Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
Me contacter

en savoir plus

 

Trouve

Gauche Républicaine & Socialiste

10 avril 2020 5 10 /04 /avril /2020 11:00

Le 23 mars dernier, le Parlement a - dans des conditions exceptionnelles de présence et d'urgence - a autorisé le gouvernement d'Edouard Philippe à légiférer par ordonnances pour faire face à la situation dramatique et inédite créée par la pandémie de CoVid-19 et ses conséquences notamment en raison du confinement.

Plusieurs groupes parlementaires - LFI et GDR à l'Assemblée nationale, CRCE au Sénat - ont voté contre cette habilitation (les groupes socialistes dans les deux chambres ont en grande majorité choisi l'abstention) car les champs couverts par ces ordonnances étaient extrêmement larges, indiquant souvent des orientations injustifiées et injustes, et pourtant oubliant des chantiers essentiels (comme le financement de l'hôpital public ou la réorientation de la production vers des biens essentiels à la période). J'avais eu l'occasion d'écrire à ce sujet il y a quelques semaines dans cet article.

La Gauche Républicaine & Socialiste m'a confié dans les jours qui ont suivi un travail de coordination pour décrypter les ordonnances rédigées par le gouvernement conformément à la loi d'urgence du 23 mars 2020. Ce travail - pénible car il a fallu lire les 34  ordonnances, consulter plusieurs amis spécialistes (je remercie Adélaïde, Clara, Alicia, Caroline et Julien), lire des dizaines d'articles (de loi, de règlements ou d'analyse) se rapportant aux sujets couverts pour en mesurer les conséquences - a confirmé l'analyse de la loi d'urgence du 23 mars.

Evidemment, l'essentiel des mesures prises sont importantes et nécessaires ; la situation exceptionnelle nécessitait de prendre des mesures exceptionnelles pour y faire face. Mais à bien des égards, les mesures prises dans certains domaines sont disproportionnées ou injustifiées. Je pense évidemment à celles concernant le code du travail : elles ont été largement dénoncées à l'avance notamment sur les jours de congés, les RTT et les récupérations. La dérogation donnée à l'employeur d'imposer leurs congés aux salariés n'est soumise que pour la première catégorie à la nécessité d'un accord d'entreprise (dont se demande dans quelles conditions il serait négocié). Mais malgré le caractère excessif, ces mesures sont bornées dans le temps bien que courant jusqu'à une date extrêmement tardive : le 31 décembre 2020. Il est plus inquiétant de voir qu'on organise l'incapacité de la médecine du travail à vérifier la réalité des conditions d'hygiène et sécurité des salariés restés en première ligne, au prétexte de les concentrer sur le dépistage du CoVid-19 ; si on ajoute à cela la situation dégradée que connaît depuis longtemps l'inspection du travail, il y a là un véritable soucis durable pour éviter que des situations de travail dégradées soient prévenues, lesquelles pourraient à la fois épuiser les salariés et ne pas empêcher la propagation du virus dans des secteurs économiques essentiels. Alors que pourtant dans cette période il aurait fallu plus que jamais protéger les salariés, parce qu'on n'a jamais eu autant besoin de ceux qui sont en première ligne.

Je suis également particulièrement inquiet des conséquences de "l'adaptation" des règles de la procédure pénale et des procédures civiles : les conséquences en matière de gardes à vue, de liberté, de droit de la famille, me paraissent disproportionnées et je rejoins le syndicat de la magistrature dans sa crainte qu'une application sur une aussi longue période risque de contaminer peu à peu le droit commun... d'autant que le système DATAJUST créant un algorithmes de détermination des indemnisations pour préjudice corporel rentre en application dans la même période, ce qui ne peut que renforcer les risques en termes de mise en cause de collégialité de la délibération, des droits de la défense ou d'individualisation des peines et situation.

Enfin, une dernière remarque concernant des mesures qui me paraissent traduire dans des domaines très différents soit une déconnexion avec la réalité de terrain, soit un mépris social pour les destinataires de ces mesures. La création d'un fonds de solidarité pour les PME ou la prolongation des droits sociaux étaient l'une comme l'autre des mesures nécessaires ou attendues mais - outre le fait que le fonds de solidarité paraît sous-dimensionné et exonère trop facilement la responsabilité des compagnies d'assurance (qui ne sont mis à contribution qu'à hauteur de 200M€), les procédures de mise en oeuvre ou de sortie des dispositifs de prolongation de droits sociaux avec les difficultés inhérentes au public concerné sont souvent complexe et mal pensées.

Bref, ce ne sont que quelques exemples issus des 34 ordonnances qui font l'objet de ce décryptage. Il conviendra désormais d'être vigilants sur les conséquence de leur mise en oeuvre durant l'état d'urgence sanitaire, durant la période de transition qui suivra et enfin lorsqu'il faudra s'assurer qu'elles seront bien caduques une fois cette crise passée.

Frédéric FARAVEL

Pour accéder aux différentes notes je vous invite à cliquer sur l'image ci-dessous...

Décryptage des ordonnances COVID-19 par la "Gauche Républicaine et Socialiste"
Décryptage des ordonnances COVID-19 par la GRS

 

Partager cet article
Repost0
8 avril 2020 3 08 /04 /avril /2020 07:56

Après l'entretien donné au Figaro le 30 mars dernier, c'est Libération qui est allé interroger Arnaud Montebourg sur la situation de notre pays. Retiré (temporairement ?) de la vie politique depuis les élections présidentielles du printemps 2017, celui qui paraissait avoir lors de la primaire organisée par le PS les arguments les plus sérieux pour rassembler la gauche avait été violemment boudé par les électeurs qui s'étaient laissés prendre au duel entre Benoît Hamon et Manuel Valls. On connaît la suite...

C'est l'un des rares hommes politiques à avoir réussi sa reconversion ; certains diront que tout cela n'est qu'une manière de communication politique. Peut-être... Peut-être pas... ces considérations sont aujourd'hui secondaires. La pertinence et la cohérence de sa réflexion et du projet qu'il avait souhaité proposer en 2016-2017 prennent subitement consistance au milieu d'une crise à laquelle la France a tout fait pour ne pas se préparer de 2002 à aujourd'hui.

Face à la catastrophe néolibérale construite patiemment sous Sarkozy, Hollande et Macron, Arnaud Montebourg esquisse des idées pour un avenir démondialisé, plus solidaire, plus écologique. Il me paraissait nécessaire de reproduire ici en accès libre cette expression.

Frédéric FARAVEL

"L'austérité se paye aujourd'hui en morts dans nos hôpitaux" - Arnaud Montebourg dans Libération (8 avril 2020)

Ancien ministre du Redressement productif puis de l’Economie de François Hollande jusqu’en 2014, Arnaud Montebourg défend depuis 10 ans le concept de «démondialisation», prônant la réappropriation des secteurs industriels stratégiques par l’Etat. En retrait de la vie politique depuis son échec à la primaire de la gauche en 2017 et désormais à la tête de deux entreprises équitables : Bleu Blanc Ruche (miel) et la Mémère (glace bio), il redonne de la voix à la faveur de la crise sanitaire, économique et sociale du coronavirus. Sévère sur l’action d’Emmanuel Macron et de la majorité, il appelle l’Etat à engager une «reconstruction écologique» : «Le moins d’importations possible, une économie davantage tournée vers le marché intérieur continental avec des bons salaires et de meilleurs prix pour rémunérer ceux qui produisent ici.»

Arnaud Montebourg : «Macron est-il le mieux placé pour parler de patriotisme économique ?»

Par Lilian Alemagna 7 avril 2020 à 20:01

Le 12 mars, lorsque vous entendez Emmanuel Macron déclarer que c’est une «folie» de «déléguer […] notre protection […] à d’autres» notamment en matière de santé, vous tombez de votre canapé ?

Pour moi, les discours n’ont aucune valeur. Ce qui m’intéresse, ce sont les actes. Qu’a fait Emmanuel Macron en la matière depuis 2014 ? A Bercy - où il m’a succédé -, il a malheureusement abandonné les 34 plans industriels de reconquête de notre souveraineté technologique, et il y en avait un important dans le secteur des équipements de santé dont aujourd’hui nous aurions bien besoin. Le chef de l’Etat est-il le mieux placé pour mener une politique de patriotisme économique, après avoir laissé filer Alstom, Technip, Alcatel, et combien d’autres ? Ces dernières années, la puissance publique n’a jamais voulu être présente pour pallier les défaillances du privé. Un exemple : avoir laissé Sanofi délocaliser la production de paracétamol en Chine et en Inde, alors que nous aurions pu utiliser la commande publique à des fins patriotiques pour maintenir la production en France. Le résultat est qu’on rationne aujourd’hui les Français en boîtes de paracétamol.

Mais lorsque Bruno Le Maire parle de «nationalisations» et de «patriotisme économique», vous le vivez comme une victoire idéologique ?

Ce transformisme intellectuel aura du mal à trouver sa crédibilité. Ces personnes ont enfilé un costume, une apparence, mais est-ce une réalité ? A Bercy, lorsque j’ai proposé des nationalisations, Emmanuel Macron expliquait que l’on n’était «pas au Venezuela» et aujourd’hui lui-même propose donc de «faire le Venezuela»… Les nationalisations sont tout simplement des outils naturels d’exercice de la souveraineté et de l’indépendance nationale. Si beaucoup le découvrent aujourd’hui, je m’en réjouis. Mais que de temps perdu, d’usines fermées, de brevets, de salariés et de savoir-faire abandonnés qu’on aurait pu conserver…
Dans un autre moment de sa vérité, le Président avait qualifié ces Français anonymes qui travaillent dur pour vivre de gens «qui ne sont rien». Va-t-il soudain proclamer qu’ils sont «tout» ? Car ils comptent effectivement pour beaucoup, ceux, injustement méprisés, qui font tourner le pays, caissières, éboueurs, infirmières, instituteurs, manœuvres et journaliers de l’agriculture. Combien d’autres contorsions avec ses convictions devra-t-il accomplir encore pour retrouver la grâce électorale perdue ?

Que dit cette crise de l’état de notre État ?

Notre pays s’est soudé dans son histoire à travers la construction d’un Etat fort qui unifie et protège. La France a survécu aux plus graves tourments grâce à lui. Lorsqu’on constate une faiblesse chez cet Etat protecteur, on a le sentiment d’un affaissement du pays. C’est cette sensation d’humiliation que nous éprouvons en ce moment : en matière sanitaire, notre Etat a été imprévoyant, inconséquent et à l’évidence incapable de faire face, comme les contre-exemples de la Corée du Sud ou de Taïwan le démontrent.

"L'austérité se paye aujourd'hui en morts dans nos hôpitaux" - Arnaud Montebourg dans Libération (8 avril 2020)

le coût économique et social énorme qu’aura cette crise aurait pu être atténué si nous avions investi dans nos hôpitaux et dans notre industrie des matériels de dépistage et de protection.
Il faudra donc demain des budgets pour l’hôpital beaucoup plus conséquents…
Ça va bien au-delà de l’hôpital ! Il s’agit là de notre indépendance productive et technologique.

La faute à qui ?

De nombreux rapports (parlementaires, scientifiques et même de technocrates aujourd’hui au pouvoir) ont alerté, ces dernières années, sur les risques en cas de forte épidémie. Ils ont été ignorés. Les décisions ont été prises en fonction d’intérêts de court terme. Nous payons le prix en nombre de morts de cette conception stupidement budgétaire et faussement managériale de l’Etat. Car la France a adapté sa politique sanitaire à des moyens médicaux insuffisants. Résultat : on confine tout le pays et on détruit l’économie pour permettre aux chiches moyens médicaux de faire face. C’est reconnaître que le coût économique et social énorme qu’aura cette crise aurait pu être atténué si nous avions investi dans nos hôpitaux et dans notre industrie des matériels de dépistage et de protection.
Il faudra donc demain des budgets pour l’hôpital beaucoup plus conséquents…
Ça va bien au-delà de l’hôpital ! Il s’agit là de notre indépendance productive et technologique.

C’est-à-dire ?

Nous avons besoin d’inventer une nouvelle puissance publique, capable de nous conduire dans les crises et les transitions. Qui n’applique pas seulement des règles mais traite avant tout les problèmes. Aujourd’hui, nous avons une technostructure qui applique des process, des réglementations et des normes. Cela bloque toute une société - d’élus locaux, de PME, d’agents publics, d’associatifs… - qui essaie, elle, de s’organiser et de se débrouiller. Le technocratisme vertical nous coule !

En même temps vous ne pourrez pas changer tous les fonctionnaires…

Ce ne sont pas eux qui sont en cause mais l’organisation de l’Etat. Elle est obsolète. Face aux marchés, l’Etat a été incapable d’affirmer nos intérêts collectifs et s’est dévitalisé. Voilà près de vingt ans que nos gouvernants s’appliquent à réduire le champ de l’Etat. On voit le résultat : un Etat qui organise sa propre défaisance est donc défait en période de combat. Une reconstruction majeure se présente devant nous. Et il faudra s’y employer avec des règles nouvelles décidées avec la société, par les citoyens et les consommateurs. Les premiers parce qu’ils vont décider d’organiser la société à travers de nouveaux choix politiques. Les seconds parce qu’ils voudront, dans les produits qu’ils choisiront pour leur vie quotidienne, obtenir la preuve que les humains qui les auront fabriqués sont proches d’eux et auront défendu les mêmes valeurs d’équité sociale et environnementale qu’eux.

"L'austérité se paye aujourd'hui en morts dans nos hôpitaux" - Arnaud Montebourg dans Libération (8 avril 2020)

la «reconstruction écologique» : le moins d’importations possible, une économie davantage tournée vers le marché intérieur continental, avec des bons salaires et de meilleurs prix pour rémunérer ceux qui produisent ici.

Un «Made in France» écolo ?

Pas seulement. Il s’agit d’une reconquête de notre souveraineté au sens large : alimentaire, technique, numérique, énergétique. Pourquoi importer tant de pétrole ? Cette question va très vite se poser… Il va falloir recentrer le plus possible nos économies sur ce que nous sommes capables de produire. C’est ce que j’appelle la «reconstruction écologique» : le moins d’importations possible, une économie davantage tournée vers le marché intérieur continental, avec des bons salaires et de meilleurs prix pour rémunérer ceux qui produisent ici.

Est-ce la suite de votre constat de «démondialisation» fait en 2011 ?

C’est la mise en œuvre d’une politique que j’ai appelée «Made in France» lorsque j’étais à Bercy. Car la mondialisation telle qu’on l’a connue est instable, dangereuse et non-démocratique. Personne n’a obtenu de mandat pour mettre en concurrence des Etats qui esclavagisent leurs travailleurs, piétinent les lois environnementales élémentaires, avec des nations qui ont à leur actif 200 ans d’acquis syndicaux et sociaux et des lois environnementales d’avant-garde. C’est pourquoi la fragmentation de la mondialisation me paraît irrésistible.

Mais la technostructure en place est-elle capable de mettre en œuvre des tels changements ?

C’est la société tout entière qui définira ses objectifs et ses buts de paix. Tout cela sera débattu et arbitré démocratiquement. Aujourd’hui, dans la société, il y a des tas de ressources, y compris dans les corps de l’Etat, qui ne demandent qu’à être stimulées. L’Etat a sacrifié la préparation de l’avenir. La crise que nous vivons nous prouve qu’il faut penser et bâtir le long terme.

Vous diriez-vous désormais «souverainiste» ?

J’utilise le mot d’«indépendance». Etre indépendant, c’est ne pas dépendre des autres, décider pour nous-mêmes. La France, pays libre, n’a pas vocation à être assujettie aux décisions des autres. Pas plus de la Chine et des Etats-Unis que de l’Union européenne quand les décisions sont gravement contraires à ses intérêts. L’exercice de la souveraineté est un de nos fondements depuis la Révolution française qui l’a conquise sur les monarques. Si on sort des débats de positionnement politique et que l’on reste sur les contenus, je continuerais à parler d’«indépendance» : militaire et stratégique (c’est la bombe atomique), énergétique (c’était le nucléaire et ce sont désormais les énergies renouvelables), technologique (ce sont nos industries pharmaceutique, aéronautique, automobile, ferroviaire aujourd’hui affaiblies), numérique (ce sont les GAFA qui nous manquent).

"L'austérité se paye aujourd'hui en morts dans nos hôpitaux" - Arnaud Montebourg dans Libération (8 avril 2020)

Oui, «l’argent magique» existe pour les Etats dans certains cas quand ils le décident. Ces derniers vont donc sortir renforcés de cette épreuve comme outils de direction de l’économie. [...] Soit l’Union européenne sert à traiter les problèmes des gens, soit les gens se passeront de l’UE et elle sera à son tour victime du Covid-19.

Comment observez-vous les nouveaux désaccords au sein de l’UE dans cette crise sanitaire ?

Si certains Etats refusent hélas de mutualiser les dettes, après tout ils prennent le droit d’être égoïstes, ce qui nous autorisera pour une fois à l’être enfin pour nous-mêmes ! En revanche, tous devront dire ce que nous faisons de nos futures montagnes de dettes publiques et privées. Faites un premier calcul pour la France : le coût du chômage partiel, plus les réinvestissements dans le secteur sanitaire, plus les crédits garantis par l’Etat aux banques, plus toutes les faillites que l’on essaiera d’éviter… Tout cela mis bout à bout, dans 6 mois, on sera pas loin de 300 milliards d’euros au bas mot ! Aujourd’hui, aucun traité européen ne le permet et le virus va mettre tous les pays - au Nord comme au Sud - à égalité. Que fera-t-on ? Imposer des plans d’austérité ? Pas question de refaire les mêmes erreurs qu’il y a dix ans. Reste alors deux solutions : lever encore des impôts ou bien… annuler ces dettes. Le débat qu’il faut ouvrir n’est donc pas seulement la «mutualisation» des dettes mais leur annulation. La France devra demander que la Banque centrale européenne monétise ces dettes car elles seront insoutenables. Personne ne sera spolié. Il s’agira de faire tourner la planche à billets comme l’ont fait la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine après la crise de 2008. C’est ce que l’UE aurait dû faire au lieu d’imposer des cures d’austérité qui ont détruit les services publics. Des décisions qui, aujourd’hui, se paient en morts dans nos hôpitaux et nos Ehpad. Oui, «l’argent magique» existe pour les Etats dans certains cas quand ils le décident. Ces derniers vont donc sortir renforcés de cette épreuve comme outils de direction de l’économie. C’est un point très important et très positif.

Mais ne craignez-vous pas au contraire un renforcement des nationalismes ?

Soit l’Union européenne sert à traiter les problèmes des gens, soit les gens se passeront de l’UE et elle sera à son tour victime du Covid-19. C’est aussi simple que cela. Tout le monde va devoir réviser ses précis de catéchisme européen.

Dans Libération, Julien Dray a appelé à ce que «la gauche» – dont vous êtes issu – soit «au cœur d’un grand front républicain arc-en-ciel». Qu’en pensez-vous ?

J’ai 30 ans de socialisme dans les jambes. Mais aujourd’hui, je ne suis plus rattachable à un quelconque parti politique. Je suis «inorganisé» et je ne sais plus ce que «la gauche» veut dire parce que «la gauche» a mené des politiques de droite et enfanté Emmanuel Macron. Lorsque j’ai quitté le gouvernement de Manuel Valls, on m’a dit qu’on ne partait pas pour 15 milliards d’euros à redistribuer aux ménages… Ces «15 milliards», c’est la somme finalement arrachée par les gilets jaunes en 2018 ! Je ne sais plus ce qu’est «la gauche», même avec une couche de peinture écologique dessus. En revanche, je sais ce que sont la France et les aspirations des Français.

Que comptez-vous alors apporter ?

Une analyse, une vision, des idées, de l’entraide et chacun en fera ce qu’il voudra.

Arnaud Montebourg en couverture de Libération du mercredi 8 avril 2020

Arnaud Montebourg en couverture de Libération du mercredi 8 avril 2020

Partager cet article
Repost0
24 mars 2020 2 24 /03 /mars /2020 09:33

La mobilisation générale ne saurait justifier un chantage à l’unanimité, surtout quand des décisions pourtant nécessaires ne sont pas prises et que certaines autres pourraient se révéler négatives voire dangereuses alors même qu’elles ne semblent pas justifiées pour affronter efficacement la crise sanitaire.

Ce n’est peut-être pas le moment de tirer le bilan des responsabilités et de l’incurie évidente (voire des mensonges du gouvernement) dans les premières décisions face à l’épidémie de COVID-19, l’impréparation de notre pays à une crise sanitaire et dans la fragilisation de son système hospitalier. Par contre, il est indispensable d'alerter l'opinion sur les graves problèmes qui se posent aujourd’hui (accès aux masques, développement des tests, matériels respiratoires…) ou qui pourraient se poser demain (pénuries de médicaments, approvisionnement) auxquels il faut apporter dès maintenant des solutions. Or lors du débat parlementaire sur les trois projets de lois présenté par le gouvernement, ce dernier a été confus sur la façon de répondre à ces différents enjeux ; il n'a pas convaincu que tout était mobilisé (réquisitions d’entreprises, etc.) pour y arriver, car pour une partie ses priorités étaient ailleurs.

Comment peut-on approuver des lois parfois dangereuses et inutiles pour affronter la crise sanitaire ? L'opposition de gauche (car la droite sénatoriale a plutôt servi les desseins du gouvernement) n'a défendu qu'un seul objectif dans le débat parlementaire : améliorer la capacité des pouvoirs publics à faire face efficacement à l’épidémie actuelle dans le respect de nos cadres démocratique. L’examen de la loi d'urgence a plus aggravé les craintes que réellement fait avancer nos capacités collectives à agir.

En définitive, le rôle et le contrôle du parlement sont excessivement restreints : L'état d'urgence sanitaire est prévu par cette loi pour deux mois (le texte du gouvernement initial était d’un mois) avant prolongation éventuelle (décidée par la loi et donc le Parlement) ; durant ces deux mois, il n'est pas prévu de consultation du Parlement. La durée d'un état d'urgence « classique » décidé par décret n'excédait pourtant jusqu'ici pas douze jours ! Par ailleurs, le gouvernement n’aura aucune obligation légale à informer le Parlement sur les mesures exceptionnelles qu’il prend pendant ces deux premiers mois. Le texte supprime l’information du parlement par l'exécutif et les autorités administratives sur les mesures prises. Lorsque l’information du Parlement est citée dans le texte, en terme très vague, c’est toujours sans modus operandi.

Le gouvernement a refusé la mise en place d’un comité de suivi restreint entre Parlement et exécutif. Pourtant, ce lien entre les représentants du peuple dans leur diversité et le pouvoir est essentiel pour l’adhésion, la confiance des Français et surtout pour l’efficacité de l’action (retours du terrain, échanges et partages des analyses). In fine, il est assez inquiétant que le gouvernement et la droite sénatoriale se soient accordés sur un texte qui crée à l'article 5 un état d'urgence sanitaire où le Parlement est associé pour ensuite écrire à l'article 5bis qu'il déroge aujourd'hui à l'article 5 et rallonge les délais d'état d'urgence et ce sans contrôle parlementaire…

Les droits sociaux sont mis à mal sans réelle utilité ... et les garanties sanitaires des salariés sont mal assurées. Dès le début, le gouvernement a proposé deux remises en cause importantes du droit du travail : la possibilité pour un employeur de mettre d'autorité en congé payé ses salariés (tout cela pour économiser du chômage partiel !) ainsi que de déroger aux 35H, réglementations sur le temps de travail, et autres. Tout cela sans limite dans le temps. Donc vraisemblablement au-delà de la durée de la crise sanitaire que nous traversons. À l’issue du débat, la remise en cause des congés payés est limitée à 6 jours et à la conclusion d’un accord de branche, mais pas le reste, en particulier ce qui relève du temps de travail. Or pendant la crise sanitaire, ces remises en cause ne s’imposent en rien, car, sans l’adhésion des salariés, rien n’est possible… et si certains secteurs sont vitaux, les réquisitions devraient être l’arme absolue, sans compter que les salariés qui travailleraient dans des secteurs stratégiques sont conscients de leurs responsabilités et capables des efforts nécessaires, à condition d’être associés et surtout bien protégés. Dans tous les cas, les organisations syndicales, les Commissions hygiène & sécurité des CSE (qui ont remplacé les CHSCT), auraient dû être systématiquement associées pour agir au mieux. Ce n'est malheureusement pas le cas, nous le paieront cher. Il est inadmissible qu’il n’y ait aucune limite dans le temps à ces mesures, car il se saurait être question d’accepter ces dérogations pour l’après-crise et d'expliquer que le redressement du pays serait conditionné à ces reculs massifs. Notre redressement économique ne peut reposer que sur une stratégie publique massive, un plan de relance, d'une part, avec une conférence sociale tripartite syndicats-patronat-Etat pour définir le cadre social de ce redressement, d'autre part. Il est hors de question que le seul effort qui soit demandé le soit aux seuls salariés et que ce soit une énième occasion de détricoter le code du travail. Le refus du gouvernement de toucher un seul cil de la fiscalité des très hauts revenus ou de rétablir (même temporairement) l'ISF sont des signes inquiétants, qui démontrent bel et bien comme je l'écrivais plus haut que le gouvernement et la droite visent des priorités différentes que la seule résolution de la crise actuelle.

Aujourd'hui, les salariés qui travaillent et qui sont indispensables à la résilience du pays manquent cruellement de protections ! Là devrait pourtant être la priorité absolue. L’injonction de Murielle Penicaud à aller travailler sans hiérarchiser les secteurs à mobiliser, en contradiction avec les messages de confinement, sont inacceptables. D'autant plus que les propositions pour interdire les licenciements dans cette période n’ont pas été acceptées !

Enfin, Les besoins des hôpitaux ont été insuffisamment pris en compte. Le président de la République a répété que les actions nécessaires seraient conduites « quoi qu'il en coûte »... mais alors que des crédits sont à juste titre prévus pour les entreprises, aucun effort budgétaire n’est défini, dans ces lois, pour l’hôpital public qui manque toujours cruellement de moyens. La réalité devant nos yeux est bel et bien que le « quoi qu'il en coûte » n'engage que les naïfs qui croient encore à la parole présidentielle.

L'heure des comptes viendra ! En attendant, sauvez des vies, restez chez vous !

Frédéric Faravel

Partager cet article
Repost0
12 mars 2020 4 12 /03 /mars /2020 08:59
LE CORONAVIRUS, LA MONDIALISATION NÉO-LIBÉRALE ET LA BATAILLE CULTURELLE

Le texte publié ci-dessous est une analyse géopolitique et économique de la Gauche Républicaine & Socialiste rédigée le mercredi 11 mars 2020

Les places financières mondiales se sont effondrées en ce début mars. Une telle violence des baisses d’indices, de l’ordre de 20% en quelques séances, n’avait plus été observée depuis le krach de 2008. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour aboutir à ce désastre : des anticipations de croissance moroses, l’arrêt de l’activité en Chine pour cause de coronavirus et un vif désaccord entre Saoudiens et Russes sur la production de pétrole.

Chronologiquement, c’est ce dernier facteur qui a précipité la chute. L’Arabie Saoudite était plutôt encline à réduire la production et soutenir ainsi les cours du baril. La Russie se disait pour sa part qu’un baril durablement sous les 40 dollars pourrait détruire l’industrie américaine du pétrole de schiste (dont le seuil de rentabilité se situe au-delà des 50 dollars). C’est le point de vue de cette dernière qui a finalement prévalu. Mais les cours du pétrole étaient déjà bas, reflétant la faiblesse de l’économie réelle, dès avant l’impact du coronavirus. La gestion de la maladie par la Chine n’a fait qu’aggraver une situation latente de surproduction – et donc de survalorisation des cours de bourse.

A présent, on ne peut que redouter les effets dévastateurs de la crise financière sur la sphère productive. Les banques vont essuyer des pertes colossales et réduire encore davantage l’accès des entreprises au crédit (investissements et surtout trésorerie). De l’autre côté, le coronavirus entraîne non seulement des ruptures d’approvisionnement mais aussi des reports voire des annulations pures et simples d'événements, de transports, de voyages touristiques et professionnels, etc. Ce premier trimestre 2020 subit donc à la fois un choc d’offre et un choc de demande. Tout (en tout cas beaucoup) dépend maintenant de la vitesse de récupération de la Chine, atelier du monde.

Si l’Empire du Milieu se remet en marche d’ici quelques semaines, peut-être que l’économie repartira. Mais ça n’est qu’un « peut-être » car pour de très nombreuses entreprises et secteurs d’activité, « quelques semaines » veut dire une éternité. Faute de clients, de pièces détachées et de crédit, des milliers d’entreprises pourraient avoir entre temps déposé leur bilan.

Mis à part les mesures conjoncturelles que prendront les gouvernements pour atténuer ces chocs (inondation de liquidités sur les marchés, dégrèvements fiscaux et sociaux, voire même des relances budgétaires), la grande question que pose évidemment cette crise est celle de notre dépendance matérielle à la Chine. La consommation mondiale et notamment occidentale, s’appuie sur une production dont la chaîne de valeur remonte presque toujours 

là-bas. Hormis quelques niches de type armement ou centrales nucléaires, toute notre industrie contient du Made in China. Si la Chine s’effondre, nous ne pouvons plus produire de voitures, d’avions, d’appareils électroniques, de machines, de médicaments, ni même de vêtements ou de maisons.

C’est si vrai que l’effet le plus catalyseur, intellectuellement, du coronavirus a été de convertir des amoureux de la mondialisation heureuse comme Thierry Breton ou Bruno Le Maire aux vertus de la souveraineté économique. C’est à peine s’il faut se pincer, pour être sûrs de bien les entendre expliquer aujourd’hui le contraire de ce qu’ils nous infligeaient hier. Ils prononcent le mot « relocalisation ». Ils ne font plus des sauts de dix mètres sur leur chaise lorsqu’on leur suggère que le concept de « démondialisation » n’est pas si stupide, ni soviétique, ni vénézuélien que tous les idéologues néolibéraux nous l’enseignaient jusqu’il y a deux mois. On commence à se dire que passer des accords de libre-échange avec l’Australie pour lui acheter du bœuf ou la Nouvelle-Zélande pour lui acheter du lait, n’est pas forcément d’une rationalité économique évidente.

Même l’Union européenne bruisse de ces réflexions sacrilèges – lesquelles ne sont certes pas encore parvenues au cerveau du Commissaire au Commerce international (ce qui s’explique sans doute par la lenteur des influx nerveux chez les dinosaures). Même l’Allemagne (!!!!) convient que la règle d’or budgétaire est un peu trop rigide.

Nous assistons donc aux prémices d’une victoire culturelle. Les faits nous donnent raison. La tension extrême dans laquelle se déploient les flux économiques et financiers mondiaux est en train de se rompre, nous laissant momentanément à poil, et honteux – par exemple de devoir compter sur la Chine pour fournir l’Italie en appareils de réanimation médicale, ou Sanofi en principes actifs médicamenteux.

Tout cela, toutes ces innombrables choses qui nous permettent de vivre dans un confort à peine imaginable pour les humains d’il y a un siècle et demi, nous pouvons le produire nous-mêmes, chez nous. Sans supprimer la mondialisation, nous pouvons et nous devons rapatrier des industries et les compétences, les savoir-faire et les salaires qui vont avec. Le coronavirus vient de nous montrer que la démondialisation n’est pas qu’une question idéologique, ni même principalement sociale; c’est une question de survie.

Partager cet article
Repost0
16 décembre 2019 1 16 /12 /décembre /2019 15:41
"Pourquoi la retraite à points du gouvernement est bien une réforme néolibérale" par Romaric Godin

article publié par Romaric Godin dans Mediapart 16 décembre 2019

L’attachement du gouvernement au changement structurel du système de retraites n’est pas surprenant, car cette réforme affaiblit le monde du travail. Elle permet aussi de réduire les transferts sociaux et d’envisager de futures baisses d’impôts. C’est une réforme profondément ancrée dans la pensée néolibérale.

La réforme systémique des retraites est cruciale pour ce gouvernement. L’exécutif s’accroche à cette « retraite à points » malgré l’évidence au mieux d’une méfiance, à tout le moins d’un rejet de ce système par la population. Mercredi 11 décembre au soir, sur TF1, le premier ministre Édouard Philippe assurait encore de sa « détermination » à aller jusqu’au bout de cette réforme. Se pose alors une question centrale : pourquoi ? Pour y répondre, plusieurs éléments de langage du gouvernement sont avancés, mais tous révèlent la vraie nature de cette réforme : l’accélération de la transformation néolibérale du pays.

Une réforme juste ?

Le premier, et sans doute le moins sérieux, est celui de « l’égalité » ou de sa variante, la « justice ». L’universalité du nouveau régime mettrait tous les Français face aux mêmes droits et, a même osé Édouard Philippe dans son discours devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), achèverait l’ambition du Conseil national de la Résistance (CNR). C’est un des arguments les plus utilisés, sans doute parce que c’est le plus simpliste : mettre chacun dans la même case correspondrait à l’égalité. Cela permettrait d’en finir avec des « privilèges » qu’Édouard Philippe affirme « ne plus pouvoir justifier ».

L’argument ne résiste néanmoins pas longtemps à l’analyse. D’abord parce qu’il est bien étrange d’entendre cette majorité se soucier d’une égalité de façade, alors qu’elle a assumé et revendiqué une politique fiscale qui a, en 2018, creusé les inégalités comme rarement depuis trois décennies. Il est étrange, au reste, de vouloir corriger cette politique par la réforme d’un système de pensions qui est un des plus redistributifs d’Europe et qui permet de réduire le taux de pauvreté des plus âgés.

On pourrait également souligner qu’à peine né, le nouveau régime est déjà criblé d’exceptions, notamment pour les fonctions « régaliennes » de l’État, celles qui sont traditionnellement ménagées par le néolibéralisme. Barricadé depuis un an derrière des forces de l’ordre qui lui permettent d’oublier son impopularité, le gouvernement s’est empressé d’accorder aux policiers une nouvelle exception à l’universalité du nouveau régime. Dès lors, on comprend quelle sera la réalité de celui-ci.

Ce ne sera pas un régime universel, mais, comme le régime actuel, un régime troué d’exceptions. À la différence que, cette fois, ce ne sont pas les luttes sociales ou les rapports de force internes aux entreprises qui décideront de celles-ci, mais les priorités gouvernementales. Or, chacun sait ce que sont les priorités de l’État aujourd’hui : c’est une politique de l’offre et c’est revendiqué par le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire. Les exceptions concédées refléteront cette politique. L’État n’est donc plus le garant de l’intérêt général ou d’un équilibre entre capital et travail, mais bien plutôt le reflet d’une politique favorable au capital.

Derrière l’universalisme de façade et l’égalité en vitrine, on aura donc un désarmement par l’État du monde du travail et de sa capacité de forger des conditions de travail acceptables. C’est assez piquant de la part d’un exécutif qui prétendait, pendant la réforme du marché du travail, qu’il fallait prendre les décisions au plus près du terrain. Mais il est vrai, qu’alors, la réalité devait être favorable au capital…

La justice d’un régime de retraite ne peut être réalisée sous la toise d’une règle unique parce qu’il n’existe pas d’égalité de conditions de travail, ni d’égalité d’espérance de vie, ni d’égalité de départ dans les carrières, ni enfin d’égalités de conditions au sein des entreprises. Placer le fils d’ouvrier sur la même ligne qu’un fils de notaire revient à faire partir le premier avec de lourdes chaînes aux pieds et à le condamner à une retraite difficile et courte. Selon l’Insee en France, les hommes les plus aisés vivent en moyenne 13 ans de plus que les plus modestes. Est-il alors juste de faire partir tout le monde au même âge avec les « mêmes droits » ? N’est-il pas plus juste d’accepter alors des compensations à de faibles revenus par des avantages spécifiques à la retraite ? La justice, dans ce domaine, consiste nécessairement à sortir de l’égalité formelle. Mais la pensée néolibérale ne veut rien voir de ces réalités.

Les différences d'espérance de vie par niveaux de vie. © Insee

Les différences d'espérance de vie par niveaux de vie. © Insee

Ou bien alors faut-il entendre la justice autrement, comme un ajustement par le bas ? L’élargissement du calcul de la pension à l’ensemble de la carrière ne saurait être considéré comme une mesure de justice par rapport à un mode de calcul favorisant les meilleures années. Pour une raison évidente : le calcul va intégrer les moins bonnes années. C’est aussi simple que cela.

Certes, certains pourront acquérir des droits nouveaux s’ils travaillent moins des 150 heures de travail par trimestre, mais beaucoup d’autres verront leurs droits réduits. Lorsque le gouvernement annonce une très lente revalorisation du métier de professeur pour compenser les effets de la réforme, c’est bien qu’il reconnaît que leurs pensions seront beaucoup plus faibles. Ce n’est pas pour rien que le rapport Delevoye avait pris quelques liberté avec la rigueur de ses projections. Quant aux plus précaires, ils continueront à être doublement pénalisés, comme le note l’économiste Éric Berr : dans leur carrière et à la retraite. Autrement dit, la justice de cette réforme ressemble fortement à un écrasement vers le bas dans lequel certains « vainqueurs » passeront de presque rien à trop peu. L’illustration de ce tour de passe-passe est bien la fameuse retraite minimum à 1 000 euros par mois, soit 30 euros de plus qu’aujourd’hui. La justice et l’égalité pour la majorité, c’est donc avant tout partager la misère…

La logique de la retraite à points est de mimer l’épargne individuelle : il faudra glaner le plus de points. Comme le résumait Jean-Paul Delevoye, « celui qui aura fait une belle carrière aura une belle retraite, celui qui aura une moins bonne carrière aura une moins bonne retraite ». Et c’est sans doute cela ce que le gouvernement entend par la justice : refléter les « efforts » individuels. Les statuts et donc les protections issues de la lutte seraient des freins à cette réussite individuelle. Et c’est bien là l’idée de justice défendue par le néolibéralisme : une justice en forme d’égoïsme. Et ce n’est pas pour rien que, précisément, le système de retraite à points « mime » l’épargne individuelle. C’est un système qui promet un rendement de ses choix personnels, sans se soucier des conditions de ces rendements.

Dans ces conditions, l’argument le plus farfelu d’Édouard Philippe est sans doute celui de l’appel aux mânes du CNR. Car cette « égalité » revendiquée consiste surtout à réduire les droits de certains, à rebours de l’ambition du CNR. Rappelons que celui-ci avait défendu l’universalité du système de retraite pour donner des droits à tous dans un pays où l’assurance-vieillesse était une exception. L’universalité était celle de l’accès au droit à la retraite. Mais l’ambition du CNR s’inscrivait dans une logique de rattrapage par le haut, ce qui a motivé de conserver les exceptions pour les régimes plus généreux. Aplanir les pensions et les droits par le bas est l’inverse de l’esprit et de la lettre du projet de 1945.

Un déficit qui justifie la réforme ?

Le deuxième argument avancé en faveur de la réforme, c’est celui des finances. Le système de retraite français serait en péril en raison du déséquilibre croissant entre le nombre de cotisants et celui de pensionnés. Il a été répété le 11 décembre par Édouard Philippe. Ces oiseaux de mauvais augure en veulent pour preuve les prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoyant un déficit pouvant aller jusqu’à 27 milliards d’euros en 2030. Cette partition est jouée à chaque réforme pour défendre l’idée de la nécessité d’un « effort » et de l’allongement de la durée de cotisations. Mais, là aussi, l’argument ne tient pas.

D’abord parce que les réformes successives ont déjà prévu de réduire le montant et la durée des futures pensions. Les prévisions du COR ne prévoient pas de dépassement du niveau de 14% du PIB pour les dépenses de retraites en France d’ici à 2030, ce qui est précisément la limite fixée par la réforme proposée qui, soit dit en passant, n’envisage pas de sortir de ces prévisions. Autrement dit, la retraite à points n’offre pas directement de nouvelles mesures d’économies. Le déficit provient donc principalement des recettes, ce qui s’explique par deux facteurs : une dynamique des salaires trop faibles (notamment du fait d’un rythme modéré de hausse du SMIC) et, surtout, des mesures d’économies dans la fonction publique. En embauchant moins, l’État cotise moins et donc creuse le déficit des retraites. Mais, en théorie, ce déficit est le pendant des économies réalisées. Il n’est donc pas préoccupant en soi. Pointer le seul déficit des retraites, c’est donc viser le modèle de répartition intergénérationnel pour d’autres raisons que des raisons financières.

D’autant que les 27 milliards d’euros de déficit annoncé (chiffre soumis à des conditions très nombreuses et à l’incertitude naturelle de ce type de projection) ne sont guère un souci en soi. À partir de 2024, la dette sociale, autrement dit la dette de l’ensemble de la Sécurité sociale, aura été remboursée. Cela permettra de dégager pas moins de 18 milliards d’euros par an de recettes disponibles pour les caisses de la Sécu, donc des retraites, via la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et la part de la CSG qui est dirigée actuellement vers la Cades, l’organisme qui amortit cette dette. Dès lors, le déficit peut être fortement minoré sans augmentation d’impôts. Sans compter que le système de retraite français est riche : son patrimoine net est évalué par le COR à 127,4 milliards d’euros, soit pas moins de cinq fois plus que le déficit cumulé maximal de 2030. Et sur cette somme, le Fonds de réserve des retraites (FRR) créé par Lionel Jospin en 1999 pour… faire face aux futurs déficits dispose de 36,4 milliards d’euros fin 2017. Comme avec la baisse attendue des pensions, le système doit se rééquilibrer vers le milieu du siècle, il faut donc bien le dire : le système français des retraites n’a pas de problème de financement ni de déficit.

Le patrimoine du système des retraites. © COR

Le patrimoine du système des retraites. © COR

Le vrai problème, c’est bien la baisse du niveau de vie des retraités futurs qui a été programmée par les anciennes réformes et que la nouvelle n’entend pas corriger. Bien loin de là, puisque le gouvernement entend obliger le nouveau système à être à l’équilibre d’ici à 2027 par ses propres moyens. Comme les cotisations sont désormais fixes (c’est le principe de base de la retraite à points), on ne pourra jouer que sur les dépenses, donc les pensions. Mais alors, la question reste bien de savoir pourquoi le gouvernement veut absolument cet équilibre. Écartons d’emblée, le pseudo bon sens néolibéral des « comptes en ordre ». L’État n’est pas un ménage et la France n’est pas en faillite, n’en déplaise à François Fillon. Un déficit de 27 milliards d’euros en 2030 ne pose pas de problème.

En fait, le cœur de la question est ailleurs. Si le gouvernement insiste tant sur l’équilibre, ce n’est pas par souci d’équilibre financier. C’est parce qu’un tel équilibre va permettre de financer… des baisses d’impôts. Pour comprendre cette réforme, il faut comprendre le point de départ de l’idéologie gouvernementale : la dépense publique en France est trop élevée parce qu’elle empêche des baisses d’impôts qui favoriseront la compétitivité du pays. Or, la dépense publique, c’est d’abord et avant tout de la dépense sociale. Avec la retraite par points à « cotisations définies », on pourra plus aisément maîtriser ces dépenses pour assurer l’équilibre et ainsi financer les futures baisses d’impôts et de cotisations. Avec le système actuel, il fallait une réforme tous les cinq à dix ans pour piloter le système. Désormais, le système se pilotera lui-même par la règle d’or de l’équilibre financier. Mieux même, ce pilotage sera assuré par les partenaires sociaux, permettant à l’État de se décharger de sa responsabilité.

Dès lors, il convient de bien se souvenir de ce qui vient de se passer avec l’article 3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui met fin à la compensation systématique des exonérations de cotisations. Cet article oblige le système social à s’adapter aux politiques de compétitivité coûts décidées par l’État. L’État « affame la bête » puis, comme vient de le faire avec la retraite Édouard Philippe, tire la sonnette d’alarme du déficit et oblige à des réductions de dépenses et de prestations. Avec la retraite par points, ce système est automatique : le comité de pilotage, soumis à l’obligation d’équilibre et incapable de jouer sur le niveau des cotisations, devra amortir les futures exonérations par le niveau de remplacement des salaires en pensions. C’est donc une formidable machine à permettre de futures baisses d’impôts sur le capital et de destruction du système de solidarité. Immédiatement d’immenses possibilités de baisses d’impôts se présentent : de la CSG, à la CRDS, en passant par le niveau des cotisations, notamment pour les salaires moyens. Le véritable enjeu de cette réforme est là et c’est pourquoi cette réforme centralisatrice et étatiste est défendue bec et ongles par les élites néolibérales.

L’affaiblissement du monde du travail

Enfin, il y a une dernière raison derrière l’attachement à cette réforme. Elle est connexe de la prétention à la justice et à l’égalité du gouvernement : c’est l’adaptation « aux réalités nouvelles du marché du travail ». La construction de « la protection sociale du XXIe siècle », a martelé Édouard Philippe. Cette protection doit prendre en compte « les carrières parfois heurtées » ou le développement du « temps partiel ». Très significativement, le premier ministre termine par ces mots : « On peut à juste titre vouloir changer tout cela : revenir au plein emploi, limiter la précarité. Mais c’est le monde dans lequel nous vivons et il est sage de voir le monde tel qu’il est. » Ce discours fait écho à plusieurs propos d’Emmanuel Macron, notamment un passage de son livre-programme Révolution où il estime que « la France ne doit pas rester en dehors du cours du monde », et à son entretien à Forbes du 1er mai 2018, où le président de la République affirmait : « La meilleure protection, ce n’est pas de dire : “Nous résisterons.” »

La vraie pensée qui motive cette réforme est donc celle de la soumission passive à ce qui est perçu comme l’ordre du monde et qui n’est que l’ordre du capital. Cet ordre agit comme une transcendance qui oblige aux réformes. Puisque le marché du travail change, il faut que le système de retraite change pour s’y adapter. Mais derrière ce fameux « bon sens », dont se prévaudrait Édouard Philippe, il n’y a qu’une pensée circulaire auto-justificatrice. Car ces conditions de travail, cette « réalité que nous vivons », cette précarisation du monde du travail, ne sont pas le fruit d’une force qui dépasserait les hommes et les États. Tout cela provient de choix politiques de ce gouvernement : les réformes du marché du travail, le refus de réguler les travailleurs des plateformes, le développement de l’auto-entreprenariat. Si l’on voulait garantir plus de droits à ces salariés de facto ou de droit, si l’on voulait réduire le travail fragmenté et heurté, il suffirait de renforcer les contre-pouvoirs dans les entreprises et les régulations. On a fait le contraire. Et précisément parce qu’on a fait le contraire, on en profite pour justifier la retraite par points.

Le système de retraite à points est donc le couronnement des réformes précédentes de destruction du modèle social. On a détricoté le système de protection du travail, puis on prétend que le « monde est ainsi fait » et qu’il faut adapter les retraites à cette « réalité ». Cela est d’autant plus vrai que ces réformes successives ont affaibli la capacité des salariés de former leur salaire, ce qui conduit à un affaiblissement structurel et radical du système par répartition (autant que les conditions démographiques). La nécessité de la réforme est donc née des réformes précédentes. C’est le principe fondamental du néolibéralisme : chaque réforme en entraîne inévitablement d’autres…

Et c’est bien ici que le bât blesse. Cette réforme sanctionne la dégradation des conditions sociales et le gouvernement n’entend rien faire pour réduire cette dégradation. En réalité, en assurant un système « adapté » à la précarisation de l’emploi, le gouvernement permet (ou prépare ?) de nouveaux pas dans la libéralisation du marché du travail. L’argumentation sera simple : il n’y aura aucune raison de rejeter une nouvelle libéralisation du marché du travail puisqu’il existe maintenant un système de retraite adapté à la précarité.

Mieux même : puisque la réforme à points est fondée sur une accumulation de droits, il faudra que les salariés acceptent un maximum d’emplois pour engranger un maximum de points. La compétition sera donc renforcée sur le marché du travail et, partant, elle nécessitera encore moins de régulations pour pouvoir « donner leur chance à tous » d’avoir une meilleure retraite. Comme, en parallèle, le gouvernement vient de réduire les droits à l’assurance-chômage, les actifs seront tentés d’accepter le travail comme il vient, quelles que soient les conditions et les salaires. D’autant que beaucoup de salariés âgés seront tentés de rester sur le marché du travail pour améliorer eux aussi leurs pensions dans les dernières années avant la retraite. La retraite à points est donc une garantie future pour une plus grande libéralisation du marché du travail, mais aussi une assurance de plus que le coût du travail va rester bas. C’est donc bien une machine à désarmer le travail face au capital.

Dans ces conditions, la réforme des retraites du gouvernement n’est pas qu’un simple ajustement technique. Elle ne peut être isolée en tant que simple « méthode ». C’est, intrinsèquement, un moyen de réduire les transferts sociaux, de baisser les impôts et de désarmer le monde du travail. Prétendre alors, comme le font certains, que cette réforme est de « gauche » suppose beaucoup d’audace. C’est bel et bien une réforme structurelle néolibérale. Et c’est bien pourquoi le gouvernement et le président de la République y sont si fanatiquement attachés.

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2019 4 12 /12 /décembre /2019 15:04
Retraites : une seule solution, le retrait du projet Macron

L'intervention d’Édouard Philippe n'aura finalement surpris personne hier midi. Les pires craintes qui pouvaient s'exprimer avant son allocution devant le CESE ont été confirmées, nous donnant raison sur les principaux arguments qui avaient motivé notre opposition au projet de réforme et le début d'un puissant mouvement social.

UNANIMITÉ SYNDICALE CONTRE LE PROJET

Le Premier ministre aura réussi le tour de force à réunir l'unanimité des confédérations syndicales contre le projet annoncé hier, alors qu'il espérait trouver un point d'appui sur ce qu'il appelle les syndicats « réformistes » (CFDT, CFTC, UNSA).

L'exécutif – il est évidemment impossible de distinguer Emmanuel Macron et Édouard Philippe dans les arbitrages et la méthode –, après avoir fait preuve de mépris pour les fonctionnaires et les enseignants, aura démontré à nouveau le peu de cas qu'il fait des partenaires sociaux et du dialogue social. Souhaitant créer un effet de surprise, il a tenu volontairement à l'écart tous les syndicats, y compris ceux sur qui il comptait, pour ne pas avoir à les prévenir de décisions qu'ils désapprouvaient.

Peu importe désormais que le gouvernement promette que la valeur du point serait déterminé à l'avenir par les partenaires sociaux, la CFDT elle-même reconnaît que c'est un piège, se souvenant des injonctions contradictoires de la lettre de cadrage sur l'assurance chômage pour permettre à Bercy de reprendre la main en fin de processus.

LA TRIPLE PEINE POUR LES SALARIÉ.E.S

Le projet Macron-Philippe-Delevoye propose donc la compilation des pires mesures défavorables :

  • l'âge d'équilibre à 64 ans est un report de fait de l'âge légal de départ à la retraite (c'est le principal reproche émis par la CFDT). On mesure les dégâts d'une telle mesure quand l'espérance de vie en bonne santé (à la naissance) est de 64,9 ans pour les femmes et de 62,5 ans pour les hommes, et que le taux d'emploi des 55-64 ans est aujourd'hui de 52% (ce qui laisse envisager une dégradation supplémentaire du niveau de pension) ;

  • la retraite par points est confirmée, ce dont personne ne doutait plus. Comme la CGT, FO, la FSU, Solidaires ou la CFE-CGC (pourtant pas forcément hostile en soi au principe), nous avons pointé les effets nocifs d'un tel système : l'avantage du point est qu'il peut être baissé ce qui ne donne aucune garantie de revenus à l'avenir ; le passage au régime universel conduira nécessairement à une baisse des pensions puisque le calcul se fera sur l'ensemble de la carrière (y compris les plus mauvaises années) et non plus les 25 meilleures années pour les salarié.e.s du privé et les 6 derniers mois pour les fonctionnaires ;

  • l'inégalité entre générations devient un principe de la réforme. Alors que le gouvernement avait annoncé que la solidarité intergénérationnelle serait une des lignes directrices de son action, il tente désormais de diviser les salarié.e.s en annonçant que le nouveau système ne s'appliquerait qu'à celles et ceux nées à partir de 1975. Les agents de la SNCF et de la RATP mobilisés ont immédiatement annoncé qu'ils ne se laisseraient pas prendre à cette tentative de division et démobilisation. Nous sommes convaincus que ce sera identique dans les autres professions.

RENFORCER LA MOBILISATION POUR LE RETRAIT

Le Président Macron et le gouvernement ont donc choisi la voie de l'affrontement. Nous sommes plus que jamais convaincus que le projet soumis est fondé sur des contre-vérités (le déficit qui le justifierait est artificiellement construit ; il est idéologique et découle d'une volonté en soi de toujours réduire la sphère de la puissance publique), nocif pour les salarié.e.s du privé comme du public (il peut d'ailleurs être interprété comme un prélude au démantèlement espéré par les Libéraux du statut de la fonction publique) et qu'il ne vise qu'à renforcer le poids des assurances privées et de la capitalisation, malgré le discours lénifiant sur la sauvegarde de la répartition.

Nous avons déjà expliqué que des solutions multiples existaient pour pérenniser dans la durée notre système de retraites solidaires par répartition ; le gouvernement ne les a même pas examinées. Aujourd'hui la mobilisation doit être totale pour obtenir le Retrait du projet.

Frédéric Faravel

Partager cet article
Repost0
8 décembre 2019 7 08 /12 /décembre /2019 13:07

Suite à l'intervention impromptue et télévisée du premier ministre Edouard Philippe, vendredi 6 décembre après-midi, j'ai rédigé pour la Gauche Républicaine & Socialiste une courte note permettant de réfuter les contrevérités émises par le chef du gouvernement. Vous la trouverez ci-dessous et sur le site de la GRS.

Frédéric FARAVEL

Droit dans ses bottes, Édouard Philippe maintient et accélère le calendrier de la réforme des retraites : le bras-de-fer est engagé

Alors que le gouvernement devait s’exprimer au plus tôt sur le projet de réforme des retraites en milieu de semaine prochaine, celui-ci a été contraint par la très forte journée de grève du 5 décembre et par sa poursuite dans certains secteurs, notamment des transports, de prendre la parole dès aujourd’hui.

Les salarié.e.s du public comme du privé ont en effet été massivement en grève hier, avec des taux de grévistes avoisinant les 45 % dans la seule Fonction publique d’État, 61,4 % à la SNCF, 43,9 % à EDF et plus de 70 % chez les enseignant.e.s, pour ne citer qu’elles et eux. Par ailleurs, la manifestation d’hier a réuni plus de 1 500 000 personnes dans toute la France.

Bien que cette conférence de presse improvisée en catastrophe traduise un premier signe de crainte face au mouvement social, le premier ministre est resté droit dans ses bottes, en tentant toujours de mener en bateau nos concitoyennes et concitoyens sur le projet de réforme des retraites. Ainsi, alors que les grands principes de la réforme sont décidés depuis des mois, c’est-à-dire un régime de retraites par point impliquant une baisse générale des pensions et un report de l’âge de départ à la retraite, et malgré l’opposition grandissante de la population et des organisations syndicales, Edouard Philippe tente de faire croire que le projet sera débattu dans les prochaines semaines.

Cette prise de parole a été aussi l’occasion pour le premier ministre de jouer la carte de la division entre les salarié.e.s, tentant de démobiliser les secteurs les plus en pointe dans le mouvement les 5 et 6 décembre, en s’attaquant une fois de plus aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP. Par ailleurs, en s’adressant aux enseignant.e.s pour leur promettre faussement une revalorisation de leur traitement, alors que le point d’indice est gelé depuis 2010, Edouard Philippe a finalement confirmé leurs craintes en avouant que cette réforme entraînera une forte baisse de leurs pensions.

Il nous paraît nécessaire d'apporter plusieurs contradictions supplémentaires au Premier ministre :

  1. Diviser les Français en attaquant les « privilèges » des salariés de la RATP et de la SNCF :
    Les agents de la RATP et de la SNCF sont injustement mis en cause sur leur « régimes spéciaux ». On souligne l’âge de départ en retraite à 52 ans à la RATP et la SNCF, en oubliant volontairement de signaler qu’il s’agit des seuls agents d’exploitation et de conduite, est que cet âge est de 57 ans pour les métiers de la maintenance de la RATP (train, bus) et 62 ans, comme dans le privé, pour les personnels administratifs. Ces âges restent néanmoins théoriques, un conducteur de la SNCF doit avoir réalisé au moins 17 ans de service « actif » dans la maison et cumulé 43 annuités (pour tous ceux nés après 1973), comme dans le privé, pour partir avec un taux plein. Les agents partent, dans les faits, de plus en plus en tard. Par ailleurs, faute de pouvoir remplir toutes les conditions de la retraite à taux plein, beaucoup acceptent de partir avec une décote sur leur pension. En 2017, c’était le cas de 30 % des agents de la SNCF et de 18 % de ceux de la RATP, contre 15 % des fonctionnaires et 10 % des salariés du privé. Le montant des pensions des salariés des « régimes spéciaux » est également pointé du doigt, en particulier par la Cour des Comptes qui affirme qu’il serait nettement supérieur aux retraites des fonctionnaires, en ne prenant en compte que les seuls salariés ayant une carrière complète. Or si l’on prend en compte l’ensemble des salariés de ces entreprises, on se retrouve très proche du niveau de la fonction publique. On repassera donc pour les « privilèges » indus dont bénéficieraient ces salariés. Les déficits de ses régimes spéciaux est en réalité la conséquence d'une politique malthusienne de ces entreprises en terme d'emploi. Au demeurant, elles rencontrent de graves difficultés aujourd’hui à recruter (et le changement récent de statut de la SNCF ne va pas améliorer la situation) au regard des faibles rémunérations et de la disparition prévue des quelques avantages dont bénéficiaient ces salariés en compensation des salaires et des conditions de travail et d'astreinte contraignantes.
    Les salariés de la RATP et de la SNCF font au contraire preuve d'une grande solidarité avec l'ensemble des salariés de notre pays, qu'ils soient du privé ou du public, car ils ont exprimé depuis longtemps par la voix de leurs représentants syndicaux qu'ils ne se battaient pas pour le maintien exclusif de leurs régimes de retraite. Ainsi, ils ont récusé par avance toute proposition de leur appliquer quelque « clause du grand-père » (n'appliquer les nouvelles règles qu'aux nouveaux embauchés) qu'elle soit version Delevoye ou version Philippe (les propos du premier ministre cet après-midi semblent moins généreux que ceux du Haut Commissaire). En effet, étant pleinement conscient du rapport de force dont ils disposent avec une capacité de blocage des déplacements, ils ont déjà expliqué que leur engagement visait le rejet de la retraite par point pour tous, donc à mettre au service de tous les salariés français leur « arme sociale » pour tenter de faire reculer le gouvernement.

  2. Les annonces sur les enseignants et fonctionnaires sont mensongères :
    En effet, passer d'un calcul du niveau de pension en tenant compte des 6 derniers mois de rémunération au régime par point entraînera forcément une baisse des pensions, puisque c'est l'ensemble de la carrière qui sera prise en compte. Le gouvernement peut faire miroiter toutes les revalorisations possible et imaginable, aucune ne serait en mesure de compenser les dégâts du système proposée par Emmanuel Macron et son gouvernement – sauf à ce qu'elles soient massives, qu'elles rattrapent voire dépassent tous les ...retards sur les autres enseignants d'Europe occidentale...
    La réalité c'est que les rémunérations de nos enseignant.e.s sont en soi indécentes au regard de la fonction et du rôle qu'ils accomplissent au service de la société et leur pensions de retraites également. La revalorisation des enseignant.e.s est donc une absolue nécessité qui ne saurait être traitée au détour du dossier des retraites parce que le gouvernement s'est rendu compte qu'il s'est placé dans une impasse politique et sociale.
    Le raisonnement sur les dégât du dispositif proposé par le gouvernement vaut pour les autres fonctionnaires ; passer des 6 derniers mois à la retraite par point prenant toute la carrière, entraînera forcément une baisse des pensions, même en tenant compte des primes qui ne l'étaient pas jusqu'ici...

  3. Il faut le marteler, la « retraite par point » serait une régression pour tou.te.s :
    Le raisonnement tenu pour les fonctionnaires est comparable, dans une moindre mesure cependant, pour les salarié.e.s du privé : passer des 25 meilleures années à l'ensemble de la carrière dans un système de retraite par point survalorisera les années où ces salarié.e.s auront eu une carrière hachée et/ou moins payée... On voit évidemment ce que cela signifie comme dégâts pour les femmes – malgré toute la communication du gouvernement – qui ont des carrières plus hachées...
    En réalité, la retraite par point ne vise qu'à satisfaire deux objectifs purement idéologiques des Libéraux :

    1. Limiter les dépenses publiques en soi et pour cela permettre une éventuelle baisse de la valeur du point pour maintenir les retraites à un niveau de 14% comme cela semble être l'objectif du gouvernement. En Suède, le point a baissé... On a bien vu ce que le gouvernement a fait du paritarisme avec l'assurance chômage, c'est Bercy qui a la main en dernier recours, c'est ce qui se passera pour les Retraites...

    2. La baisse du niveau général des pensions de retraites vise à ouvrir plus largement des marges de manœuvres pour les grandes entreprises d'assurance privées afin de développer les produits de retraites par capitalisation, vers lesquels nos concitoyens qui le pourraient encore seraient finalement contraints de se tourner pour compenser cette baisse attendue de revenu. C'est ainsi qu'il faut comprendre les récentes décisions visant à faciliter la création de fonds de pension en France. Ainsi le discours gouvernemental qui veut nous faire croire que cette réforme vise à sauver la retraite par répartition est totalement éventé.

En toute logique, les organisations syndicales, très loin d’être convaincues par la parole gouvernementale, et revendiquant toujours le retrait de ce projet de réforme des retraites, ont appelé à la poursuite du mouvement de grève avec une nouvelle journée de mobilisation le mardi 10 décembre.

La Gauche Républicaine & Socialiste appelait déjà à renforcer le mouvement en se mobilisant massivement derrière les syndicats le 10 décembre... après l'intervention du Premier ministre, cette détermination est encore plus forte.

Partager cet article
Repost0
16 septembre 2019 1 16 /09 /septembre /2019 19:42

De Vichy à la Libération

À la Libération, dans les attributions d'Alexandre Parodi, ministre du Travail et de la Sécurité sociale dans le Gouvernement provisoire de la République française figure notamment la mise œuvre la résolution du Programme du CNR qui prévoyait « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». L'organisation des retraites sera intégrée au système français de sécurité sociale dont la création est confiée en novembre 1944 à Pierre Laroque qui est nommé « directeur des assurances sociales et de la mutualité ». Ambroise Croizat, ministre communiste (novembre 1945 – mai 1947) du travail, puis du travail et de la santé, dirige à ce titre la mise en place du système de protection sociale : assurance maladie, système de retraites, allocations familiales.

Le nouveau système de sécurité sociale découle des trois ordonnances de fin 1944 et fin 1945. Les ordonnances de 1945 n'interdisent pas la liquidation de la retraite à 60 ans, mais repoussent dans les faits l'âge normal du départ à 65 ans. En effet, le montant de la pension est égal à 20% du salaire annuel de base pour l'assuré ayant cotisé 30 années ; mais l'assuré social peut « bonifier » ce montant de 4 % pour toutes les années supplémentaires travaillées entre 60 et 65 ans. Il s'agit alors de maintenir le maximum de travailleurs en activité pour gagner la « bataille de la production ». En 1948, 63 % des plus de 65 ans touchent un revenu de vieillesse.

En matière de retraite, la méthode par répartition imaginé par Belin (à l’époque de Vichy) est conservée, mais les systèmes professionnels reprennent leur autonomie. Il en résulte le développement de quantités de régimes différents ; les plus riches (notaires par exemple) auront les moyens de prélever des cotisations élevées, permettant de verser relativement tôt (à 60 voire 55 ans) des pensions relativement élevées ; d'autres (industries sous monopole d'état notamment, SNCF, EDF, mines…) obtiendront le même résultat par une participation massive de leur employeur ; d'autres enfin, par choix ou manque de moyens, ne mettront en place que des cotisations faibles ne permettant de financer que des pensions tardives et faibles, voire misérables (commerçants, agriculteurs).

À ce système « bismarckien », la France ajoute une composante « beveridgienne », sous forme d'un minimum vieillesse et de droits à retraite spécifiques pour les mères de familles par exemple.

Des évolutions mais pas de remises en cause majeures (1953-1982)

En 1953, une première tentative de regrouper dans le régime général les régimes spéciaux (régimes des mineurs ou cheminots, jugés trop généreux et devant être alignés sur le secteur privé), fortement contestée (grèves des fonctionnaires), avorte. En 1956 est créée la vignette automobile destinée à alimenter le Fonds national de Solidarité (FNS). La Sécurité sociale est réorganisée en quatre branches vers 1966 : création de la CNAM, de la CNAV, de la CNAF et de la branche AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles). La démographie impose dès les années 1960 de réévaluer les cotisations. Des professions qui avaient choisi de garder des régimes spécifiques rejoignent le régime général. Il apparaît que les évolutions démographiques professionnelles sont à prendre en compte, et que la justice sociale nécessite des transferts entre caisses (les caisses qui profitent de l'afflux de nouveaux cotisants issus de l'exode rural vont finir par verser des compensations au « régime agricole », déjà faible et miné par une hausse majeure des pensionnés et un effondrement du nombre de cotisants). Le 31 décembre 1971, la loi Boulin, sous la pression de la droite, fait passer de 120 (30 ans) à 150 trimestres (37,5 ans) de cotisations l'ouverture des droits à une retraite à taux plein, sur la base des dix meilleures (et non plus dernières) années de salaire. Des systèmes complexes de calcul des sommes concernées (entrantes ou sortantes selon que la caisse perd des cotisants ou en gagne) sont mis en place à partir de 1974, et pour solder les désaccords, plutôt que de trancher l'État verse une obole (pour le régime agricole ce sera le Budget annexe des prestations sociales agricole, devenu Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles en 2005).

Dans le même temps, pour pallier les problèmes d'emploi apparus à partir des années 1960, le principe de partage du travail, la volonté de lutter spécifiquement contre le chômage des jeunes, et l'intérêt des entreprises qui souhaitent licencier mais ne peuvent le faire pour des raisons légales conduisent au premier dispositif de pré-retraite en 1972. Celui-ci garantit le financement par l'État d'un revenu de remplacement pour les personnes âgées de plus de 60 ans. Par la suite, en 1980, le dispositif est élargi aux personnes de plus de 55 ans.

La hausse du chômage qui s'accentue en 1973 continue à peser sérieusement sur les cotisations, tout en mettant les chômeurs âgés en difficulté.

Enfin, en 1982, sous la présidence de François Mitterrand, une ordonnance Auroux accorde la retraite à partir de 60 ans, pour 37,5 années de cotisation, au taux plein de 50 % du salaire annuel moyen.



Le « livre blanc » sur les retraites de 1991

En 1991, le Livre blanc sur les retraites met en évidence les difficultés à venir du système de retraite français et marque le point de départ des réformes qui se sont succédé depuis 25 ans.

« L'enjeu est considérable : maintenir l'acquis au profit des générations futures dépend, au-delà de la démographie et de l'économie, de notre capacité à actualiser le pacte de solidarité qui lie les générations entre elles », écrit alors Michel Rocard, Premier ministre, dans la préface du Livre blanc sur les retraites.

Ce livre blanc est le premier rapport important sur cette question, après le rapport Laroque de 1962, un travail technique interministériel conséquent ayant été réalisé grâce à la coordination du Commissariat Général du Plan.

Le rapport dit vouloir analyser sur le long terme pour assurer un pilotage efficient. Pour cela la démographie en particulier, mais également l'économie (emploi, croissance, etc.) font l'objet d'hypothèses de projections, elles-mêmes intégrées dans les projections sur l'équilibre financier des régimes de retraites. De plus, une réforme des retraites n'y est envisagée que progressivement, afin d'éviter des effets de seuil trop importants sur les conditions de départ (âge, durée de cotisation, montant) entre générations, pendant la montée en charge de cette réforme.

L'exercice réalisé comportait 8 scénarios, avec des hypothèses différentes (de « pessimistes » à « optimistes » sur la fécondité, sur le taux d'activité des plus de 55 ans et la réduction plus ou moins rapide du chômage). Ainsi à législation inchangée (âge de départ, durée de cotisation, paramètres de calcul de pension inchangés), pour équilibrer financièrement le système, le taux de cotisation est indiqué comme devant plus que doubler entre 1990 et 2040 selon le scénario le plus pessimiste, et augmenter de 50% dans le cas le plus favorable. Le rapport conclut : « Ne rien faire doit être clairement écarté : ce serait accepter le scénario de l'intolérable sur le plan social et sur le plan économique ».

Les principales propositions de ce rapport sont les suivantes :

  • confirmation et consolidation du système par répartition (les actifs cotisent pour les retraités), respect de l'équité entre générations, principes de solidarité inhérent à la Sécurité sociale ;

  • augmentation de la durée d'activité pour une retraite complète ;

  • extension dans les régimes de base de la période prise en compte dans le calcul de la pension (pour le Régime général, la réforme de 1993 a porté de 10 ans à 25 ans le nombre d'années de salaires dans le calcul du salaire annuel moyen) ;

  • revalorisation des pensions sur l'évolution des prix.

Ce rapport sera la base de la réforme 1993.

Parallèlement, la création de la CSG la même année pourrait être considérée comme la première réforme des retraites : elle ne limite pas directement les dépenses de retraite mais, en faisant participer certains retraités au financement de la protection sociale, elle constitue l’équivalent d’une diminution du montant de pension pour les retraités concernés.

La réforme Balladur (1993) puis l'échec de Juppé (1995)

Édouard Balladur, nouveau Premier ministre, constate un déficit sans précédent : 40 milliards de francs. La récession causée par la crise monétaire consécutive à la réunification allemande frappe de plein fouet les recettes. Son gouvernement décidé donc de lancer une réforme des retraites au pas de charge. Une loi d'habilitation à légiférer par ordonnance est rapidement votée, et à l'été 1993 la réforme est terminée. L'ensemble n'aura pris que quelques semaines.

Cette réforme, qui ne concerne que le secteur privé, tient en cinq principales mesures :

  • la durée de cotisation nécessaire pour avoir droit à une pension à taux plein passe progressivement de 150 trimestres (37 ans et demi) à 160 trimestres (40 ans), à raison d'un trimestre de plus par an du 1er janvier 1994 au 1er janvier 2004 ;

  • création d'une décote pour chaque trimestre de cotisation manquant (2,5% par trimestre, soit 10% par an). En pratique, la plupart des gens remplissaient la condition de cotisation à 60 ans ou même avant, ce qui limite la portée de cette disposition ;

  • augmentation de la durée de carrière de référence : la pension était précédemment calculée sur les 10 meilleures années, durée qui sera progressivement portée à 25 années (atteint en 2010, à raison d'une année de plus par an) ;

  • changement du mode d'indexation des pensions de retraites. Elles seront désormais alignées sur l'inflation (mesurée par l’indice des prix à la consommation), alors qu'elles étaient précédemment indexées sur l'évolution des salaires ;

  • création d’un fonds de solidarité vieillesse (FSV) chargé de financer quelques dispositifs (minimum vieillesse, avantages familiaux…).

En matière de durée d'activité, une autre étude, du ministère du Travail, réalisée en 2009 a estimé que depuis cette réforme, les hommes ont en moyenne repoussé leur cessation d’activité de 9,5 mois et les femmes de 5 mois. En 17 ans, la durée de cotisation moyenne n'aurait donc augmenté que de 8 mois ou moins, compte tenu d'une arrivée plus tardive sur le marché du travail. La réforme de 1993, qui augmentait de 30 mois la durée de cotisation nécessaire pour avoir une retraite complète, aurait donc raté à 70% son principal objectif : avoir plus de cotisations.

Ceci explique en partie que l'objectif principal, rétablir l'équilibre financier du système, a échoué. Le volume de cotisations n'a pas augmenté autant qu'escompté.

Confronté au même genre de difficulté budgétaire, Alain Juppé s'attaque au problème des régimes spéciaux de retraite et au rapprochement du régime de la fonction publique au régime général. Voté triomphalement au parlement, avec la bienveillance de l'opposition, son plan se fracasse sur les grèves de novembre-décembre 1995 et son gouvernement fait machine arrière.

Après cet échec, le gouvernement fait voter début 1997 la proposition de « loi Thomas », qui créait un régime de fonds de pension destiné à inciter les salariés du privé (14,8 millions de personnes) à constituer une épargne en vue de la retraite, abondée par l'entreprise. Mise en sommeil après le changement de majorité gouvernementale intervenu la même année, celle-ci a finalement été abrogée en 2002.

Création du Fonds de réserve pour les retraites (1999)

La gauche, au pouvoir à partir de 1997, ne lance pas de nouvelle réforme sur l'âge légal ou la durée de cotisation mais crée le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), dont la mise en place est officialisée par la loi de financement de la Sécurité sociale de 1999. Cet instrument sert à faire face aux situations de déséquilibre entre cotisations et pensions à payer. Il est en particulier destiné à couvrir la prévision d'une future pointe de besoin de financement du régime général d'ici 2020, date jusqu'à laquelle les montants mis de côté ne doivent en principe pas être utilisés.

Dans la loi, le FRR peut percevoir plusieurs types de dotations : 2% du prélèvement social sur les revenus de patrimoine et de placement, les excédents de la CNAV, le produit de cessions d'actifs telles que les privatisations, la cession des parts de Caisses d'épargne, et le produit de la vente des licences UMTS (téléphonie 3G). Mais selon les syndicats, le gouvernement a finalement refusé de verser les recettes de privatisation.

Ce fonds ne recevra jamais les sommes promises, qui devaient totaliser 150 Mds€ en 2010, même pendant les périodes de bonne croissance économique des années 1999, 2000 et 2001, puis ne touchera plus grand chose à partir de 2002, après le retour de la droite au pouvoir. Ayant été doté au total de 29 Mds€ de 1999 à fin 2009, il représentait à cette date une réserve de 33 Mds€.

Les sommes en jeu, quoiqu'inférieures au projet initial, restent néanmoins importantes, et tentantes pour un gouvernement dont le budget est déficitaire. Les syndicats CFDT, CGC, CGT, FO, et CFTC ont ainsi manifesté leur inquiétude par écrit au président de la République le 7 janvier 2008, pour le mettre en garde contre toute utilisation prématurée du fonds. Dans le cadre de la réforme de 2010, le FRR sera effectivement mis à contribution avec 10 ans d'avance. « Quand il a été créé, c'était pour régler les problèmes dans 20 ans (...) sauf que les déficits des retraites, maintenant, ils ont 20 ans d'avance », se justifiait en juin 2010 le ministre du Travail Éric Woerth.

Dès 2002, les ministres des Finances de l'UE se sont mis d’accord sur un projet de directives encadrant les règles de fonctionnement des futurs fonds de pension européens : le Conseil Européen de Barcelone fixe l'âge moyen de départ à la retraite à 63 ans à l'échéance de 2012 et encourage le Plan d'épargne d'entreprise par capitalisation ; cette annonce jettera un trouble supplémentaire sur la campagne de Lionel Jospin pour les élections présidentielles de la même année.

Fillon 1 – Fillon 2 – Fillon 3

La réforme Fillon de 2003

François Fillon, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, entreprend une nouvelle réforme qui généralise aux fonctionnaires la décote Balladur pour années manquantes. Elle instaure une transition progressive de la durée de cotisation de tous les régimes, sauf les régimes spéciaux, vers 42 ans. Est ainsi décidé dans un premier temps d'aligner la durée de cotisation des fonctionnaires : elle est ainsi allongée de 37,5 ans à 40 ans à l'horizon 2008, à raison d'un semestre par an.Par contre, cette réforme réduit la durée de cotisation des personnes qui ont commencé à travailler très jeunes : elles peuvent partir à la retraite de façon anticipée avec 42 ans de cotisations. Les plus de 17 ans sont toutefois exclus du dispositif et doivent donc continuer au-delà de 60 ans. La décote pour années manquantes doit tendre pour tous les salariés à 5% par année manquante à l'horizon 2015 dans la limite de 5 années (soit 25% de décote maximale). Une surcote pour années supplémentaires est instaurée (de 3%) par année supplémentaire au-delà de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Le cumul emploi-retraite est rendu plus flexible.

Le mode d'indexation choisi reste l'indexation sur les prix ; le pouvoir d'achat des retraités est donc considéré comme préservé constant tout au long de leur retraite.

Les salariés peuvent racheter des trimestres au titre des études, dans la limite de 3 ans (avec un coût relativement important ; la DREES évalue le montant moyen des rachats à 22 000 €).Mais surtout, Fillon réintroduit la logique des fonds de pension. De nouveaux produits d'épargne individuels (le PERP) et collectif (le PERCO) sont créés (système de capitalisation).Selon la loi Fillon de 2003, la durée de cotisation doit être augmentée d'un an, à raison d'un trimestre par année, à partir de 2009. Cependant la loi Fillon précise que cette augmentation peut être ajournée si le contexte est modifié, au regard des évolutions du taux d'activité des personnes de plus de 50 ans, de « la situation financière des régimes de retraite, de la situation de l'emploi [et de] l'examen des paramètres de financement des régimes de retraite ».

La « deuxième réforme Fillon » (2007) : les régimes spéciaux

La réforme des régimes spéciaux, qui est entrée en vigueur le 1erjuillet 2008, avait pour objectif d’aligner la durée de cotisation des agents de la SNCF, de la RATP et des IEG (Industries électriques et gazières) sur celle du privé et de la fonction publique, comme l'avait promis à plusieurs reprises Nicolas Sarkozy lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2007.

La réforme prévoit l'augmentation progressive de la durée de cotisation, de 37,5 ans en 2007 à 40 ans en 2012, pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Depuis le 1er juillet 2009, les pensions sont indexées sur l’inflation. Enfin, à compter du 1er juillet 2010 est introduite une décote réduisant la retraite en cas de trimestre manquant. Cette réforme revient à étendre à un demi-million de salariés qui y échappaient encore la réforme Balladur des retraites de 1993, comme la loi Fillon l'avait étendue en 2003 aux 5 millions de fonctionnaires.

Après la réforme des régimes de retraites spéciaux de fin 2007, le rendez-vous de 2008 faisait partie du calendrier décidé lors de la réforme de 2003, avec pour thème, principalement dans le secteur privé :

  • définir le niveau minimal d’une retraite pour un salarié qui a effectué une carrière complète ;

  • réexaminer le dispositif de départ anticipé pour carrières longues ;

  • déterminer les moyens d’équilibrer les régimes de retraite.

  • l'allongement de la durée de cotisation à 41 ans pour l'année 2012, à raison d'un trimestre par an ;

  • la revalorisation de 25 % du minimum vieillesse, entre 2007 et 2012 ;

  • le rétablissement par la loi d’un minimum de 55 ans au moins pour obtenir la pension de réversion.

La réforme Woerth de 2010

Lors de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Sarkozy avait parlé essentiellement de la réforme des régimes spéciaux de retraite. Les prévisions de déficit ayant été revues en forte hausse à cause de la crise bancaire, le gouvernement décida une réforme plus large en 2010.

Selon des projections du COR, contestées par les syndicats, en 2010 le total du déficit des régimes de retraite s’élèverait à 32 Mds€ en raison du pic de départ à la retraite des générations du baby-boom nées entre 1945 et 1950 (âgées de 60 à 65 ans en 2010). Pour 2020, il estime que le déséquilibre serait fortement croissant : 182 cotisants pour 100 retraités en 2006, 170 pour 100 en 2010, 150 pour 100 en 2030 et 121 pour 100 en 2050.

Alors qu'en 2007, avant la crise économique de 2008-2010, le COR estimait le besoin de financement des retraites à environ 25 Mds€ en 2020 (soit 1 point de PIB), dans son document de 2010 il estimait ce même besoin à 45 Mds€ (soit 1,86 point de PIB), chiffre qui monterait à 70 Mds€ en 2030 et 100 Mds€ en 2050.La loi du 9 novembre 2010 comportait donc, outre des mesures liées aux droits des assurés (âge légal de départ, âge de liquidation à taux plein, etc.), des dispositions relatives à la prise en compte de la pénibilité et des interruptions de carrière (maternité, chômage, etc.). Il s’agit pour l’essentiel des points suivants :

  • le relèvement progressif de l’âge minimum légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en 2018. Ce relèvement concerne tous les salariés, du public comme du privé, et les régimes spéciaux, mais avec des calendriers de mise en œuvre différents ;• le recul de l’âge à partir duquel il est permis à un assuré, n’ayant pas la durée de cotisation requise, de bénéficier tout de même d’une retraite à taux plein, qui passe progressivement de 65 à 67 ans ;

  • la poursuite de l’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein qui passe à 41,5 ans pour la génération 1956 ;

  • l’alignement progressif du taux de cotisation vieillesse des fonctionnaires sur celui des salariés ;

  • le recul progressif de l’âge de départ en retraite anticipée pour "carrière longue" (jusque-là fixé avant 60 ans) et la création d’une possibilité de départ pour les assurés ayant commencé à travailler avant 18 ans ;

  • l’instauration d’un dispositif de départ anticipé pour pénibilité : les salariés présentant une incapacité permanente liée au travail supérieure ou égale à 20%, voire à 10%, pourront partir à la retraite à 60 ans à taux plein ;

  • une prise en compte du congé de maternité et des périodes de chômage non indemnisé en début de carrière (les jeunes en chômage non indemnisé pourront valider jusqu’à 6 trimestres, au lieu de 4) ;

  • la révision de l’objectif assigné au FRR : ses réserves (36,2 Mds€ en 2010) seront, à partir de 2011, ponctionnées annuellement (2,1 Mds) au profit de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

Enfin,la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 accélère la mise en œuvre de la réforme de 2010 : l’âge minimum légal de départ à la retraite et l’âge d’obtention automatique de la retraite à taux plein passent respectivement à 62 et 67 ans dès 2017, au lieu de 2018.

Le quinquennat Hollande, « changement » (?) dans la continuité

Les aménagements de 2012

Comme annoncé lors de la campagne pour l'élection présidentielle par le candidat Hollande, un décret du 2 juillet 2012 assouplit le dispositif "des carrières longues" organisé en 2010 :

  • l’âge limite auquel l’assuré doit avoir commencé à travailler est porté de 18 à 20 ans ;

  • 2 trimestres de chômage indemnisé et 2 trimestres supplémentaires liés à la maternité sont ajoutés dans la prise en compte des périodes cotisées à la charge de l’assuré. Le nombre de trimestres ayant donné lieu à cotisations ou réputés tels est limité à 4 par année civile. Toutefois, pour les départs avant 60 ans, une durée d’assurance cotisée majorée de 4 à 8 trimestres est prévue dans certaines situations ;

  • les durées d’assurance requises pour les personnes ayant travaillé avant l’âge de 16 et 17 ans sont également revues.

La réforme Touraine de 2014

La loi du 20 janvier 2014 inscrit dans la durée le principe de l’allongement au fil des générations de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Cette durée est relevée d’un trimestre tous les 3 ans de 2020 à 2035 pour atteindre 172 trimestres (43 ans) pour les générations 1973 et suivantes.La mesure emblématique de cette réforme est la création du compte personnel de pénibilité (C3P). Ce compte, instauré à partir du 1er janvier 2015, vise théoriquement à prendre en compte dans le calcul des droits à la retraite la réduction de l’espérance de vie qui résulte d’une vie professionnelle exposée à des facteurs de pénibilité. Le C3P devait permettre aux salariés travaillant la nuit ou dans des environnements pénibles (bruit, port de lourdes charges, etc.) d’avoir accès à une retraite progressive ou anticipée. Las, la mise en œuvre pratique du C3P est reporté à des décrets qui sont soumis à concertation avec les partenaires sociaux et qui ne verront jamais le jour, les parlementaires chargés de cette concertation (et « peu soutenus » par l'exécutif) n'arrivant pas à trouver un terrain d'entente avec le patronat qui est profondément opposé à cette mesure. Finalement, le C3P sera modifié par les ordonnances Pénicaud sur le code du travail du 22 septembre 2017. Depuis le 1er octobre 2017, il est devenu le "compte professionnel de prévention" (C2P). Son régime est simplifié (retrait de 4 facteurs de pénibilité) et les cotisations pénibilité supprimées.

Dans l’objectif de corriger certaines inégalités, la loi Touraine crée également de nouveaux droits ou en renforce certains :

  • un droit opposable à la retraite est institué, afin que les futurs retraités touchent leur pension automatiquement et sans délai ;

  • les règles de validation de trimestres sont modifiées afin d’améliorer la situation des retraités ayant touché des bas salaires ou exercé à temps partiel ;

  • les périodes de congé maternité sont intégralement comptabilisées dans le calcul de la durée d’assurance (jusque-là seul le trimestre de l’accouchement était validé) ;

  • la validation des trimestres d’apprentissage (et de stage sous conditions) est permise et les possibilités de rachat d’années d’études sont étendues ;

  • le droit à l’information des assurés sur leur retraite est renforcé. Un "compte individuel retraite" (CIR) en ligne est créé (il est opérationnel depuis janvier 2017).

  • elle élargit les conditions d’accès à la retraite anticipée à 60 ans pour carrière longue en augmentant le nombre de trimestres assimilés considérés comme "cotisés" ;

  • elle améliore la retraite des agriculteurs et contient plusieurs dispositions en faveur des travailleurs handicapés et des aidants familiaux ;

  • elle simplifie la liquidation de la retraite des "polypensionnés" en mettant en place « la liquidation unique des régimes alignés » (LURA, entrée en vigueur en juillet 2017), pour permettre un calcul et un versement unique des pensions des "polypensionnés" ;

  • elle revalorise l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) ;

  • elle crée un "comité de suivi des retraites" afin d’améliorer le pilotage du système.Un gel des pensions sera par ailleurs mis en place pour 6 mois lors de l’entrée en vigueur de la loi.

Partager cet article
Repost0
10 septembre 2019 2 10 /09 /septembre /2019 17:00

En avril 2019, Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, osait affirmer sur le plateau de Public Sénat que la grève dans les urgences de plusieurs hôpitaux parisiens n’était pas due aux conditions de travail ! Cinq mois et 249 sites en grève à travers tout le pays plus tard, les problèmes d’agressions et d’insécurité, d’abord mis en avant par la ministre, ont été relégués au second plan. Pour répondre à l’augmentation continue du nombre de patients, multiplié par deux en 20 ans, et supérieur à 21 millions en 2017, Mme Buzyn a annoncé hier rien de moins que ce qu'elle baptise un « pacte de refondation » (mazette !).

Or il y a loin de la coupe aux lèvres ! Et surtout les annonces du lundi 9 septembre – sans être inutiles – tombent parfaitement à côté des principaux enjeux auxquels sont confrontés personnels et patients des urgences hospitalières.

En effet, les 754 millions d'euros et les douze mesures du « plan » seront en réalité étalé sur 3 ans (2019-2022), dont 150 M€ pour l’année 2020. Elles viennent compléter les premières mesures prises avant l’été pour un montant de 70 M€ (dont 50 M€ sont destinés à financer une prime de risque mensuelle de 100 euros net pour les paramédicaux des urgences, et que toucheront désormais également les assistants de régulation médicale). Les moyens supplémentaires annoncés lundi devraient concerner à hauteur de 630 M€ « des renforts, en ville comme à l’hôpital, de médecins et soignants », MAIS sans aucune traduction précise en termes d’effectifs.

Or ces crédits supplémentaires seraient dégagés en économisant sur d’autres postes, de manière à ne pas toucher à l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), l’enveloppe fermée qui contraint les dépenses de santé. Ainsi Christophe Prudhomme, membre de la CGT et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) déplore : « Si certaines mesures méritent discussions, il s’agit de redéploiement budgétaire, ce qui est contradictoire avec les annonces ». Les personnels réclament en effet légitimement un Ondam à 5 %, soit 4 milliards d’euros supplémentaires dans le budget de la santé. L'une des principales questions posées par les annonces de Mme Buzyn est de savoir d’où vont venir ces financements. Car si c’est pour déshabiller un autre service, cela revient à transférer le problème. Car Les urgences, c’est le haut de l’iceberg, mais tout l’hôpital est très malade…

Autre mesure clinquante mais en réalité imprécise, si ce n'est évanescente : la création annoncée d'ici à l'été 2020 d'un service d’accès aux soins (SAS). Objectif théorique de ce « service distant universel », accessible par téléphone ou par Internet : « Répondre à toute heure à la demande de soins des Français » et obtenir 24h/24 un conseil médical et paramédical, de prendre rendez-vous pour une consultation avec un médecin généraliste dans les vingt-quatre heures, de procéder à une téléconsultation, d’être orienté vers un service d’urgences ou de recevoir une ambulance. Si le coût du dispositif est déjà connu (340 M€ sur 3 ans), ses modalités ne seront précisées qu’en novembre (aura-t-on un numéro unique ou une cohabitation avec le 15 ?). Autre interrogation : combien faudra-t-il de médecins libéraux pour faire fonctionner un tel système ? Où les trouvera-t-on ?

La ministre a commencé la réunion avec les professionnels en expliquant que le vrai problème, c’était le manque de médecins traitants. Or, dans toutes ces propositions, elle ne fait rien pour enrayer la désertification. Ainsi le SAS ne résoudrait donc pas le problème, car si on manque de médecins libéraux, on ne fera que le déplacer.

En réalité, une partie des annonces reprennent des dispositifs déjà programmés. Cinquante maisons médicales de garde accueillant des médecins libéraux seront ainsi financées d’ici à la fin de l’année « à proximité directe » de tous les services d’urgences totalisant plus de 50.000 passages par an. Il s'agit pour le ministère de développer une offre de soins libérale présentant les mêmes attraits que les urgences. D’ici à la fin de l’année, tous les médecins de garde devraient donc disposer de terminaux permettant de pratiquer le tiers payant sur la part Sécu.

Le plan présenté hier prévoit par ailleurs de « lutter plus efficacement contre les dérives de l’intérim médical », en obligeant notamment les médecins intérimaires à fournir lors du recrutement une attestation sur l’honneur certifiant qu’ils ne contreviennent pas aux règles sur le cumul d’emplois publics. Autre volet du plan : les hôpitaux devront contractualiser avec les Ehpad afin de mettre en place des filières d’accès direct des personnes âgées, afin de ne pas faire des urgences la porte d’entrée – souvent éprouvante – de l’hôpital. Les établissements devront par ailleurs tous optimiser la gestion de leurs lits d’hospitalisation, par le biais de l’embauche de gestionnaires de lits et la mise en place de logiciels de prédiction des besoins.

Pour ne pas pénaliser les hôpitaux qui enregistreraient une baisse des passages aux urgences, notamment du fait d’une meilleure prise en charge par la médecine de ville, le financement des urgences sera revu, par l’intermédiaire du versement d’une « dotation populationnelle ». Autrement dit, les services d’urgences ne seront plus financés exclusivement à l’activité mais recevront une « enveloppe forfaitaire » dépendant de l’importance de la population couverte et de ses caractéristiques socio-économiques, ainsi que de la « densité médicale libérale dans leur territoire ».

On touche donc là aux véritables angles morts du « plan » de la ministre de la santé : elle retombe dans une démarche purement gestionnaire défendant au passage un « repositionnement » plutôt qu'une réelle « refondation » qui supposerait une remise en cause des logiques prévalant depuis le quinquennat Sarkozy et la loi Bachelot.

En effet, la tarification à l'activité n'est pas remise en cause mais seulement aménagée, à la manière d'une rustine sur une jambe de bois, et encore, cela n'est obtenu qu'après plusieurs plusieurs de grave crise sociale et de mobilisation inédite (arrêts de travail effectifs, arrêts maladie massifs, etc.) dans les urgences hospitalières.

Mais surtout, la ministre est passée à côté des revendications fondées sur l'expertise des professionnels médicaux et paramédicaux des urgences : un moratoire sur la fermeture des lits en aval et 10.000 postes en plus.

Sur le premier point, la ministre semble favorable à un moratoire, mais pas sur une ouverture de lits dans les services. Or chacun peut comprendre que c'est cette question des lits d'aval qui représente un des nœuds essentiels du dossier : si vous ne sortez pas – notamment les personnes âgées qui arrivent plus encore que d'autres publics par défaut aux urgence – les patients vers des hospitalisations adaptées, les services de médecine d'urgence continueront d'être embolysés. Le moratoire sur la fermeture des lits éviterait une dégradation supplémentaire et continue, mais sans ouverture de lits supplémentaires le phénomène d'engorgement perdurera.

Ce plan oublie enfin l’essentiel, à savoir des effectifs supplémentaires aux urgences, mais aussi ailleurs. Car ouvrir un lit, cela veut dire embaucher ; s’il n’y a pas de médecins, d’infirmières, d’aides-soignantes en plus dans les Ehpad, par exemple, les personnes âgées continueront d’aller aux urgences. Et dans six mois, on aura à faire face aux mêmes problèmes, surtout avec la grippe… Pour mémoire, la CGT demande aussi 40.000 postes pour les Ehpad.

Enfin la ministre a éludé la question des rémunérations alors que le collectif inter urgences estime nécessaire une augmentation de 300 euros mensuels. Il faut le marteler : une augmentation salariale reste une condition sine qua non, notamment pour rendre plus attractifs des métiers qui peinent à recruter. Les services subissent de ce fait un important turn-over. Au niveau de l’OCDE, la France est au 27e rang pour le salaire des infirmières. En Allemagne ou en Espagne, elles sont bien mieux payées. Du coup, on trouve de moins en moins d’infirmières dans les zones frontalières…

Malgré les impasses sur une véritable refondation, il y a évidemment des propositions intéressantes dans les annonces d'hier, mais même celles-ci vont prendre des mois, voire des années avant qu’on puisse voir un changement. C’est normal que cela prenne du temps, mais ce qui est dramatique c’est de ne pas répondre aux besoins immédiats, alors que des patients décèdent sur des brancards et que des soignants se suicident…
Pour de nombreux professionnels, la ministre n’est plus dans le déni, mais dans le mépris.

Frédéric Faravel

Pour de nombreux professionnels des Urgences hospitalières, avec l'annonce de son plan, Agnès Buzyn n’est plus dans le déni, mais dans le mépris.

Pour de nombreux professionnels des Urgences hospitalières, avec l'annonce de son plan, Agnès Buzyn n’est plus dans le déni, mais dans le mépris.

Partager cet article
Repost0
25 mars 2019 1 25 /03 /mars /2019 09:44
logo de la pétition WeSignIt initiée par Marie-Noëlle Lienemann sur la TVA pour la construction de logements sociaux

logo de la pétition WeSignIt initiée par Marie-Noëlle Lienemann sur la TVA pour la construction de logements sociaux

La baisse des APL et les ponctions financières sur les HLM, la décision d’augmenter la TVA sur les travaux de construction et de rénovation dans le logement social en les faisant  passer de 5,5 à 10% sont des mauvais coups contre le logement social et la protection des plus démunis: moins de constructions, de réhabilitations, loyers plus chers...

Signons cette pétition pour demander au gouvernement de ramener la TVA sur la construction et rénovations des logements sociaux à 5,5% car ce sont des biens de première nécessité pour les Français.

Signez et faites signer la pétition : http://hlmtva5-5.wesign.it/fr
La fixation du taux de TVA pour la construction de logements a un impact important sur la capacité du pays et des bailleurs à répondre aux besoins de logements dans notre pays, notamment dans les zones tendues où la demande de logement est extrêmement forte, le foncier est rare et les coûts réels des loyers rendent difficile l'accès au logement.
Un taux élevé de TVA sur la construction de logements sociaux désavantagera évidemment financièrement non seulement la construction de logements neufs, les investissements des bailleurs, l'entretien des logements existants et surtout leur rénovation thermique. In fine, cela pèse sur les loyers des logements sociaux neufs – alors que l'un des enjeux majeurs du dossier est bel et bien de construire massivement des logements sociaux avec des loyers réellement abordables – et sur la quittance des locataires – en effet, l'impératif de transition énergétique est tout autant important pour des raisons écologiques que pour la réduction des coûts à la charge des locataires.
Contrairement à ce que certains commentateurs racontent, il n'est pas possible d'opposer la lutte contre « fin du monde » et celle les difficultés de « fins de mois », c'est une seule et même problématique.
Nicolas Sarkozy, lorsqu'il était président de la République, avait sous pression de l'Allemagne pris à partir de 2010 une décision très négative en faisant passer la TVA sur le logement social de 5,5% à 7% ; cela avait provoqué une baisse significative de la production. Ce qui, hélas, s'était observé en 2011, 2012 et 2013. La perspective d’augmenter à 10% ce taux aurait constitué un handicap supplémentaire inacceptable.
Duflot abaisse en 2013 la TVA sur la construction de logements sociaux à 5 %, avec le soutien de Marie-Noëlle Lienemann et Jean-Marc Ayrault
Cécile Duflot, ministre du logement en 2013, aux côtés de Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris, et Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre
En mars 2013, Cécile Duflot, ministre du logement, avait décidé le retour au taux minimal de 5%, c'était une avancée importante constituant un vrai levier pour la relance de la construction comme de la rénovation de HLM et contribuant à l’activité et l’emploi dans le secteur du bâtiment.
Cette décision s'intégrait dans la volonté d'atteindre les objectifs annoncés de réaliser 150 000 logements sociaux et la rénovation thermique de 500 000 logements sociaux, par an. Les mises en chantier de logements sociaux sont ainsi lentement repartis à la hausse.
E. Philippe et J. Denormandie
Edouard Philippe (de dos) et le secrétaire d'Etat Julien Denormandie imposent fin 2017 une TVA à 10% sur la construction de logements sociaux, au-delà de tout ce qu'avait pu espérer Nicolas Sarkozy lui-même
Lors des débats sur le budget pour 2018, le gouvernement d'Edouard Philippe a imposé - après une manœuvre de chantage supplémentaire sur les APL - de nouveau un taux élevé de TVA sur la construction de logements sociaux à hauteur de 10%, bien au-delà donc de ce qui avait été décidé sous Nicolas Sarkozy. Cela a eu de graves conséquences : chute de la construction des logements sociaux, chute des investissements et de l'entretien. Cela ne peut qu'aggraver à terme la situation des locataires. Cette décision a été mauvaise pour le pouvoir d'achat des Français, pour l'emploi et la transition énergétique.
Les Français ont exprimé très clairement à travers les mouvements sociaux de ces derniers mois la nécessité de faire baisser la TVA sur les biens de premières nécessités : le logement social est un bien de première nécessité. Les associations ont témoigné de l'augmentation du nombre de SDF. Il apparaît donc évident que la France doit faire un effort supplémentaire de relance de construction de logements sociaux, avec des loyers abordables.
Frédéric Faravel
Partager cet article
Repost0