.fr (février 2024), je n'aboutis pas forcément aux mêmes conclusions qu'eux...

sources : netpublic.fr (février 2024), je n'aboutis pas forcément aux mêmes conclusions qu'eux...

La plupart des observateurs européens s’accordent pour le moment sur le fait que la triade PPE-S&D-Renew – la Grande Coalition européenne – disposerait toujours d’une majorité, mais une nouvelle croissance des ECR et de l’I&D pourrait “tenter” le PPE de se tourner vers la droite : en effet, PPE, ECR, I&D et un certain nombre de non-inscrits disposeraient théoriquement de la majorité au parlement européen. Cependant, il faut noter que l’extrême droite européenne ne constitue pas un bloc – si elle défend dans chacun des pays dont elle est issue des agendas ultra-conservateurs et réactionnaires (parfois mâtiné de « populisme social »), les partis qui la composent n’ont vis-à-vis des institutions européennes, de la monnaie unique ou de la politique extérieure pas les mêmes orientations et parfois au sein du même groupe : Georgia Meloni fait partie des dirigeantes européennes qui soutiennent le plus fortement (en discours) l’Ukraine, quand le dernier mois du gouvernement du PiS en Pologne a été marqué par un lâchage militaire complet de l’allié ukrainien.

Mais s’il est possible d’envisager que le PPE abandonne sa stratégie traditionnelle d’une coalition centriste, c’est que la porosité programmatique entre ses membres et les partis d’extrême droite n’a jamais été aussi forte. Certains partis membres du PPE débattent aujourd’hui plus ou moins ouvertement d’un rapprochement national avec leurs homologues d’extrême droite. En l’occurrence, dans certains États membres de l’Union européenne, l’extrême droite est au pouvoir avec le soutien de la droite (PPE) et inversement.

Sans parler du cas particulier du Fidesz hongrois, qui n’a pas besoin d’alliés pour gouverner depuis 2010, Georgia Meloni dirige le gouvernement italien depuis fin 2022 avec le soutien de la droite et du centre. D’ici quelques mois, le PVV néerlandais pourraient diriger un gouvernement avec le soutien d’un nouveau parti de droite affilié au PPE, des libéraux et des « agrariens ».

Le parti des « Vrais Finlandais », membre de I&D, participe au gouvernement de droite ; le gouvernement minoritaire de droite dirige la Suède depuis octobre 2022 avec le soutien sans participation des Démocrates (extrême droite suédoise, ECR), qui sont en même temps le premier parti de la coalition.

C’est aujourd’hui vers l’Allemagne et l’Espagne que se tourne les regards. Le patron de la CDU Friedrich Merz développe des considérations assez nébuleuses sur les relations que les Unions Chrétiennes devraient entretenir avec l’AfD, au point de faire passer le patron de la très conservatrice CSU bavaroise pour la meilleure pièce du cordon sanitaire (avec des lignes rouges sur l’OTAN et la construction européenne – c’était avant de connaître le projet de « remigration » et de déchéance massive de nationalité échafaudé par l’AfD). En Espagne, le socialiste Pedro Sanchez (après son pari très risqué d’élections législatives anticipées fin juillet) a péniblement rassemblé une majorité aux Cortès autour de sa coalition avec Sumar (PGE). Mais cet attelage est fragile et les concessions faites aux nationalistes catalans de Junts (si formelles et peu inédites soient-elles) ont terriblement tendu le débat politique ibérique. Le Parti Populaire espagnol sait qu’il ne peut reprendre le pouvoir qu’avec le soutien de Vox (ECR), solution qui peut avoir un effet repoussoir, mais semble mieux acceptée qu’un éventuel soutien au Portugal de Chega ! (I&D) à une coalition de droite en cas de victoire « relative » de celle-ci aux élections législatives anticipées portugaises qui se tiendront le dimanche 10 mars 2024.

Dans tous les cas, au Parlement européen comme au Conseil européen, les débats sur les enjeux géopolitiques risquent d’être bien plus serrés et agités qu’ils ne le sont aujourd’hui : le Conseil européen compte déjà deux gouvernements ouvertement conciliant avec le Kremlin, la Hongrie et la Slovaquie ; le gouvernement de droite chypriote est régulièrement accusé de ne pas appliquer les sanctions contre les oligarques russes ; ils seront sans doute rejoints par Geert Wilders dans quelques semaines. Et avec une droite et des sociaux-démocrates dans un état de sidération face aux enjeux géostratégiques, Vladimir Poutine ne manquera pas d’instrumentaliser les peurs et d’encourager les abandons pour favoriser les partis membres du groupe I&D, aux élections européennes comme aux élections nationales, qui semblent lui être plus favorables que toutes les autres familles politiques de l’Union.

Giorgia Meloni et Marine Le Pen en 2015. © Alessandro Serrano/AGF/Sipa

Giorgia Meloni et Marine Le Pen en 2015. © Alessandro Serrano/AGF/Sipa

POUTINE PLEIN D’ASSURANCE

La Russie s’est organisée en adoptant une économie de guerre et des programmations budgétaires pluriannuelles pour renforcer son effort militaire en Ukraine et son contrôle politique et policier sur les territoires qu’elle a de fait arrachés à l’Ukraine en 2014 puis en 2022. Les Européens et les Américains avaient averti pendant des semaines en 2021 et 2022. Si la Russie envoyait ses soldats en Ukraine, elle verrait s’abattre, selon Joe Biden, « des sanctions jamais vues ». Le pays est bien devenu en quelques mois le plus sanctionné de la planète. Mais en deux ans, Moscou s’est adapté en cherchant toujours de nouveaux moyens pour contourner les rétorsions.

La lenteur, la progressivité et la portée limitée des premières sanctions contre le Kremlin (même après le début de l’invasion) ont permis à la Russie de réorienter ses circuits commerciaux vers la Turquie, l’Asie centrale et la Chine. Ainsi, les exportations vers l’Asie sont passées de 129 milliards de dollars entre janvier et octobre 2021 à 227 entre janvier et octobre 2023, tandis que celles destinées à l’Europe dégringolaient, elles, de 170 à 65 milliards de dollars sur les mêmes périodes. La tendance est similaire pour ce qui concerne les importations russes. L’autre immense voisin de la Russie, l’Inde, a quant à lui quintuplé ses importations de pétrole russe entre 2021 et 2022. Bien que dans une moindre mesure, la hausse s’est poursuivie en 2023. L’Inde est désormais le deuxième consommateur au monde du brut russe, derrière la Chine. Notons que le commerce avec la Turquie, pourtant membre de l‘OTAN, est l’une des portes d’entrée pour maintenir aussi des importations de matériels européens. 

Le Kremlin exploite un autre angle mort des sanctions en se tournant vers les produits qui y échappent. C’est le cas par exemple du gaz qui, contrairement au pétrole, ne fait pas l’objet de sanctions. Si les principaux oléoducs qui reliaient l’Union européenne à la Russie se sont quasiment taris suite aux coupures décidées par Moscou au début de la guerre, le gaz naturel liquéfié (GNL) russe, dont le transport se fait par la mer via des navires méthaniers, continue d’inonder le Vieux Continent. Les Vingt-Sept ont quasiment multiplié par deux leurs importations entre début 2021 et début 2023. C’est d’ailleurs l’une des causes des conflits entre le chancelier allemand Scholz et le président français Macron, l’un voulant maintenir ces 13 milliards de revenus pour la Russie, l’autre fermer aussi ce robinet pour faire avancer son dossier nucléaire. 

Enfin, certaines entreprises occidentales continuent à faire du commerce en Russie sous les radars, flirtant avec l’illégalité. Leur nombre reste inconnu à ce jour, mais une enquête du média Disclose a par exemple accusé Decathlon d’avoir mis en place un « système opaque » pour poursuivre ses activités en Russie alors que l’entreprise française avait officialisé son départ en octobre 2023.

Par ailleurs, en février 2022, l’Union a adopté un embargo sur l’exportation vers la Russie de « biens à double usage » (1). Mais cette interdiction est assortie d’exceptions qui la rendent inopérantes : les industriels peuvent continuer à exécuter des contrats mis en place avant l’embargo – certains défendent encore cette « clause du grand-père » nous expliquant que s’y jouerait la crédibilité et la fiabilité de nos industriels vis-à-vis de nos clients internationaux… quand on tue des dizaines de milliers d’Ukrainiens et que notre crédibilité diplomatique et politique est en jeu, le « grand-père » a bon dos ! Les dérogations portent notamment dans le domaine des télécommunications, du spatial et du nucléaire civil.

Mais la mise en œuvre des sanctions et les poursuites en cas de contravention sont laissées à la charge des États membres de l’UE. En France, aucune poursuite récente n’a pour l’instant été mise en œuvre pour contravention aux mesures de sanctions économiques, en tout cas rien qui n’ait été rendu public. L’augmentation des sanctions économiques est un phénomène récent et les autorités de poursuite au sein des États de l’UE y étaient peu préparées. Mais en réalité, si les sanctions n’ont pas un effet aussi fort qu’escompté, cela résulte avant tout de choix politiques et de l’hypocrisie des dirigeants européens : les intérêts économiques priment, les Européens ferment les yeux sur la provenance du pétrole acheté en Inde, parce qu’ils considèrent que ce pétrole est indispensable pour nos économies, avec l’idée que nos sociétés ne pourraient le supporter, ce qui est sujet à caution puisqu’il reste largement possible de se fournir en pétrole sans acheter des barils russes camouflés.

Les dirigeants européens se sont bien gardés de sanctionner tous les secteurs économiques avec la Russie - Le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, à Bruxelles le 31 mai 2022  afp.com/Kenzo TRIBOUILLARD

Les dirigeants européens se sont bien gardés de sanctionner tous les secteurs économiques avec la Russie - Le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, à Bruxelles le 31 mai 2022 afp.com/Kenzo TRIBOUILLARD

Les sanctions ont-elles un effet sur les Russes et l’économie russe ? Les Moscovites soulignent volontiers qu’après le mouvement de panique et de spéculation des premières semaines, lorsque de vieux modèles d’ordinateurs portables se vendaient à prix d’or, et hormis la fermeture d’Ikea et de quelques autres enseignes, la vie n’a guère changé dans une capitale dont le maire a été largement réélu en septembre 2023, et qui ne cesse d’investir dans l’urbanisme ou de nouvelles infrastructures de transport.

Bien sûr, les 13 millions d’habitants de l’agglomération de Moscou ne sont pas toute la Russie, mais ce sont eux qui pourraient être les plus sensibles aux changements de mode de vie découlant des sanctions. Une partie de l’opposition russe en exil insiste sur une levée partielle des sanctions à l’égard de certains hommes d’affaires s’étant prononcés contre la guerre, et tente de persuader les dirigeants occidentaux que seule une division au sein des élites russes serait à même de miner de l’intérieur le régime de Vladimir Poutine et de mettre fin à la guerre en Ukraine. Mais comme pour les poissons volants, ce type d’oligarques n’est pas la majorité de l’espèce et de loin, on peut donc s’interroger sur la pertinence de cet argument. Le régime tient d’autant plus facilement que des dizaines, peut-être des centaines de milliers de Russes ont quitté le pays en février puis en septembre 2022 fuyant la mobilisation, l’atmosphère étouffante du patriotisme officiel ou le risque de marasme économique. Ils forment une émigration sans précédent depuis celle ayant suivi la révolution de 1917.

La société russe est baignée dans une propagande médiatique intensive depuis plus de 10 ans, la réécriture de l’histoire a créé une multitude de « zones grises » faites de renoncements progressifs, de consentements et de compromis qui, même pour celles et ceux qui ne sont pas indifférents, rendent très difficile l’expression de positions de rupture. Il y avait près de 500 000 prisonniers dans le système pénitentiaire russe avant le déclenchement de l’opération spéciale ; ce chiffre aurait baissé de moitié selon le vice-ministre de la Justice Vsevolod Vukolov. Selon le média indépendant Mediazona, le Service pénitentiaire fédéral russe a cessé de publier des statistiques mensuelles après avoir rapporté en janvier 2023 que le déclin de la population carcérale russe « avait pris fin ». Cette interruption est intervenue après que des données ont dévoilé que la population carcérale masculine avait baissé de 23 000 personnes en l’espace d’un mois. Or les forces russes en Ukraine dépendent fortement « des prisonniers arrachés » des centres pénitentiaires. Une pratique qui avait été lancée par « Wagner » et Evgeni Prigojine. Les prisonniers s’étaient rendus très utiles dans la conquête de la ville de Bakhmout. Dans ces conditions, ceux qui restent dans le système carcéral où Alexeï Navalny a trouvé la mort, sont soit inaptes pour le combat, soit si opposés au régime qu’il serait peu sûr de les envoyer au front même pour en faire de la chair à canon. D’autres sources indiquent par ailleurs que le système répressif s’est emballé au niveau qui régnait sous Brejnev : condamnés à de lourdes peines, de simples citoyens opposés à la guerre en Ukraine rejoignent par dizaines la liste des prisonniers politiques. Comme à l’époque soviétique, les tribunaux recourent aussi à la psychiatrie punitive. Si l’on a pu voir quelques milliers de personnes courageuses rendre hommage à l’opposant libéral-nationaliste, comment réellement exprimer une opposition en Russie ? Comment même obtenir des informations précises sur la réalité économique vécue par les Russes en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg ?

Des milliers de personnes sont venues rendre un dernier hommage à l'opposant. Moscou, le 1er mars 2024. © RFI / Anissa El Jabri

Des milliers de personnes sont venues rendre un dernier hommage à l'opposant. Moscou, le 1er mars 2024. © RFI / Anissa El Jabri

La contre-offensive n’a pas donné les résultats qu’espérait l’Ukraine et un certain nombre d’incertitudes politiques s’accroissent en Europe et aux États-Unis qui pourraient conduire à un affaiblissement du soutien occidental : à moyen et long termes, le temps joue militairement en faveur du Kremlin… Une défaite de l’Ukraine conduirait à un effondrement du droit international car elle couronnerait la loi du plus fort et le « droit de conquête » sur des territoires impliquant plusieurs dizaines de millions d’habitants ; elle provoquerait également des réactions de panique politique à l’Est de l’Europe, dont personne ne peut à ce stade mesurer les conséquences.

Aussi, Vladimir Poutine s’affiche plus que jamais décomplexé. Cela fait longtemps que la Russie n’a plus de démocratique que des attributs formels. Ainsi des élections, aussi peu compétitives dans leur déroulement que faussées dans leurs résultats. Elles continuent pourtant de rythmer la vie politique, y compris lorsque le pouvoir organise un scrutin local dans les territoires occupés d’Ukraine, qu’il est pourtant loin de contrôler entièrement. Comme dans tout régime autoritaire, ces rendez-vous électoraux sont d’abord destinés à tester la bonne marche des rouages administratifs et à s’assurer de la loyauté des fonctionnaires, tout autant qu’à confirmer des élus auprès de l’opinion ou de pays alliés. Ce sera de nouveau le cas lors du scrutin présidentiel programmé pour mars 2024 où le système se paie encore le luxe sous vernis institutionnel de refuser les candidatures légèrement contestataires qui pourraient recueillir un minimum d’écho.

La confiance du chef du Kremlin est telle que, le 9 février dernier, il a accordé un entretien exclusif à Tucker Carlson(2), ancien présentateur de Fox News qui anime désormais des émissions sur internet, dont le public s’identifie au cœur de l’électorat trumpiste. Il ne fait pas de doute que cette opération vise à exercer, comme en 2016 et en 2020, une influence sur l’élection présidentielle US de novembre prochain en consolidant dans l’électorat populaire républicain une lecture du monde qui encourage sa mobilisation et, surtout, aille dans le sens des intérêts de Vladimir Poutine. L’entretien recèle de quelques informations utiles pour comprendre le dictateur et son raisonnement (si ce n’est sa psychologie). Interrogé sur les causes de la guerre en cours, Poutine a catégoriquement rejeté l’idée que la « menace de l’OTAN » ait justifié son intervention : selon lui, la Russie n’a jamais été menacée par l’OTAN et il s’est permis de bâcher le journaliste en lui disant qu’il espérait des questions sérieuses. S’il dénonce le fait que l’OTAN n’aurait jamais respecté aucun accord et a refusé toute coopération avec la Russie et son entrée dans l’alliance, il insiste sur le fait que cela ne constituait pas une menace et n’est pas la cause de la guerre. Ceux qui, depuis deux ans, relayant les arguments pro-Kremlin, nous expliquent l’inverse vont devoir réviser leurs éléments de langage.

Qui donc serait responsable ? Visiblement il s’agit de l’Union européenne (n’oublions pas qu’il s’adresse à un public américain dont il recherche les bonnes grâces) : l’accord de commerce avec l’Europe ne pouvait que se traduire par une fermeture par la Russie des liens commerciaux et industriels avec l’Ukraine et donc la ruine des entreprises de ce pays (la Russie est vraiment trop généreuse de se préoccuper ainsi de la santé des entreprises ukrainiennes). L’accord aurait été imposé par le coup d’État américano-nazi (les Américains ne sont donc pas totalement blanchis) qui a déposé le Président Ianoukovitch alors que celui-ci prétendait organiser des élections. Rappelons les faits : c’est Ianoukovitch qui avait engagé dès 2010 les négociations commerciales avec les Européens, ces négociations butaient sur l’autoritarisme politique du président ukrainien qui avait une tendance avérée pour jeter en prison ses opposants ou les placer en résidence surveillée. L’Union européenne exigeait donc pour conclure l’accord la fin de ces mesures coercitives. La rupture des négociations (Ianoukovitch annonçant en parallèle une nouvelle volte-face pour se réaligner sur la Russie) et l’insatisfaction des Ukrainiens provoquèrent ce qu’on appela l’Euro Maïdan, la destitution de Ianoukovitch par un vote à 70% de la Rada en février 2014, la convocation de nouvelles élections où l’extrême droite ne fait que 5% des suffrages.

Entretien accordé par Vladimir Poutine à Tucker Carlson le 6 février 2024 à Moscou - Source photo : Gavriil Grigorov / Pool Photo

Entretien accordé par Vladimir Poutine à Tucker Carlson le 6 février 2024 à Moscou - Source photo : Gavriil Grigorov / Pool Photo

C’est là que le Kremlin organisa la sécession de morceaux des oblasts de Lougansk et du Donbass ; la volonté d’en reprendre le contrôle est aujourd’hui présenté par Poutine comme une attaque des Ukrainiens contre les Russes. L’intervention russe dès 2014 à l’Est de l’Ukraine, l’invasion de février 2022 et la guerre qui s’en suit depuis n’ont donc de l’aveu même de Poutine à ce journaliste américain qu’un seul but : protéger tous les Russes, car l’Ukraine n’existe pas. La première moitié de l’entretien, près d’une heure, est intégralement consacrée à ses divagations sur l’histoire de la Russie, qui doivent être prises au sérieux : Vladimir Poutine leur a consacré un essai dont la lecture est obligatoire dans les forces armées. Les différents dirigeants occidentaux se sont régulièrement étonnés que l’essentiel de leurs conversations avec Poutine dans les premières semaines de la guerre soient consacrées à ce sujet. La vision historique de Poutine équivaudrait à adopter pour la France celle d’Éric Zemmour : l’Italie du Nord aurait dû être française, le pouvoir de Charlemagne, François Ier et Napoléon Ier le démontre. Si ce dernier semble encore avoir bonne presse auprès des Milanais, on peut douter qu’ils rêvent d’être Français.

Pire, Poutine va alors faire référence à Hitler – j’ai régulièrement essuyé dans des discussions l’argument du Point Godwin quand j’expliquais que, d’un point de vue géostratégique, la démarche des deux dirigeants étaient apparentée pour ne pas être soufflé quand c’est Vladimir Poutine qui se dénonce lui-même. Selon lui, Hitler souhaitait seulement réunifier les terres allemandes et en refusant de les céder pacifiquement comme il le lui demandait poliment, la Pologne l’a obligé à l’attaquer et porte la responsabilité de la seconde guerre mondiale. Il s’agit évidemment d’un parallèle justifiant l’invasion de l’Ukraine pour récupérer des « territoires russes », ça n’en reste pas moins sidérant. Pour Poutine, il serait également légitime que la Hongrie retrouve ses territoires perdus au profit de l’Ukraine en 1945(3). Tucker Carlson aurait alors bien voulu interrompre le maître du Kremlin pour passer à un autre sujet : il s’interrogea alors à voix haute si la comparaison est bien pertinente. Pourtant cela n’a rien d’un dérapage : la proximité avec Hitler fait désormais partie du récit poutinien ; le pacte Molotov-Ribbentrop est d’ailleurs réhabilité face à un monde anglo-saxon déloyal et la seule faute d’Hitler est de l’avoir violé en envahissant la Russie.

2024, ANNÉE GÉOPOLITIQUE PÉRILLEUSE POUR LA FRANCE ET LES EUROPÉENS

Le Kremlin dirige une nation profondément pacifique : ainsi apprend-on qu’un accord de paix aurait été signé en mars 2022 à Istanbul, mais que Zelensky poussé par Biden et Boris Johnson aurait repris les hostilités. Tout est donc de la faute des Ukrainiens et des Occidentaux qui détestent la Russie orthodoxe par pur rationalisme économique : c’est la théorie du complot russe, le « milliard d’or », selon laquelle il existe un plan de l’Occident pour dominer le monde et attribuer à son milliard d’habitants l’ensemble des richesses de la planète. Néanmoins, n’oubliant pas qu’il s’adresse à un public particulier, le maître du Kremlin finit par expliquer aux peuples américains et allemands qu’ils n’ont rien à gagner à défendre l’Ukraine : que les uns se préoccupent plus de leur dette massive détenue par leur véritable ennemi stratégique, la Chine ; que les autres se rappellent qu’ils avaient accès à un gaz pas cher avec Schröder et Merkel…

Si l’objectif premier de cet entretien est de consolider l’électorat trumpiste dans sa conviction que seule l’élection de leur champion mettra fin au conflit en s’accordant avec lui, Poutine a clairement désigné les Européens comme les responsables du chaos qu’il a lui-même déclenché. Au-delà de la proximité géographique, il n’est pas étonnant dans ses conditions que la Finlande et la Suède ait cherché à rejoindre au plus vite une alliance militaire malgré une longue tradition de neutralité. Les espaces aériens et maritimes des pays européens riverains de la mer Baltique sont régulièrement violés par la Russie, par des sous-marins, des avions de chasse. Il y a un état d’hostilité et de friction. Relativisons quelque peu la révolution que cela représente : jusqu’en 2023, la Finlande et la Suède, pays voisins de la Russie, membres de l’Union européenne, étaient déjà des alliés des États-Unis par divers accords, même s’ils n’étaient pas membres de l’OTAN et avaient un statut de pays neutre. Avec l’entrée de la Suède, il n’y a plus de pays neutre autour de la mer Baltique. La ratification par le parlement hongrois le lundi 26 février de l’adhésion de la Suède va permettre à ce pays de rejoindre l’OTAN dans quelques jours, cela interviendra au moment où l’incertitude sur la solidité de l’alliance atlantique est maximale.

pays membres de l’OTAN et dates d’entrée (source : wikipédia)

pays membres de l’OTAN et dates d’entrée (source : wikipédia)

LES ÉTATS-UNIS, MAILLON FAIBLE POLITIQUE DE LEUR PROPRE DISPOSITIF

La Finlande et la Suède arrivent en effet dans l’OTAN en faisant le même pari géostratégique que le reste de l’Europe centrale et balkanique depuis 25 ans. L’ensemble des États à l’exception de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine ont rejoint le dispositif intégré de l’alliance atlantique car ils étaient convaincus que le parapluie nucléaire américain les protégerait de « l’ogre russe ». N’y voyez aucune stratégie construite des États-Unis cherchant à encercler la Russie exsangue, ils n’ont pas eu besoin de plan machiavélique : la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque avaient subi entre 1956 et 1968 une invasion soviétique (en 1983, le coup d’État de Jaruzelski visait à prévenir une nouvelle intervention militaire russe face à la « révolution » syndicale en cours) ; dans la série qui adhéra en 2004, qui peut nier que les États baltes n’ont pas quelques souvenirs cuisants de leur occupation, que la Slovaquie se souvient du sort de Dubček et que même la Roumanie et la Bulgarie ressentaient le besoin de se couvrir de quelques garanties. On peut toujours dire qu’il aurait fallu que les États-Unis fassent preuve de prudence et refusent ces adhésions : personne n’avait la capacité de dénier à ses États leur volonté souveraine de rejoindre l’alliance atlantique.

Et si le levier de l’adhésion à l’OTAN a été instrumentalisé par l’administration Bush Jr en 2003, c’était d’abord pour gêner la France et l’Allemagne qui s’opposaient à l’intervention en Irak – souvenez-vous des paroles délicates de Rumsfeld sur la « vieille Europe » – pas pour encercler la Russie dont tout le monde se souciait alors comme d’une guigne. Pour l’ensemble des anciens membres du Pacte du Varsovie, l’intégration européenne, le retour dans l’Occident, c’était d’abord et avant tout l’intégration dans l’OTAN, avant même l’adhésion à l’Union européenne.

Tony Blair, premier ministre britannique de l'époque, et le président des Etats-Unis d'Amérique, George W. Bush - ©Paul Faith/PA (Archives PA)

Tony Blair, premier ministre britannique de l'époque, et le président des Etats-Unis d'Amérique, George W. Bush - ©Paul Faith/PA (Archives PA)

Et qu’avaient à proposer les Européens de l’Ouest à leurs voisins libérés de l’Est ? Rien ! Entre 2001 et 2010, ils ont progressivement dissout l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), seule organisation européenne autonome sur la défense ; qui n’avait dans les faits qu’un rôle limité, tant les Européens de l’ouest donnaient la primauté à l’OTAN pour leur défense collective, mais, à partir de 1984 et surtout durant les années 1990, les États membres choisirent l’UEO comme support d’une politique européenne de défense. En juin 2004, les gouvernements et le parlement européen adoptaient le traité constitutionnel européen qui désignait l’OTAN comme le vecteur privilégié de la politique de sécurité des États non neutres de l’UE. Même la France, sous la présidence d’un soi-disant héritier du gaullisme, Nicolas Sarkozy, mettait fin à un espoir d’une défense européenne autour de notre pays en revenant dans le commandement intégré de l‘OTAN ! Pourquoi voulez-vous que l’Europe de l’Est ait recherché une autre option ?

Évidemment, le réveil géopolitique a été difficile : du mépris plus ou moins conscient vis-à-vis de la Russie à peine sortie de son effondrement au sentiment d’humiliation réécrit par Poutine, il n’y a qu’un pas. C’est aujourd’hui l’histoire qu’il raconte : les Américains ont refusé l’adhésion de la Russie à l’OTAN en 2007, les 10 et 11 février de la même année, il prononçait un discours glaçant qui annonçait l’ensemble de sa politique internationale à venir(4). Il n’y a même pas eu besoin que la Géorgie reçoive des gages sérieux à sa demande de rapprochement avec l’OTAN pour être mise au pas en 2008 et abandonnée par les Occidentaux. La même stratégie poutinienne d’instrumentalisation de potentats rebelles artificiellement créés allait commencer à être appliquée en Ukraine dès 2008 et surtout en 2014.

De 2008 à 2016, les USA s’étaient déjà détournés de l’Europe : Obama laissa Sarkozy être ridiculisé par Poutine sur la Géorgie, il lâcha Hollande en 2013 sur la Syrie y laissant le champ libre à la démonstration du retour du Kremlin comme acteur géopolitique mondial de premier plan, à la rescousse du régime de Bachar El Assad.

Finalement, la stratégie de Donald Trump était dans la continuité de la politique de Barack Obama, les yeux doux au régime autoritaire du Kremlin en plus (qui lui avait sans doute filé quelques coups de main informatiques dans la campagne de 2016). Que n’a-t-on dit (et espéré peut-être) en novembre 2019 quand Emmanuel Macron déclara à The Economist : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan. » « Vous n’avez aucune coordination de la décision stratégique des États-Unis avec les partenaires de l’Otan et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’Otan, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination », continuait-il, en référence à l’intervention militaire turque en Syrie contre nos alliés kurdes. La pandémie de COVID est passée par là, on est passé à autre chose.

On pouvait donc s’attendre à ce que l’ancien président républicain ultra-réactionnaire et démagogue revienne à la charge sur un ton provocateur mais dans le même mode que sa présidence. On n’a pas été déçu. Le 27 janvier 2024, il déclarait : « On paie pour l’OTAN et on n’en retire pas grand-chose. Je déteste devoir vous dire ça à propos de l’OTAN, mais si on avait besoin de leur aide, si on était attaqué, je ne crois pas qu’ils seraient là. (…) Mais je me suis occupé de l’OTAN. Je leur ai dit : “Vous devez payer vos factures, si vous ne payez pas vos factures, on ne sera pas là pour vous soutenir.” Le jour suivant, l’argent a coulé à flots vers l’OTAN. » Bien que mensongère, cette première déclaration géopolitique de campagne présentait surtout un regard dans le rétroviseur : Trump mettait en valeur son action présidentielle de défense des intérêts budgétaires américains, alors que Biden est accusé de dilapider les crédits pour l’Ukraine. Samedi 10 février, en Caroline du Sud, il est allé beaucoup plus loin : prétendant rapporter une conversation avec l’un des chefs d’État de l’OTAN, sans le nommer, il déclarait « Un des présidents d’un gros pays s’est levé et a dit : “Eh bien, monsieur, si on ne paie pas et qu’on est attaqué par la Russie, est-ce que vous nous protégerez?” […] Non, je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais à vous faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos dettes. »

2024, ANNÉE GÉOPOLITIQUE PÉRILLEUSE POUR LA FRANCE ET LES EUROPÉENS

Donald Trump rompt ainsi à la fois le principe de respect des engagements entre États membres de l’OTAN et ment. En effet, il met en cause directement l’un des articles essentiels du traité, l’article 5 qui stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué. Son premier mensonge c’est que les Européens ont en réalité répondu présents précédemment : la seule fois où l’article 5 a été invoqué à l’unanimité des membres fut au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis.

Quant aux engagements budgétaires, cette barre de 2% des dépenses des États membres, si souvent évoquée par Donald Trump, n’est qu’un indicateur parmi d’autres – comme les capacités militaires disponibles et la contribution aux opérations extérieures – de l’engagement des pays dans l’Alliance, il ne mérite aucun fétichisme ou aucune obsession. Mais surtout, la progression des dépenses militaires des États européens n’ont rien à voir avec l’intervention de l’ancien président américain alors qu’il était en fonction, mais c’est la conséquence directe de la pression russe, concrétisée par l’annexion de la Crimée (2014), puis par l’invasion déclenchée en Ukraine en février 2022. 11 membres de l’OTAN sur 31 ont déjà atteint l’objectif de 2% de leur produit intérieur brut consacrés à leur défense, alors qu’ils n’étaient que trois en 2014. Certains États ont doublé, voire triplé (et même plus) leurs dépenses militaires entre 2014 et 2023 – la palme revient avec +270% à la Lituanie (sans surprise) et à la Hongrie, dont le premier ministre prétend pourtant être un grand ami de la Russie(5).

pays membres de l’OTAN ayant atteint l’objectif de 2% (source : Le Monde)

pays membres de l’OTAN ayant atteint l’objectif de 2% (source : Le Monde)

répartition des dépenses militaires de l’OTAN en 2023 entre les pays membres (source : Le Monde)

répartition des dépenses militaires de l’OTAN en 2023 entre les pays membres (source : Le Monde)

évolutions sur la période 2014-2023 des budgets nationaux consacrés à la défense des pays membres de l’OTAN (source : Le Monde)

évolutions sur la période 2014-2023 des budgets nationaux consacrés à la défense des pays membres de l’OTAN (source : Le Monde)

Le 15 février dernier, Sébastien Lecornu ministre des armées s’est également empressé d’annoncer que la France atteindrait ce fameux seuil des 2 % en des termes lyriques. « La France est un allié fiable. Elle a rempli l’engagement pris en 2014 et consacre en 2024 plus de 2% du PIB à l’effort de défense. […] La vraie question maintenant, ce n’est pas tant d’obtenir ces 2%, […] mais c’est de faire en sorte qu’ils soient véritablement utiles sur le terrain militaire. Ce ne sont pas des chiffres […] qui vont dissuader la fédération de Russie […] de vouloir attenter à notre sécurité collective, c’est véritablement ce que nous en faisons. Donc au-delà des 2% du PIB, il faut regarder la part d’investissements réels dans les équipements. […] L’Otan donne aussi un indicateur à l’ensemble de ses membres […] c‘est le chiffre de 20%(6)La France est à 30%, c’est-à-dire 10 points au-dessus de cet indicateur en matière d’investissement militaire. Ce qui importe donc, c’est la capacité à réellement mettre à disposition de l’Alliance des moyens capacitaires, en nombre d’heures d’aviation de chasse disponibles par exemple sur des sujets de mobilité militaire. Sur la capacité à déployer, sur les espaces maritimes, différentes patrouilles qui permettent de sécuriser et de dissuader et bien sûr le déploiement de forces terrestres comme nous le faisons avec notre statut de nation-cadre en Roumanie ou avec un groupe interarmées en Estonie. » Les crédits militaires n’ont pas été touchés par le décret d’annulation du 21 février 2024.

Alors que le candidat républicain, qui a de bonne chance de concourir à nouveau contre Joe Biden (sauf accident judiciaire improbable), semble dire aux Russes qu’ils auront les mains libres en Europe et que le président Poutine considère que l’Europe est responsable du déclenchement de la guerre en Ukraine, on peut imaginer que la progression de ses dépenses militaires va s’accélérer. Les Européens sont dans un état de panique avancée, et c’est justifié. Ils doivent en tirer trois conclusions : Trump ne croit pas aux organisations multilatérales ; ensuite, il ne les protégera pas s’il est élu ; enfin, il encourage Poutine à les envahir, ce qui constitue une évolution par rapport à 2016. Ils doivent être en mesure de se défendre eux-mêmes et d’aborder sérieusement l’objectif d’une autonomie stratégique, c’est-à-dire la nécessité de construire des capacités et de diversifier le réseau des partenaires. Autonomie stratégique : ce terme provoquait jusqu’à aujourd’hui des crispations intenses aux USA et à l’Est de la ligne Oder-Neisse.

Or avant même l’entrée réelle en campagne électorale (nous n’en sommes qu’aux primaires), Trump sème la confusion sur la politique internationale des États-Unis : en témoigne l’imbroglio dominant les débats du Congrès sur l’aide militaire à l’Ukraine. Depuis octobre, les élus républicains à la Chambre continuent de bloquer l’adoption d’un nouveau paquet de 60 milliards de dollars, sous différents prétextes successifs. Or Trump a fait pression sur les élus républicains au Congrès pour enterrer un projet de loi prévoyant le versement d’une nouvelle aide à l’Ukraine ainsi qu’une réforme de la politique migratoire.

Soutiens de Donald J. Trump le 6 janvier 2021 dans le Capitole (AFP)

Soutiens de Donald J. Trump le 6 janvier 2021 dans le Capitole (AFP)

Or quel que soit le résultat de l’élection présidentielle de novembre 2024, la situation politique intérieure des États-Unis d’Amérique les détournera durablement de notre continent. Si Donald Trump l’emporte, il se détournera vraisemblablement des « questions européennes » et au mieux les considérera sous un angle purement transactionnel. S’il perd l’élection comme en 2020, il est probable que le souvenir de la tentative de prise du Capitole le 6 janvier 2021 nous apparaisse comme une petite échauffourée ; depuis 2021, les milices d’extrême droite, suprémacistes (et parfois ouvertement fascistes) armées et entraînées qui soutiennent Donald J. Trump se sont considérablement renforcées et atteignent plus de 30 000 paramilitaires : la contestation de sa défaite pourrait s’exprimer sur un mode bien différent avec pour conséquence une déstabilisation durable dont feront les frais de nombreux citoyens américains mais aussi le monde entier. Que vaudra « le bouclier américain », que vaudra « la protection » de l’OTAN dont aveuglément les gouvernements européens ne tarissaient pas d’éloge dans ces conditions ? Les conditions de la sécurité collective européenne doivent donc être totalement revisitées.

IL FAUT PENSER D’URGENCE « L’APRÈS OTAN »

Alors que la Russie s’est organisée en adoptant une économie de guerre et des programmations budgétaires pluriannuelles pour renforcer son effort militaire en Ukraine et son contrôle politique et policier sur les territoires qu’elle a de fait arrachés, la contre-offensive n’a pas donné les résultats qu’espérait l’Ukraine et un certain nombre d’incertitudes politiques s’accroissent en Europe et aux États-Unis qui pourraient conduire à un affaiblissement du soutien occidental : à moyen et long termes, le temps joue militairement en faveur du Kremlin… Une défaite de l’Ukraine conduirait à un effondrement du droit international car elle couronnerait la loi du plus fort et le « droit de conquête » sur des territoires impliquant plusieurs dizaines de millions d’habitants ; elle provoquerait également des réactions de panique politique à l’Est de l’Europe, dont personne ne peut à ce stade mesurer les conséquences.

Nous sommes entrés dans une période de renouveau ou de renaissance des impérialismes, dont la puissance nord-américaine n’est pas la seule expression. Si la République Populaire de Chine prétend donner l’image à l’échelle internationale d’une puissance qui a choisi le commerce et le soft power, elle n’a pas cessé d’être une dictature dont les dirigeants procèdent de manière totalitaire contre des pans entiers des peuples qu’ils conduisent ; ils ont également engagé une course à l’hégémonie mondiale contre les États-Unis et accroissent la pression militaire pour imposer la domination chinoise sur toute la région d’Asie orientale et sur l’espace indo-pacifique, devenant plus que jamais une source d’angoisse pour plusieurs États de la région (Corée, Japon, Viet Nâm, Thaïlande, Indonésie, Australie). Les difficultés économiques récentes que rencontrent la Chine renforcent d’ailleurs la rhétorique nationaliste de ses dirigeants, accroissent sa tendance à préférer régionalement une stratégie du bras de fer et la poussent à réclamer désormais une plus grande rentabilité des investissements et des prêts qu’elle a précédemment concédés à l’étranger. Dans ces conditions, l’Europe aurait tort de considérer que la Chine est un partenaire commercial comme un autre et que le « doux commerce » fera son œuvre.

À des échelles plus réduites, plusieurs puissances régionales ont elles-aussi adopté des postures impérialistes. C’est le cas des deux puissances rivales que sont l’Inde et le Pakistan, là aussi avec un risque de conflit nucléaire que l’instrumentalisation d’un côté de l’islam politique et d’un nationalisme religieux hindou rend de plus en plus dangereux (dont les musulmans indiens et les minorités pakistanaises sont les premières victimes). La démarche impérialiste russe n’est plus à démontrer, quels que soient les torts que l’on peut prêter aux Occidentaux. Enfin au Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite et l’Iran sont également engagés dans des stratégies de domination régionale concurrentes et meurtrières (quelle que soit la mise en scène récente d’une baisse des tensions qui n’a pas fait cesser les conflits par proxies que les deux régimes islamistes ont déclenché), appuyées sur des projets politiques réactionnaires et patriarcaux. Observant ces deux adversaires, la Turquie d’Erdoğan attend de voir comment elle pourra profiter d’un instant de faiblesse pour asseoir son propre projet régional dont Kurdes et Arméniens font aujourd’hui les frais. Dans le développement de ce renouveau des impérialismes, on ne dira jamais assez à quel point la manipulation politique des passions religieuses (toute obédience confondue – hindoue, musulmane, orthodoxe, évangélique) et surtout de leurs versions les plus rétrogrades et misogynes rend la situation encore plus inflammable et incontrôlable.

Le président français Emmanuel Macron accueille le Premier ministre indien Narendra Modi dans la cour du palais de l'Élysée à Paris, le 4 mai 2022. (Source : The Tribune)

Le président français Emmanuel Macron accueille le Premier ministre indien Narendra Modi dans la cour du palais de l'Élysée à Paris, le 4 mai 2022. (Source : The Tribune)

Confrontés à la plus que probable défaillance américaine, à l’impérialisme chinois et à un régime poutinien qui les désigne comme étant responsable de la guerre en Ukraine, les Européens devraient comprendre qu’il y a urgence à changer de paradigme en matière géostratégique. Le 22 mars 2021, le Conseil Européen avait adopté une décision établissant la facilité européenne pour la paix (FEP) comme instrument extra-budgétaire visant à « améliorer la capacité de l’Union à prévenir les conflits, à consolider la paix et à renforcer la sécurité internationale, en permettant le financement d’actions opérationnelles relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. » Un progrès, direz-vous ? Ça dépend comment on l’utilise…

Dans le cadre de la participation de l’Union européenne aux opérations en Ukraine, la FEP a déjà alloué plus de la moitié de son enveloppe pluriannuelle de 5,7 milliards d’euros au remboursement partiel des cessions de matériels militaires à l’armée ukrainienne de la part des États membres. Or il a été demandé en 2023 à la FEP de rembourser le soutien matériel militaire polonais en Ukraine au prix du renouvellement des matériels et non pas à celui, réel, des matériels existants. En conséquence, alors que la Pologne a livré – tout du moins en premier lieu – à l’armée ukrainienne du matériel et des blindés datant de l’époque soviétique et du Pacte de Varsovie, la FEP lui a versé des crédits pour du matériel neuf correspondant au prix d’achat d’avions de combat F35 américains, de chars K2 Black panther ou d’obusier K9 sud-coréens. La participation française à la FEP nous a coûté 500 millions d’euros en 2023. Autant qui ne sont pas allés à notre propre effort.

L’Allemagne se donne 5 à 8 ans pour être prêt à résister par ses seuls moyens à une nouvelle attaque russe(7). 5 à 8 ans, c’est le temps estimé pour que la Russie soit en capacité de s’investir à nouveau dans un conflit armé. Pour cela, il faudra bien plus que les 100 milliards d’euros du fonds spécial de transformation de la Bundeswehr ; 60% de cette somme a déjà été attribuée pour l’achat d’avions, de systèmes de défense aérienne, de matériels de transmission, d’hélicoptères lourds, d’équipements multiples pour la troupe, etc. Jamais le rythme de passation des commandes militaire n’a été aussi élevé. Le fonds spécial sera vidé avant 2027. Mais la Bundeswehr sera encore loin du compte. Les stratèges allemands veulent en effet doter leur armée de ce qu’ils appellent les forces « moyennes » ou « intermédiaires » (entre l’artillerie lourde, équipée de chenilles et lente à déplacer, et les groupes légers inadaptés à bloquer une attaque). La Bundeswehr manque également de soldats : quelques 180 000 militaires alors que l’objectif est de dépasser les 200 000 soldats dans 6 ans. Pour y remédier, le ministre de la Défense envisage désormais sérieusement de réintroduire le service militaire. Reste la question de l’équipement militaire, pour lequel il faut un budget conséquent et garanti à long terme, permettant le développement d’une industrie de défense capable de couvrir l’essentiel. Katarina Barley, tête de liste des sociaux-démocrates allemands aux élections européennes, a ainsi jugé inévitable l’ouverture d’un débat sur le déploiement d’un parapluie nucléaire autonome européen face à la Russie. Le ministre allemand des Finances et chef du FDP, Christian Lindner, propose lui de prendre enfin au sérieux les offres de coopération réitérées faites par Emmanuel Macron à l’Allemagne en matière de dissuasion nucléaire.

Boris Pistorius, ministre allemand SPD de la Défense. Photo Sipa/ Moritz FRANKENBERG

Boris Pistorius, ministre allemand SPD de la Défense. Photo Sipa/ Moritz FRANKENBERG

La France aussi est engagée dans un processus visant à rétablir sa crédibilité dans la durée avec l’entretien de la dissuasion nucléaire(8) et à transformer les armées dans un contexte géopolitique dégradé. Pour les 7 années couvertes par la Loi de Programmation Militaire (LPM, 2024-2030), un effort budgétaire de 413,3 milliards d’euros y sera consacré. 40 % de plus que la précédente LPM qui visait à « réparer » les armées. Le seuil des 2% devrait être atteint dès 2024 (initialement prévu entre 2027 et 2030) avec un budget porté 47,2 milliards d’euros, soit 3,3 milliards d’euros de plus qu’en 2023. Au regard des enjeux géostratégiques actuels, qui pourraient avec une once de crédibilité le contester. À gauche, rappelons-nous notre histoire : arrivant au pouvoir en juin 1936, Léon Blum, chef parlementaire d’une SFIO acquise au désarmement, engagea un plan quinquennal de réarmement au regard de l’état de délabrement dans lequel était l’armée française, après l’application des doctrines et conseils du Maréchal Pétain, et de la menace fasciste ; la validation de la stratégie de Front Populaire par le Komintern (l’Internationale communiste) visait d’ailleurs en partie à favoriser ce type de décisions budgétaires pour répondre à la remilitarisation de l’Allemagne par Hitler.

Et encore, aujourd’hui, l’armée française est sans doute celle qui se trouve en Europe dans l’état le moins piteux. On a vu celui de l’armée allemande, qui n’est pas aujourd’hui la menace géopolitique qu’elle était en 1936 (et dont on serait bien inspiré de ne pas contester la logique de rééquipement actuel). On voit encore les logiques absurdes de certains de nos plus petits partenaires au prétexte d’aider l’Ukraine ; car aider un pays agressé à se défendre légitimement n’oblige pas à être idiot ! Or c’est ainsi qu’il faut qualifier l’annonce le 18 février dernier faite par le Danemark d’envoyer l’intégralité de son stock de munitions à Kiev… Et même si la première ministre danoise le conteste, les Européens sont en train d’arriver au maximum de leurs capacités de production d’armement(9). Habitués depuis trop longtemps à dépendre du « bouclier américain », l’industrie de défense européenne s’est réduite à la portion congrue, reculant même en France. Ce n’est pas pour rien qu’Olaf Schloz inaugurait encore début février une nouvelle usine de poudre et d’obus… Le marché de la défense européen est avant tout un marché de l’armement US, (neuf et occasion). Pendant que l’armée française achète des fusils d’assaut allemands, nos partenaires européens (on l’a vu plus haut pour la Pologne) se fournissent tous auprès des États-Unis. Pendant que nous vendons nos avions Rafale à l’Inde, à l’Égypte et aux pays du golfe, dont la fiabilité comme alliés est toute relative, les Européens achètent des Lightning II. La France devra donc reprendre le contrôle des entreprises stratégiques en matière de défense qu’elle a laissées filer, y compris dans les mains des Américains, en « oubliant » de mettre en application le décret Montebourg.

La France est le seul pays à disposer d’une dissuasion nucléaire et d’une capacité de projection extérieure. C’est à elle de proposer un chemin à ses partenaires européens pour se passer de l’OTAN. Et ce chemin devra concerner tout à la fois la conception, la production, le marché et l’organisation des forces de défense. Mais on sait combien nos voisins sont sensibles à ce qu’ils perçoivent comme de l’arrogance ; les Américains, dans le but de défendre leurs intérêts commerciaux, n’hésiteront pas à insister dessus. Aussi, les rodomontades d’Emmanuel Macron le 26 février au soir sur la perspective d’envoi de troupes américaines et européennes en Ukraine nous ont ainsi sans doute fait perdre un an ou deux. D’autant que les motivations du président français sont loin d’être claires et aussi élevées que son camp de ne le prétend.

Emmanuel Macron peut-il prétendre être Churchill en ayant été Chamberlain trop longtemps ? - sources photos : CRÉDIT : LUDOVIC MARIN/via REUTERS pour Emmanuel Macron ; CORBIS pour Churchill et Chamberlain

Emmanuel Macron peut-il prétendre être Churchill en ayant été Chamberlain trop longtemps ? - sources photos : CRÉDIT : LUDOVIC MARIN/via REUTERS pour Emmanuel Macron ; CORBIS pour Churchill et Chamberlain

Les soutiens courtisans du président de la République expliqueront que ce dernier vise en réalité à réintroduire une « ambiguïté stratégique » qui avait disparu depuis longtemps de la diplomatie française, on aimerait les croire. La réalité est que c’est moins le Kremlin qui est visé – si la violence du discours de Vladimir Poutine qui a suivi ne peut plus surprendre personne, il indique néanmoins que le dictateur russe a perçu le changement de pied – que des effets politiques immédiats pour faire oublier sa propre ambiguïté face au Kremlin.

Le Spiegel donne la lecture suivante : Olaf Scholz avait rappelé peu de temps auparavant pourquoi il ne livrerait pas de missiles continentaux (Taurus) alors que d’autres (Grande Bretagne, France) l’ont fait. Il a de nouveau dit que l’Allemagne était après les USA le plus gros contributeur à l’aide militaire à l’Ukraine et que la France et d’autres ne faisaient pas assez en achats et livraison. Selon le magazine allemand, Macron aurait parlé d’engagement de troupes au sol pour se payer Scholz, ajoutant en substance « nous avons dès le début livré des canons alors que certains parlaient de livrer seulement des sacs de couchage et des casques »(10). Scholz a donc répliqué dans ce qui apparaît comme une guerre d’ego dans un « couple » dysfonctionnel. Voilà pour le conflit politique entre la Willy-Brandt-Straße et la rue du Faubourg-Saint-Honoré.

 
Le chancelier allemand Olaf Scholz (à gauche) et le président français Emmanuel Macron, le 12 juillet 2023 au sommet de l'Otan à Vilnius  afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le chancelier allemand Olaf Scholz (à gauche) et le président français Emmanuel Macron, le 12 juillet 2023 au sommet de l'Otan à Vilnius afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

En réalité, à 3 mois des élections européennes, Emmanuel Macron cherche à faire de l’Ukraine un symbole. Pourquoi et contre qui ? Contre le Rassemblement national, qu’il veut présenter comme le principal adversaire de sa minorité présidentielle dans ce scrutin. Le RN est l’ami de Vladimir Poutine. À l’Assemblée, Gabriel Attal s’est employé à le rappeler avec une pointe d’excès « Il y a lieu de se demander si les troupes de Vladimir Poutine ne sont pas déjà dans notre pays. Je parle de vous et de vos troupes, Mme Le Pen […] Vous défendiez une alliance militaire avec la Russie, il y a seulement deux ans. C’était dans votre programme pour l’élection présidentielle ». Oui, Marine Le Pen a bien défendu une « alliance militaire » avec la Russie, y compris en 2022, y compris après l’invasion de l’Ukraine, pendant la campagne pour l’élection présidentielle. Mais, à cette aune, Emmanuel Macron est à ranger dans le même sac : au début de la guerre, le chef de l’État refusait d’« humilier » la Russie. En 2019, trois ans avant la guerre, il allait plus loin défendant une « architecture de sécurité et de confiance » entre l’Europe et Moscou, déclarant la Russie est « européenne », alors même que Trump pactisait avec le Kremlin qui avait depuis une décennie déjà choisi une stratégie anti-européenne. Peut-on prétendre être Churchill en ayant été Chamberlain trop longtemps ? Si Emmanuel Macron et son camp veulent convoquer le passé sur la relation au Kremlin dans la campagne des élections européennes, le pari est glissant voire nauséabond. Il n’est surtout pas au niveau des enjeux.

Une chose est sûre, pour convaincre, la France va devoir s’y prendre autrement. Il faudrait d’ailleurs qu’Emmanuel Macron comprenne qu’il doit mettre fin à ces postures médiocres, car nous ne pourrons pas attendre 2027 pour engager le mouvement. Si l’on veut avancer, encore faut-il s’assurer d’être suivi, ce qui nécessite de travailler avec rationalité avec nos partenaires. Rationalité qui devrait également être remise au goût du jour à gauche ; il faut sortir de la binarité délétère entre un Glucksmann américanisé et un Mélenchon bolivarisé… Sortons aussi des mantras inutiles et inefficients sur le bellicisme américain et la défense de la Paix à tout prix : personne ici ne veut la guerre et envoyer nos jeunes gens à l’abattoir, les citoyens russes et ukrainiens ne le voulaient pas non plus. Organiser et muscler notre défense et nos renseignements sont sans doute le seul moyen de l’éviter. Notre faiblesse y conduira. Au moment où les amis de Poutine vont renforcer leurs rangs au Parlement européen derrière Marine Le Pen, et alors que la perspective de son arrivée au pouvoir en 2027 se précise, il serait temps de nous reprendre en main. Et pour les socialistes que nous sommes, se rappeler que l’histoire a donné raison à Léo Lagrange l’antifasciste et tort à Paul Faure le pacifiste à tout prix.

Frédéric Faravel

Références

(1)Les « biens à double usage » sont ceux destinés à des applications civiles mais qui peuvent être utilisés à des fins militaires.

(2) https://youtu.be/q_6g91QtXs0?si=N-1LdHgB3drOLV-q
https://youtu.be/A5lCewlZqMg?si=Pow4RhUS9VNfs_iH

(3)La Ruthénie subcarpathique lui avait été offerte par Hitler fin 1938 après le dépeçage de la Tchécoslovaquie.

(4)     https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2007/02/12/m-poutine-denonce-l-unilateralisme-americain_866329_3222.html

(5)Le chiffre de 1,3% affiché pour la Turquie, au regard de ses engagements militaires, en Syrie, en Libye et en soutien à l’Azerbaïdjan, ainsi que de son état de paix armée avec la Grèce, ne peut être que sujet à caution et doit être pris avec la plus grande prudence. Il doit inciter à la circonspection quant à la transparence des informations budgétaires transmises par l’État turc.

(6)Engagement pris par les membres de l’OTAN en 2014 de porter à 20% ou plus la part des dépenses de défense annuelles à l’acquisition de nouveaux équipements majeurs.

(7)Dans un message posé sur les réseaux sociaux le jour où Vladimir Poutine a envoyé ses chars à l’assaut de l’Ukraine, le commandant des forces terrestres, le général de corps d’armée Alfons Mais, a résumé en quelques mots l’état de l’armée allemande : la Bundeswehr est « plus ou moins vide ».

(8)Notamment avec la construction d’un deuxième porte-avions nucléaire complétant le Charles-de-Gaulle.

(9)Contrairement à ce que se racontent nos amis du Parti de la gauche européenne, l’Union Européenne est loin, très loin, de s’être réorganisée autour d’une économie de guerre… contrairement à la Russie.

(10)L’Allemagne avait fin février 2022 proposé 2000 casques à l’Ukraine.

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17 mars 2009 2 17 /03 /mars /2009 16:17
OTAN : "Beaucoup de pays attendent de la France autre chose qu'un alignement"
LEMONDE.FR | 17.03.09 | 15h07

ierre-carole : L'intégration complète des armées françaises dans l'OTAN ne signifie-t-elle pas que, pour longtemps, la France renonce à promouvoir une force de défense européenne commune et indépendante ?

 

Hubert Védrine : C'est tout le débat. Le président de la République nous dit que de l'intérieur il va pouvoir faire avancer ce projet. La plupart des opposants ou des critiques en doutent énormément, compte tenu de l'expérience qu'on peut avoir de la politique américaine, du poids du Pentagone et du fonctionnement de l'OTAN.

Cela dit, pour être honnête, il faut rappeler que le projet de défense européenne se heurte déjà à beaucoup d'obstacles, le premier étant qu'il n'y a pas de vraie volonté chez les autres Européens pour promouvoir une défense européenne. Ils craignent que ça ne fasse double emploi avec l'OTAN, ils n'ont pas envie de dépenser plus pour la défense, et ils n'ont pas forcément envie de prendre plus de responsabilités. Donc il faut reconnaître que ce projet est difficile à mettre en œuvre, que l'on soit ou non dans le système intégré. Mais on a du mal à comprendre pourquoi, en s'intégrant plus, on aurait plus d'influence sur ce projet, qui est un projet d'autonomie.

antoniou : Si vous aviez été ministre des affaires étrangères, vous seriez-vous prononcé contre le retour de la France dans le commandement intégré ?

C'est une des raisons pour lesquelles je ne pouvais pas être ministre dans ce contexte. J'ai d'ailleurs déjà écrit dans mon rapport de l'automne 2007 pourquoi ça ne me paraissait pas une bonne chose. Nous étions dans une situation optimum, et à mon avis il n'y avait pas de raison convaincante pour en sortir. Les Américains eux-mêmes ne le demandaient plus. Donc je n'aurais pas pu approuver ce processus.

Ce que j'aurais très bien compris, en revanche, c'est que l'on dise, comme François Mitterrand l'avait fait dire en 1990-1991 : la France est prête à prendre toute sa place dans une Alliance profonde et réformée. Dans ce cas-là, la réforme de l'Alliance aurait été un préalable à notre retour. Tandis qu'avec la démarche adoptée aujourd'hui, elle n'est qu'une conséquence éventuelle, une espérance, ce qui est très fragile.

Ben : La réintégration dans l'OTAN n'améliorerait-elle pas la capacité de la France à peser sur les grandes décisions stratégiques en Afghanistan ?

D'une façon générale, on ne peut pas citer de cas au cours des dernières décennies où un pays autre que les Etats-Unis ait eu une influence importante dans l'Alliance parce qu'il était intégré. D'une façon plus précise, sur l'Afghanistan, il est clair que l'opération menée par les Américains et par l'OTAN est dans une impasse et qu'il faut impérativement tout remettre à plat pour clarifier la stratégie militaire et politique, l'organisation et le mode de décision. Cette clarification aurait déjà dû avoir lieu.

Est-ce que la France va être mieux placée pour la demander et pour l'obtenir après la décision prise par le président Sarkozy ? Cela reste à démontrer. Du point de vue américain, cette décision française est interprétée comme un désir de ne plus contrecarrer les positions américaines.  Donc je ne sais pas ce qui se passera si les Français, au contraire, exigent de codiriger, pour employer l'expression utilisée par le président Sarkozy dans son discours, les opérations, notamment en Afghanistan. Cela va être le premier banc d'essai de la nouvelle orientation de M. Sarkozy.

6pri1 : Au-delà du symbole, la réintégration de la France dans l'OTAN changera-t-elle la stratégie française en Europe et dans le monde ?

Le symbole est très important. Pour les Américains, c'est symbolique d'un nouvel atlantisme français ; pour les autres Européens, c'est symbolique d'une normalisation française : la France rentre dans le rang et ils s'en réjouissent ; et pour beaucoup de pays dans le monde, c'est symbolique d'un renoncement français à une certaine autonomie de pensée et d'action dans les relations internationales. Donc c'est un symbole, à mon avis, plutôt négatif.

Est-ce que cela va dans la réalité aboutir à une banalisation complète de la politique étrangère française ? Je ne le crois quand même pas. Le président Sarkozy est à la fois idéologique et pragmatique, et beaucoup de pays dans le monde attendent de la France autre chose qu'un alignement. Donc il y a un certain nombre de forces qui existent et qui, peut-être, je l'espère, corrigeront en partie le risque d'alignement qui est inclus dans la décision de réintégration dans l'OTAN.

claude_petitjean : Si les Américains ne le demandent plus, d'où provient la pression ou l'intérêt de réintégrer l'Alliance ?

C'est une bonne question. Notre position avait l'avantage d'être consensuelle en France et de ne plus être un problème pour nos alliés en raison des arrangements pragmatiques qui avaient été négociés au fil des années. C'est pour cela que je crois que cette décision, prise sous la présidence Bush, même si elle ne se concrétise que sous la présidence Obama, est une décision essentiellement politique qui est à mettre en relation avec ce que dit le président Sarkozy sur la nécessaire cohésion de la "famille occidentale".

Mogli : La position de la France vis-à-vis de l'OTAN n'était-elle pas comparable à celle de l'Angleterre vis-à-vis de l'Europe ? En avoir les avantages sans les inconvénients .

En effet, on peut comparer. Pourquoi donc changer cette position avantageuse ?

Ali26 : Cette réintégration marque-t-elle tout simplement une trahison à l'égard de la politique gaulliste de la France ?

C'est un terme excessif, un peu grandiloquent, et on n'a pas besoin d'aller jusque-là pour critiquer cette décision ou exprimer son scepticisme. N'oublions pas que le général de Gaulle a été un extraordinaire génie stratégique, mais aussi pragmatique. Je ne sais pas ce qu'il aurait fait par la suite, bien sûr, mais je suis certain qu'il n'aurait pas réintégré le commandement intégré d'une Alliance inchangée. C'est le seul point qui me paraît sûr.

Ali26 : La France pourra-t-elle à l'avenir se retirer une nouvelle fois de la structure intégrée ou au contraire est-ce définitif ?

Un grand pays ne peut pas jouer au yo-yo avec les orientations stratégiques. Je n'imagine pas que même ceux qui aujourd'hui sont critiques, à droite ou à gauche, pourraient décider de se retirer purement et simplement. En revanche, ils pourraient, et à mon avis devraient, entamer une action très forte pour obtenir la réforme de l'Alliance, c'est-à-dire la création d'une Alliance à deux piliers.

Spoon : Pouvez-vous en dire plus sur cette Alliance à deux piliers ?

L'Alliance à deux piliers, c'est une formule de Kennedy. Mais elle n'a jamais existé puisque pour les Américains, le commandement intégré de l'Allliance doit faire en sorte que l'Alliance soit immédiatement opérationnelle sur le plan militaire, sans discussion inutile ni perte de temps. C'est une courroie de transmission.

Pour qu'on passe à une Alliance à deux piliers, il faudrait que les Européens décident de se concerter entre eux sur les grands sujets. Par exemple sur ce qu'il faut faire en Afghanistan, vis-à-vis de la Russie, faut-il faire un bouclier antimissiles, faut-il encore élargir l'OTAN, l'OTAN peut-elle intervenir n'importe où, etc. Les Européens, ayant fixé leur position, discuteraient ensuite avec les Américains.

Dans certains cas ils seraient d'accord spontanément, dans d'autres cas il y aurait des différences et il faudrait trouver des synthèses. Cela se passerait entre partenaires. C'est exactement ce que le Pentagone a toujours redouté et voulu empêcher, et d'ailleurs les Européens n'ont jamais sérieusement essayé. Si les Européens avaient vraiment eu envie de jouer ce rôle, ils auraient tous rejoint la position française pendant ces quarante années, et l'Alliance à deux piliers serait née du même coup.

vlad : Pensez-vous que la réintégration de notre pays dans la commandement militaire intégré de l'OTAN va vraiment nous affaiblir diplomatiquement ? Si vous le pensez, pourriez-vous nous donner un ou deux exemples concrets sur un sujet d'actualité ?

Je pense que pour les pays arabes, la plupart des pays africains, la plupart des grands pays émergents, pour l'Amérique latine, cette décision traduit le désir de mettre fin à l'héritage du gaullisme et même, plus largement, de la synthèse gaullo-mitterrandienne, synthèse droite-gauche. Cela fait donc peut-être 130 à 140 pays dans le monde qui vont penser qu'ils ne peuvent plus compter sur la France pour exprimer une voix occidentale différente, un peu divergente du consensus occidental.

Certes, la France ne prenait pas tous les jours des positions originales, mais elle était un recours possible. Donc je pense qu'il y a une diminution de notre statut et des attentes envers nous. Bien sûr, une politique étrangère très active et très autonome pourra corriger cette impression, mais fallait-il créer artificiellement cette difficulté pour ensuite devoir s'employer à la surmonter ? Tout cela n'est pas logique, il n'y avait pas de raison convaincainte de modifier notre ligne intérieure.

PL : Ne peut-on penser que pour certains dirigeants politiques des Etats-Unis et pour certains hauts gradés du Pentagone l'OTAN peut-être utilisée et mise en avant pour dévaloriser encore un peu plus les possibilités d'intervention d'une force onusienne ? Ne prêtons-nous pas la main à une telle dépréciation en rejoignant le commandement intégré ?

En réalité, la capacité d'intervention d'une force onusienne est tellement faible qu'il n'y a pas besoin de démonstration de l'OTAN pour le faire apparaître. L'ONU a de plus en plus de mal à trouver des contributions militaires efficaces pour les opérations de maintien de la paix. Dès que ce sont des opérations un peu plus difficiles de rétablissement de la paix, les forces de l'ONU sont incapables. Elles sont surtout composées de forces armées envoyées par des pays relativement pauvres qui utilisent ce moyen pour les faire équiper. Donc il n'y a pas photo entre les deux, pour parler simplement. On peut regretter cet état de fait, on peut espérer qu'un jour les Nations unies disposeront, si elles sont vraiment unies, d'une vraie capacité d'intervention. Mais de toute façon, ce n'est pas le cas aujourd'hui, et ce n'est pas à cause de l'OTAN.

Ruz : La SFIO était opposée à la sortie de la France de l'OTAN. Mitterrand, qui n'a jamais mystère de ses convictions atlantistes, a fait le premier pas pour sa réintégration lors de la première guerre du Golfe. La position du PS, qui a cautionné l'envoi d'un contingent en Afghanistan au côté de l'OTAN, n'est elle pas une opposition systématique? :

D'abord, on ne peut pas comparer la situation de 1966 et celle d'aujourd'hui, ni pour la droite ni pour la gauche. Sinon, on serait obligé de constater que et la droite et la gauche se contredisent, ce qui ne mène à rien. On verra aussi que les centristes, qui étaient contre la sortie de l'OTAN en 1966, sont contre le retour en 2009. C'est aussi parce que, entretemps, cette position originale de la France, assortie d'arrangements pragmatiques, était devenue la colonne vertébrale de la position internationale de la France.

Par ailleurs, c'est une erreur de qualifier d'atlantiste la politique étrangère de François Mitterrand, président. Il a effectué une sorte de synthèse entre le gaullisme, les idées du PS sur le Nord-Sud et, d'autre part, ses convictions européennes. Quand il a soutenu le déploiement des fusées américaines en Europe contre les fusées soviétiques, c'était pour rétablir l'équilibre des forces en Europe, et donc plus par patriotisme européen que par atlantisme. Lors de la guerre du Golfe, ce n'était pas l'OTAN, mais une coalition ad hoc. Mitterrand s'est toujours opposé à l'élargissement de la zone d'intervention de l'OTAN. Il avait refusé en 1983 que les garanties de l'OTAN soient données au Japon, et en 1990-1991, il avait testé auprès des Américains l'idée d'une réforme de l'Alliance préalable à tout changement de la position française, ce qui est le contraire de ce qui est fait aujourd'hui.

Donc on peut dire que le PS aujourd'hui contredit la SFIO de 1966, et c'est tant mieux. On ne peut pas dire que le PS aujourd'hui contredise la politique étrangère de Mitterrand. J'ajoute qu'il y a aussi un vrai trouble au sein de la majorité, ce qui oblige le gouvernement à employer une procédure de vote qui vise à masquer ce trouble.

Johnny : Comment se fait-il que les pays européens (de l'Ouest puis de toute l'Europe) se satisfont de cette situation de dépendance à l'égard des Etats-Unis en matière de défense sur une aussi longue durée ?

C'est un fait incompréhensible si on n'a pas en mémoire la deuxième guerre mondiale et son aboutissement. En pratique, après 1945, les pays européens s'en sont remis à la protection américaine, les Etats-Unis ayant, avec les Soviétiques, vaincu le nazisme, et les Etats-Unis les protégeant dans cette nouvelle phase de la menace soviétique. Cette relation s'est installée dans la durée, à la fois stratégique et de dépendance psychique. Quand la menace soviétique a disparu, Roland Dumas avait déclaré qu'on pouvait peut-être repenser tout ce système intégré, les Américains ont poussé des hurlements, et les Européens n'ont même pas osé réclamer un changement. Ils n'ont même pas osé le penser.

Il faut constater malheureusement que les Européens modernes se sont installés dans une situation, une sorte d'hédonisme, de consumérisme, qui l'emporte sur toute autre considération. Les Européens ont voulu croire qu'ils vivaient dans un monde post-tragique, dans une sympathique "communauté internationale", et l'idée que le monde soit toujours régi par des rapports de force et qu'il faille toujours se préoccuper de puissance, de défense ou de sécurité les accable. Mais peut-être que le bouleversement multipolaire du monde et les effets de la crise vont les réveiller.

matson : Quelle est la position de la France vis-à-vis du bouclier antimissile US et est-ce que notre adhésion complète signifie un alignement ?

Il n'y a pas de raison que notre réintégration traduise un alignement dans l'affaire du bouclier. Si le président tient ses engagements sur la nouvelle influence de la France, c'est même une question qu'il doit soulever au sein de l'OTAN, car ce projet est tout à fait contestable.

hermann : Que répondez-vous à M. Kouchner lorsqu'il affirme que par sa réintégration dans l'OTAN, la France "accepte surtout l'incertitude et le danger, quand il est si confortable de se réfugier dans la dénonciation des errements des autres".

La France n'a jamais fui devant ses responsabilités, qu'elle ait été dans le commandement intégré ou non. Personne en France n'a jamais proposé de dénoncer le traité d'alliance de 1949. Le général de Gaulle avait été très clair et très courageux au moment du blocus de Berlin et de la crise des fusées de Cuba en 1962. François Mitterrand avait été très courageux dans l'affaire des euromissiles et dans l'affaire de la guerre du Golfe.

Donc la France n'était pas un pays qui profitait d'une situation particulière pour ne pas prendre sa part de responsabilité et de risque, y compris dans la participation récente aux opérations en Afghanistan, même si celles-ci sont discutables. Donc on ne peut pas dire que le retour dans le commandement intégré était une nécessité pour que la France assume enfin ses responsabilités, puisqu'elle le faisait déjà tout à fait.

chat modéré par François Béguin
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22 septembre 2008 1 22 /09 /septembre /2008 15:56
Le PS va voter "non" à la prolongation du mandat français en Afghanistan
LEMONDE.FR Avec AFP et Reuteurs | 22.09.08 | 13h35  •  Mis à jour le 22.09.08 | 15h14

n mois après la mort de 10 soldats français près de Kaboul, députés et sénateurs doivent se prononcer, lundi en fin d'après-midi, sur la présence militaire française en Afghanistan. (Suivez le débat en direct, en partenariat avec La Chaîne parlementaire)


Députés et sénateurs socialistes voteront contre la prolongation du mandat français en Afghanistan, lundi 22 septembre, a annoncé Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS à l'Assemblée nationale. "Nous avons décidé majoritairement de voter non", a-t-il déclaré à l'issue d'une réunion extraordinaire du groupe socialiste au Palais-Bourbon, précisant qu'il y avait eu "5 oui et 3 abstentions." "Notre conviction est que nous allons à l'échec en poursuivant cette stratégie", a expliqué M. Ayrault, jugeant nécessaire de "préciser les objectifs, les moyens et la durée".

Lors du point de presse hebdomadaire du PS, le député Bruno Le Roux a précisé les intentions des socialistes :  "Le sens de notre vote ne sera pas un vote contre la présence française en Afghanistan mais un vote contre la conception et la stratégie qui sont suivies en Afghanistan par le président de la République et le gouvernement français."

Les responsables PS et PRG ont récemment écrit au président Nicolas Sarkozy, lui demandant de "prendre l'initiative d'un débat avec ses alliés" autour de 5 objectifs : "une meilleure répartition des responsabilités au sein de la coalition", un élargissement de cette dernière, la relance d'un dialogue politique entre Afghans, une clarification avec le Pakistan et "l'établissement d'un calendrier sur les nouveaux objectifs de la coalition, assorti d'un échéancier sur notre présence en Afghanistan".

COPÉ JUGE "HALLUCINANT" LA POSITION DU PS

René Dosière, qui fait partie des 3 députés qui se sont abstenus lors de la réunion du groupe – de même que Jean Glavany et Manuel Valls –, a jugé que voter non est "un mauvais signe donné aux militaires et à l'opinion publique". "Mais je respecterai la consigne de vote et voterai non cet après-midi", a expliqué le député, affirmant que, quelles que soient les positions sur le vote, les élus socialistes sont sur la même longueur d'onde : "Oui à l'engagement et non à l'enlisement."

C'est la première fois que les parlementaires se prononcent sur la prolongation de la présence militaire française au-delà de quatre mois, conformément à la révision constitutionnelle adoptée en juillet. Selon un sondage BVA pour Orange et L'Express paru la semaine dernière, 62% des Français sont opposés au maintien d'une présence militaire en Afghanistan.

Dans sa réponse aux responsables socialistes et du Parti radical de gauche (PRG), datée du 19 septembre et publiée par lefigaro.fr, Nicolas Sarkozy a dit attendre "un débat constructif". Le chef de l'Etat y affirme que "l'avenir de l'Afghanistan constitue un enjeu majeur pour la sécurité de notre pays et pour les valeurs que nous défendons". Selon lui, "il serait indigne de la France de renoncer" et "un calendrier artificiel (de désengagement) ne ferait que servir les intérêts des terroristes". Le patron des députés UMP, Jean-François Copé, avait quant à lui jugé, lundi matin, "hallucinant" que la gauche puisse envisager de voter non.

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6 juin 2007 3 06 /06 /juin /2007 09:40
Pour faire face aux dangers russes et à la dépendance américaine, les Européens doivent progresser dans les domaines militaires et géostratégiques

Aujourd'hui que se réunit sur les bords germaniques de la Baltique allemande le G8+5, je vais jouer à faire mon "Bernard-Guetta"...

En effet, alors que le sommet devait initialement porter sur les enjeux environnementaux, les circonstances ont profondément transformé les priorités des chefs d'État qui y participeront. D'abord parce que George W. Bush vient une nouvelle fois de saboter toute tentative sérieuse (n'en déplaise à Jacques Attali) d'avancer dans le domaine de la luttre contre les changements climatiques, en repoussant à la fin de l'année 2008 la conclusion d'un accord global sur les émissions de gaz à effet de serre et la protection de l'environnement.
Ensuite et surtout, parce que le projet de "Guerre des étoiles" version anti Rogues' states de Bush junior a hérisé le poil de Vladimir Poutine et que règne subitement un climat  de nouvelle guerre froide (comme quoi les  glaciations ça peut arriver vite). Les déclarations de George W. Bush hier n'ont sans doute fait que rajouter de l'huile sur le feu.

Vladimir Poutine et les Russes peuvent-ils s'appuyer sur des justifications sérieuses pour argumenter leur acrimonie renforcée (qu'on sentait quand même pointer depuis quelques temps). Nous passerons sur le retour de la logomachie soviétique, qui démontre que Poutine est allé réviser ses vieux manuels de diplomatie molotovienne. Mais effectivement les Russes ont des raisons fortes de craindre l'installation de système de lancement et de guidage de missiles américains en Europe centrale.

Il n'est pas dit que les Américains soient forcément de mauvaise foi quand ils racontent que le dispositif vise avant tout à protéger l'Europe et l'Amérique du Nord d'attaques nucléaires en provenance d'Iran ou de Corée du Nord ; on pourrait donc croire que le seul argument russe vise à dénoncer un mensonge américain et à expliquer qu'en fait ce dispositif vise leur Fédération. À ce jeu de ping pong, personne n'y retrouvera ses petits ; et surtout il y a quelques raisons réelles et bien plus sérieuses pour fâcher les  Russes dans cette histoire.
La relance américaine de la "Guerre des étoiles" même dans une version soft rejoue la partie qui s'est déroulée au lendemain de l'élection de Ronald Reagan, quand le Président  conservateur a lancé son pays dans la course à la technologie et aux armements, l'Union soviétique a dû amèrement constater son retard et le fait qu'elle ne pouvait le rattraper, l'équilibre militaire était rompu, le compromis obligatoire sous peine d'être réellement battu et c'est notamment ce qui a motivé la nomination à la tête de l'État soviétique de Mikhaïl Gorbatchev, sa tentative de Glastnost, Perestroïka et finalement de sortie en douceur du système soviétique. Les oligarques actuels du Kremlin savent trop comment tout cela s'est terminé ; l'union soviétique était bien évidemment minée de l'intérieur et les troubles extérieurs, la perte irrémédiable de son prestige et surtout de sa capacité à intervenir réellement sur la scène internationale et jusque dans ses propres protectorats, ont accéléré sa chute, le déclassement et l'humiliation de la Russie.

Aujourd'hui, la Russie a assaini sa situation financière, mis en coupe réglée sous l'autorité d'une maffia dirigeante le pays, mais l'ordre règne (et c'est là pour Poutine l'essentiel) et la Russie est repartie à l'offensive sur ses Marches comme le démontre la pacification militaire et génocidaire en Tchétchénie, les épisodes énergétiques en Ukraine, en Géorgie et en Belarus. Mais la Russie reste un État rentier, qui vit sur  l'exploitation de ses importantes ressources énergétiques, et qui si elle a remboursé sa dette rubis sur l'ongle n'a engagé aucune action d'investissements sérieuse pour préparer l'avenir  de son État et de sa population.
Elle est concurrencé directement par les États-Unis en Asie Centrale, subi l'immigration chinoise en Sibérie (et les implications politiques du processus sont importantes), l'Union européenne est à sa porte avec les pays Baltes et Turquie, Géorgie et Ukraine voudraient pouvoir la rejoindre et refermer sur la Russie un véritable étau géographique et stratégique.
L'installation en Europe centrale du dispositif de Guerre des étoiles et surtout le saut technologique majeur dans le domaine de l'armement qu'il constituerait signerait un nouveau déclassement de la Russie, si celle-ci n'obtenait pas par la menace de "représailles" l'avortement du projet. La Russie n'a sans doute pas les moyens aujourd'hui de rattraper son retard technologique sur les Américains mais elle garde sur l'Europe un pouvoir de nuisance énergétique, militaire et diplomatique certain. Les zones de conflits avec l'Union européenne sont multiples, comme le démontrent la crise cybernétique estonienne, le blocage sur l'indépendance du Kosovo, le soutien affiché à la Serbie (permettant aux passages aux nationalistes radicaux de crédibiliser leurs rodomontades populistes), le conflit avec la Transdniestrie et la Moldavie, l'épine géostratégique que consitue l'enclave de Kaliningrad entre Pologne et Lituanie...

Cette situation géopolitique devrait faire impérativement réfléchir les capitales européennes qu'elles soient du côté "vieux" ou "neuf" du continent...
En effet l'argument principal des gouvernements d'Europe centrale qui accepte aujourd'hui d'accueillir sur leur sol le dispositif de Guerre des étoiles des Américains est assez simple mais efficace. Le traumatisme causé en Pologne et en République tchèque par l'occupation soviétique pousse depuis leur Libération la grande majorité des gouvernants centreuropéen dans les bras des États-Unis ; cela explique leur ralliement à la seconde guerre du golfe. Ce tropisme est d'autant plus évident qu'ils jugent que l'Union européenne n'a pas les moyens elle-même d'assurer la défense et la sécurité de ses propres membres, et tout particulièrement celles des anciennes démocraties populaires dont la proximité géographique avec la Russie les expose plus fortement que d'autres à une éventuelle résurgence du projet "impérial" russe. Mais comme pour la guerre en Irak, les opinions publiques d'Europe centrale sont opposées à leurs gouvernements ; la difficulté réside dans le fait que ceux-ci n'ont d'alternative crédible.
Ainsi plus on s'approche de la Russie, les nouveaux membres de l'union n'ont eu de cesse de vouloir accélérer leur adhésion à l'OTAN - adhésion à l'OTAN signifiant pour eux le volet militaire de l'adhésion à l'Union européenne. Et c'est bien là le dilemme : malgré la fusion à la fin des années 1990 des institutions de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) et de l'Union européenne, malgré les bases d'une Europe de la Défense posées en 1998 par Tony Blair et Lionel Jospin, l'Europe engluée dans les stratégies divergentes de ses membres et dans l'impuissance institutionnelle n'a jamais pu avancer de nouveau sur le chemin de l'intégration militaire.
Le continent européen est donc condamné à subir les montées de tension entre intérêts américains et russes qui ne pourront que s'aggraver au fur et à mesure de des morceaux entiers de l'ex-Union soviétique voudront se tourner vers les États-Unis et l'OTAN (Ukraine, Géorgie, Asie Centrale...). Dans la défense même de ses propres intérêts, de ceux de ses membres - comme avec l'agression cybernétique sur l'Estonie suite aux affrontements entre une partie de la communauté russophone et les forces de l'ordre, après le déplacement d'un monument à la gloire de l'Armée rouge -, la protection de ses frontières et la pacification de son environnement proche (Kosovo, Moldavie...), l'Union européenne est contrainte de se replier sur l'OTAN et de se livrer aux États-Unis sans aucune garantie (notamment avec l'administration Bush) que ceux-ci se préoccupent autant des intérêts propres des Européens que des leurs.

Le projet de traité constitutionnel européen édictait une mesure délirante dans ses longs paragraphes : il stipulait que le cadre traditionnel de défense commune de l'Union européenne, pour tous les membres qui n'avaient pas fait voeux de neutralité et de pacifisme définitif, était l'OTAN.Qu'en soi, une constitution, qui plus est irrévisable, détermine une stratégie et une alliance militaire, est déjà sidérant ; qu'ensuite on se lie les mains avec une structure militaire dirigée de l'extérieur est affligeant de bêtise. Par contre le simple fait que les membres neutralistes (Autriche, Suède, Finlande...) de l'Union ait accepté de parler affaires militaires dans le cadre de la négociation du feu projet de TCE est tout de même une logique intéressante.
En effet, sauf à rester pieds et poings liés à l'OTAN et donc aux États-Unis et à subir les conséquences des choix militaires et géopolitique unilatéraux de l'ancienne hyper-puissance, il va falloir convaincre l'ensemble des partenaires de l'Union, ou tout du moins les plus avancés, d'entrer dans une logique d'intégration militaire et stratégique qui dépasse de loin les faibles ambitions de la PESC. Et sauf à croire que la Grande-Bretagne devienne subitement fédéraliste, ou qu'elle décide de rompre sa "relation particulière" avec les États-Unis, c'est en priorité avec l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne que nous devrons avancer rapidement, en termes de politique industrielle, de recherche/développement et d'intégration géostratégique et militaire, pour répondre aux défis qui nous sont posés par la proximité de la Russie et vraisemblablement un certain nombre d'intérêts profondément divergents à long terme ; et cela va coûter cher mais on peut espérer une mutualisation des coûts. Mais cette avancée ne peut se faire qu'avec l'aval des neutralistes et en allant suffisamment vite pour convaincre Pologne, Hongrie et République tchèque de nous rejoindre, Grèce et Turquie de ne pas jouer contre l'Europe.

Frédéric FARAVEL
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4 mars 2007 7 04 /03 /mars /2007 10:41
Défense : Ségolène Royal veut maintenir l'effort et changer les méthodes
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 04.03.07 | 08h55  •  Mis à jour le 04.03.07 | 09h49

a défense "est l'affaire de tous", a déclaré Ségolène Royal en présentant, samedi 3 mars, ses orientations sur un sujet qu'elle n'avait encore que peu évoqué. Devant un parterre composé surtout de spécialistes, réuni par Jean-Pierre Chevènement à la Maison de la chimie, la candidate socialiste à la présidentielle a affirmé qu'elle "veillerait" à ce que la dissuasion nucléaire "indispensable à notre indépendance (...) garde en permanence sa crédibilité et dispose des moyens de sa modernisation". Mais "je n'ambitionne pas de rivaliser avec les 7 000 têtes américaines ou russes" a-t-elle affirmé, défendant le "principe de la stricte suffisance".

Quelques jours avant son rival Nicolas Sarkozy, qui doit s'exprimer mercredi sur ce thème, Ségolène Royal a souhaité maintenir le budget de la défense au niveau actuel, soit 2% du produit intérieur brut (PIB), tout en l'adaptant : "l'effort sera hiérarchisé" et "toutes les coopérations européennes seront recherchées", a-t-elle indiqué. Le programme de simulations nucléaires sera poursuivi, tout comme le renouvellement des "vecteurs sous-marins et aériens" et la livraison du sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération. Revenant sur la construction d'un deuxième porte-avion, elle a rappelé que celle-ci"peut se réaliser en coopération avec les Britanniques", mais qu'"un gouvernement de fin de mandat ne saurait, en démocratie, vouloir rendre 'irréversible', comme je l'entends dire (...), un programme qui incombera entièrement à son successeur et dont la nécessité de surcroît n'apparaît pas clairement établie".

FAIRE PASSER LA DÉFENSE DU DOMAINE RÉSERVÉ AU DOMAINE PUBLIC

La candidate a soutenu une vision "globale" de la défense, où "tout se tient, du renseignement à la protection de l'eau potable", tournée vers l'Europe, car elle n'entend "pas mettre (ses) pas dans ceux de l'administration américaine". "Devant le désordre du monde, nous devons faire émerger en Europe un acteur stratégique" et "veiller à ce que l'OTAN ne dérive pas vers un rôle de gendarme du monde, se substituant à l'ONU", a-t-elle estimé. "La défense européenne depuis cinq ans est en panne", a-t-elle regretté, proposant de la faire avancer sur le plan institututionnel et des collaborations concrètes. Sur le nucléaire iranien, elle a réitéré ses appels à une "fermeté sans faille" pour que Téhéran "se soumette aux contrôles de l'AIEA".

En fille et soeur de militaires, Ségolène Royal a particulièrement insisté sur la nécessité de "renouveler la confiance entre les citoyens et la défense". Elle a souhaité que"le Parlement dispose de moyens sérieux de contrôle", sur les activités de renseignement, les opérations extérieures et les exportations d'armes, "et qu'il les exerce efficacement afin de soustraire la défense au domaine réservé (du président)  pour la réintégrer dans le domaine public". Elle a rappelé sa proposition d'un service civique qui "pourra avoir une dimension de formation de base aux missions de protection civile et de défense du territoire" et "déboucher sur des volontariats de services longs de 18 à 24 mois". Pour renforcer "l'attractivité de la condition militaire", elle a proposé la levée des "restrictions en tous genres" pesant sur eux, afin qu'ils accèdent "à la pleine citoyenneté" et soient mieux représentés.

La France n'est pas une puissance pacifiste ; c'est une puissance pacifique

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