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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

16 juillet 2022 6 16 /07 /juillet /2022 16:52

J'ai rédigé pour la Gauche Républicaine et Socialiste l'article ci-dessous à l'occasion des 80 ans de la Rafle du Vél d'Hiv.

Les 16 et 17 juillet 1942, l'Etat français en lien avec l'occupant nazi organisait la rafle plus de 13000 Juifs français et étrangers de l'agglomération parisienne.

Cette participation directe du régime de Vichy à l'entreprise d'extermination des Juifs d'Europe fut l'opération la plus importante de toute la guerre en France : elle représente à elle seule plus du quart des 42000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942, dont seuls 811 reviendront chez eux après la fin de la guerre ; parmi les 13152 arrêtés, il y avait 4115 enfants et sauf quelques uns qui réussirent à fuir à Paris ou des camps d'internement en France aucun ne survécut à la déportation à Auschwitz. Alors que depuis deux ans, des entreprises lamentables de révisionnisme historique, de falsification des faits et de réhabilitation de Philippe Pétain et de son régime antisémite ont eu de nouveau table ouverte dans les médias, la Gauche Républicaine et Socialiste souhaite apporter sa pierre, à l'occasion des commémorations nationales pour les 80 ans de la Rafle du Vel d'Hiv, dans la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et le révisionnisme.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

Ni oubli, ni pardon, les 80 ans de la rafle du Vél’ d’Hiv’

Nous vivons une époque déconcertante et à bien des égards terrifiante… L’élection présidentielle de 2022 a été marquée par la candidature d’un personnage condamné à plusieurs reprises pour provocation à la haine ou la discrimination raciale, et qui avait soutenu en 2019 (propos réitérés en 2022 durant la campagne électorale) que de 1940 à 1944, le régime de Vichy a « protégé les Juifs français et donné les Juifs étrangers ». Contre toute attente, le polémiste médiatique devenu par la suite candidat à l’élection présidentielle et attaqué pour contestation de crime contre l’humanité avait été relaxé en première instance par le Tribunal judiciaire de Paris en février 2021, relaxe confirmée le 12 mai 2022 par la Cour d’Appel de Paris. Relaxe d’autant plus absurde que le tribunal avait considéré que les propos tenus contenaient bien « la négation de la participation [du régime de Vichy et du Maréchal Pétain] à la politique d’extermination des juifs menée par le régime nazi ». Entre temps, Eric Zemmour avait obtenu près de 2,5 millions de voix lors du premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril 2022 soit 7,07 % des suffrages exprimés.

Ainsi la négation de la participation active d’un régime et d’un dirigeants politiques à un crime contre l’humanité n’est pas aux yeux des juridictions concernées une contestation de crime contre l’humanité. 80 ans après la rafle du Vél’ d’Hiv’, on trouve des juges pour se laver les mains face à une entreprise révisionniste… car c’est bien de cela qu’il s’agit : nier la réalité historique et contester la nature intrinsèquement antisémite du régime mis en place par Philippe Pétain pour remplacer la République et détruire son œuvre. Il s’agit de banaliser la diffusion d’élucubration antisémite au prétexte de défendre une version dévoyée du « roman national » selon laquelle les dirigeants français n’auraient jamais totalement été du mauvais côté.

Comment imaginer que 82 ans après les lois antijuives de Vichy il soit encore nécessaire de reprendre sur le sujet la plus élémentaire des pédagogies ?

Vichy, un régime antisémite par et pour les antisémites

Le caractère réactionnaire, fascisant et antisémite de « l’État français » peu à peu déployé par Philippe Pétain depuis qu’il a reçu les pleins pouvoirs d’un Parlement en panique qui a sombré dans la lâcheté (sauf les 80 justes) ne fait pourtant aucun doute. Il s’agit d’appliquer un « nettoyage » radical des institutions puis de la société française, tel que le préconisaient nombre d’inspirateurs du Maréchal et de ses proches collaborateurs, les nettoyer des « quatre anti-France » théorisées par Maurras et l’Action Française : « la marxiste, la métèque, la juive et la protestante »… Les trois premières sont attaquées dès les premiers mois du nouveau régime :

  • contre les « marxistes » : arrestation et internement des principaux dirigeants des partis de gauche qui n’ont pas fait allégeance et renié leurs idéaux, déchéance des principaux élus locaux y appartenant, interdiction des partis marxistes (le PCF l’était déjà depuis le déclenchement de la guerre pour l’avoir dénoncé afin de se conformer au pacte germano-soviétique) ;
  • contre les « métèques » : dès le 12 juillet 1940, une série de décret-lois vont distinguer au sein des citoyens français des individus « moins français » que les autres et leur interdire l’accès à de nombreuses profession, puis déchoir de leur nationalité française des milliers d’entre eux et notamment tous les naturalisés depuis 1927, interdisant certaines professions aux ressortissants étrangers et « apatrides »… d’une certaine manière, le 27 août 1940, Pétain légalisait le racisme en abrogeant le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939 qui punissait l’injure et la diffamation raciale.

L’offensive contre les Juifs français, étrangers ou apatrides (parmi les 15 000 citoyens perdant le bénéfice de leur naturalisation 6 000 étaient juifs) se traduit dans des décisions à caractère massif : Le 3 octobre 1940, Philippe Pétain édicte le premier statut des Juifs, publié le 18 octobre : ils sont exclus de la fonction publique de l’État, de l’armée, de l’enseignement et de la presse. Le même jour, la Préfecture de Police communique que la déclaration prescrite par ordonnance allemande sur le recensement des Juifs sera reçue par les commissaires de police.

En mai 1941, environ 119 universitaires avaient dû quitter leurs postes (76 dans la zone occupée, 43 en zone Sud), et un mois plus tard, lorsque le deuxième statut des Juifs est promulgué, 125 autres membres de l’université française se retrouvent au chômage. Des exceptions fondées sur la notion de « services exceptionnels » (article 8 de la loi du 3 octobre 1940) rendus à l’État français rendaient possibles certains reclassements.

Le 4 octobre 1940, une nouvelle loi prévoit l’internement des étrangers d’origine juive sur décision administrative des préfets.

Le 7 octobre 1940, une loi abolit le décret Crémieux de 1869 accordant la nationalité française aux Juifs d’Algérie, soit près de 400 000 personnes. Quatorze à quinze mille Juifs d’Afrique du Nord sont internés en 1941 dans différents camps dont ceux de Bedeau, Boghari, Colomb-Béchar et Djelfa en Algérie. Il faudra que le polémiste entré en politique nous dise si ces Français ont été ainsi protégés.

Le 31 octobre 1940, les opérations de recensement dans le département de la Seine s’achèvent. Elles donnent lieu à la création du Fichier des Juifs de la Préfecture de la Seine, dit Fichier Tulard. Au total, à la fin de l’année 1940, 151 000 Juifs sont recensés.

Le 29 mars 1941, le Commissariat général aux questions juives est créé avec Xavier Vallat, virulent antisémite, à sa tête. Il n’y a jamais eu de distinction entre citoyens français, d’un côté, et étrangers ou apatrides de l’autre.

Le 2 juin 1941, la loi institue un deuxième statut des Juifs avec un allongement de la liste des interdictions professionnelles, un numerus clausus de 2% pour les professions libérales et de 3% pour enseigner à l’Université. Un décret passé en juillet 1941 exclut aussi les Juifs des professions commerciales ou industrielles. Ce statut autorise les préfets à pratiquer l’internement administratif de Juifs de nationalité française. Et le 2 juin 1941, une nouvelle loi prescrit le recensement des Juifs sur tout le territoire, de la zone occupée et de la zone libre.

Nous arrêterons ici l’énumération des mesures prises par le régime de Vichy, souvent annotée et durcie de la main même du Maréchal Pétain, mais l’Etat français a poursuivi tout au long de l’année 1941 puis en 1942 son travail d’innovation législative contre les Juifs français, étrangers ou apatrides. La volonté de mettre en place un régime de harcèlement et de persécution généralisé sur une base raciste ne peut faire aucun doute.

Le caractère « radical » de la rafle du Vél’ d’Hiv’

Les premières rafles et internements contre les Juifs commencent dès 1941. Dans un premier temps, la grande majorité des personnes visées sont étrangères ou apatrides, mais cela n’a rien d’exclusif. Un basculement s’opère dès 1942. L’Allemagne élabore la Solution finale, l’extermination totale des Juifs. Le régime de Vichy n’est plus simplement soumis aux ordres nazis, il va collaborer pleinement, volontairement et avec zèle pour livrer des Juifs étrangers et français. Là encore, rappelons le c’est un choix politique conscient de Vichy qui consiste à mener une politique antisémite propre dans le but de se débarrasser du maximum de Juifs. Et c’est une politique qui, de fait, n’a absolument pas été protectrice des Juifs français, puisque dès la rafle du Vel’ d’Hiv’, 3 000 enfants français ont été arrêtés. De ces enfants arrêtés lors de cette rafle en juillet 1942, il reste les fiches d’identité, orange pour les enfants juifs étrangers et bleu pour les enfants juifs français. En les comparant, on peut voir que 80% des enfants juifs arrêtés au Vel’ d’Hiv’ étaient français.

Dans le cadre de l’opération « Vent printanier » en juin 1942 (qui visait à coordonner la rafle de dizaines de milliers de Juifs d’Europe occidentale pour les déporter), « l’État français » et les Nazis négocient sur une base d’une « livraison » de 40 000 Juifs de la zone occupée, dont 22 000 adultes de la région parisienne, avec un ratio de 40% de Juifs français et 60% de Juifs étrangers.

Près de 13 000 Juifs sont arrêtés en région parisienne les 16 et 17 juillet 1942, dont 8 000 envoyés vers le palais des sports du Vélodrome d’Hiver avant d’être déportés. C’est, de loin, la plus grande rafle menée par la police française dans la France occupée. Il n’y a aucun équivalent en Europe de l’Ouest. 12 884 femmes, hommes et enfants arrêtés à Paris en un peu plus de 24 heures et envoyés vers les camps de la mort durant l’été 1942. Plus de 8 000 Juifs arrêtés les 16 et 17 juillet 1942 ont été envoyés vers le palais des sports du Vélodrome d’Hiver (XVe arrondissement), à deux pas de la tour Eiffel, avant d’être déportés. Sur les 13 152 arrêtés, il y a 4 115 enfants, moins de cent adultes et aucun enfant ne survivent à la déportation vers Auschwitz. Seuls quelques enfants, comme Joseph Weismann (qui s’échappe du camp de Beaune-la-Rolande avec un camarade) ou Annette Muller et son frère Michel (dont le père arrive à corrompre un policier du camp de Drancy, pour les en faire sortir), ont survécu à la rafle.

L’expression « rafle du Vél d’Hiv » s’est imposée dans la mémoire collective, au point de devenir le principal repère mémoriel sur la France des années noires. C’est pourtant aussi le symbole d’une forme de déni et de volonté d’oublier, de regarder ailleurs. Après la Libération, le Vélodrome d’Hiver continuera d’accueillir des spectacles et des des rencontres sportives jusqu’à sa destruction en 1959. Pendant des années, seules les associations de déportés juifs ont continué à commémorer le souvenir de l’événènement jusqu’à ce que les consciences, les politiques et les historiens commencent à regarder en face l’horreur commise à partir de la fin des années 1960…

Il faudra attendre le 16 juillet 1992 pour franchir une étape importante pour la mémoire. François Mitterrand, Président de la République, rend hommage ce jour-là aux victimes de la rafle du Vel d’Hiv’ en déposant une gerbe au pied de la stèle commémorative, accompagné de Madame Rozette Bryski, rescapée de cette terrible journée. C’est à son initiative que la journée de commémoration annuelle fut instaurée. François Mitterrand en avait fait l’annonce en 1992 ; laquelle sera suivie d’un décret officiel en date du 3 février 1993 instituant une cérémonie annuelle nationale et départementale, à Paris, à Izieu et dans chaque département. Contrairement aux dénonciations de certains militants qui avaient tant mis hors de lui Robert Badinter ce même 16 juillet 1992, François Mitterrand n’a jamais minimisé le drame du Vel d’Hiv, au contraire : à plusieurs reprises, en tant que Président de la République, il a rappelé à la Nation la nécessité de conserver la mémoire de ce douloureux événement. À l’automne 1992, interviewé par la télévision israélienne, il qualifiait lui-même le drame du Vel d’Hiv de « drame qui ne peut pas être oublié », dont le souvenir devait « être sauvegardé et honoré ». Il ajoutait que cette rafle était « intolérable », « insupportable pour l’esprit ». Tordons le cou enfin à la fable selon laquelle, le président Mitterrand (et De Gaulle avant lui) aurait minimisé la responsabilité du régime de Vichy dans le déroulement de ces événements… C’est bien le contraire que les faits relatent : dans le décret publié en février 1993 instituant la commémoration nationale, il est justement question « des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite “gouvernement de l’Etat français” », reprenant ainsi la formule de l’ordonnance du 9 août 1944 du général de Gaulle rétablissant la légalité républicaine. Enfin, en 1995, c’est sur les lieux de l’ancien vélodrome que le président Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs.

Il aura donc fallu plus de 20 ans pour que la mémoire et l’établissement des faits de cette tragédie reviennent sur la place publique. 20 ans, c’est long… et 80 ans c’est trop court pour imaginer supporter la contestation d’un crime contre l’humanité et la négation d’une complicité active.

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7 juillet 2022 4 07 /07 /juillet /2022 10:15

J'ai rédigé pour la Gauche Républicaine et Socialiste cette réaction au discours de politique générale prononcé par la première ministre Elisabeth Borne devant les députés le mercredi 6 juillet 2022 après-midi. Je vous laisse découvrir l'article ci-dessous.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

L’exécutif n’a pas compris le message des Français

Alors que la Première Ministre Elisabeth Borne prononçait cet après-midi devant l’Assemblée nationale son (très) long discours de politique générale, on ne peut que ressortir de l’exercice non pas déçus (nous n’en attendions à dire vrai pas grand-chose de bien) mais attristés. Attristé pour la démocratie républicaine, attristés pour la situation des Françaises et des Français, attristés pour la France.

En effet, Elisabeth Borne, et avec elle le Président de la République dont elle dépend entièrement, a bel et bien donné l’impression que le message électoral des Français n’avait pas été entendu à l’Elysée et à Matignon. Ne tenant aucun compte du fait que, les 12 et 19 juin, les électeurs aient catégoriquement refusé une majorité parlementaire à Emmanuel Macron, sa première ministre a égrainé les mesures les plus marquantes du Président de la République dans la case bilan comme dans la case perspective, toutes plus antisociales et régressives les unes que les autres : de l’explosion du service public ferroviaire à la casse de l’assurance chômage pour le passif à la volonté de retarder encore l’âge de départ à la retraite, Elisabeth Borne a clairement démontré une volonté de marbre d’avancer coûte de que coûte pour réaliser un projet présidentiel que nos concitoyens n’ont jamais soutenu. La comparaison avec les précédents de 1958 et 1988 sont tout autant osés (gonflés) dans la bouche de la locataire de Matignon qu’incongrus : en 1958, les Gaullistes n’avaient certes pas la majorité à l’Assemblée Nationale mais bénéficiaient d’une forme d’union nationale au moment de porter sur les fonds baptismaux la Vème République ; en 1988, François Mitterrand et Michel Rocard pouvaient compter sur une trentaine de députés de plus que ceux dont disposent Macron et Borne… La fragilité politique du macronisme est d’un autre niveau et sa prolongation est due avant tout à la réélection d’Emmanuel Macron par défaut. L’exécutif a ainsi confirmé qu’il n’a pas l’intention de faire vivre une interprétation plus parlementaire et délibérative d’un régime institutionnel pourtant à bout de souffle.

Par ailleurs, alors que chacun partage le constat sur les difficultés sociales et de pouvoir d’achat auxquels sont confrontés les Françaises et les Français, on aurait pu attendre d’une cheffe du gouvernement à la hauteur de l’enjeu un ton plus offensif pour répondre à l’angoisse de nos concitoyens face à l’envolée des prix, qui atteint désormais 5,8 %, à la flambée des tarifs de l’énergie et notamment du carburant automobile, ou face au ralentissement perceptible de la reprise de l’activité économique. Aucune négociation générale sur les salaires dans le privé, une réaffirmation de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires de 3,5 % – très largement sous l’inflation après 11 ans de gel –, une action contenue aux chèques énergie et alimentaires dont chacun connaît les limite, aucune volonté de bloquer les prix de l’énergie ou d’agir pour leur baisse… les Français doivent s’attendre dans ses conditions à passer un hiver des plus frais et à enfiler leurs pulls, ce que font déjà au demeurant des centaines de milliers de nos concitoyens depuis quelques années. Quel contraste entre un Emmanuel Macron qui pourfend en marge des sommets européens les « profiteurs de crise » et le silence absolu de sa Première Ministre sur le sujet cet après-midi : la communication politique européenne prend dans le macronisme toujours le pas sur l’action réelle de la puissance publique. Que dire enfin de l’état de notre système santé publique, qui n’a mérité qu’un énième hommage sans portée pratique aux soignants, alors que Mme Borne nomme comme ministre de la santé, le référent hôpital du candidat Macron à la présidentielle, qui propose de fermer les Urgences la nuit pour l’été 2022… Nous ne pouvons de même que nous inquiéter de l’absence de ligne directrice affirmée en matière de politique industrielle et de réindustrialisation. Nos PME vont rapidement être confrontées à la fin des mesures de soutien mises en place pendant la crise sanitaire, sans s’en être totalement remises, pour faire face à une crise économique d’un autre type avec pénurie de ressources et énergie chère. Rien ne semble prévu de concret non plus pour impulser des relocalisations durables alors même que les délocalisations et les opérations de prédation industrielle se poursuivent sans réaction sérieuse de l’exécutif : confronté à la perspective d’un renchérissement de l’argent, le gouvernement a déjà décidé que le temps du « quoi qu’il en coûte » était terminé, les Français le paieront avec l’austérité.

Enfin, que dire de l’intervention de la Première ministre sur la politique européenne et internationale de la France !? Elisabeth Borne s’est contentée d’enfiler les lieux communs et les principes généraux sur le terrorisme ou la guerre en Ukraine, mais on serait bien à mal de comprendre quelle sera la politique conduite après son intervention d’hier après-midi. On devine même au détour de l’annonce de la renationalisation complète d’EDF – que nous accueillons avec satisfaction – que les silences sur l’environnement politique et économique du fleuron français cachent probablement de futures capitulations. La puissance publique dispose aujourd’hui de 84 % du capital de l’entreprise publique, ses difficultés reposent donc moins sur l’importance de son contrôle par l’État que sur l’absence de stratégie offensive de la France dans les dossiers internationaux et énergétiques : Que vaudra un EDF à 100 % public si le projet Hercule nous est resservi par la petite porte avec une vente de certaines filiales par appartement à la demande de la Commission Européenne ? Comment compte-t-on opérer une transition énergétique digne de ce nom si la France ne tape pas du point sur la table pour que ce soit enfin engagée une réforme du marché européen de l’énergie et qu’on en finisse avec l’absurdité d’ériger le gaz comme « énergie de transition » ce que qui a été confirmé par le vote de Parlement européen ce matin-même ?

Elisabeth Borne avait parfaitement le droit de ne pas se soumettre à un vote de confiance après sa déclaration de politique générale… cela était d’ailleurs incontournable car elle n’a ni la confiance de l’Assemblée Nationale ni celle des Français et ne tient sa légitimité que par celle que lui confère un président par défaut. La Première Ministre et le Président de la République ont fait la démonstration cet après-midi qu’ils ne comptaient en rien composer avec le Parlement : ils useront aussi longtemps qu’ils le pourront des ressources institutionnelles que leur offrent la constitution de la Vème République pour gouverner sans majorité. Ce régime est donc en train d’atteindre un sommet d’absurdité démocratique. Le macronisme en est la phase terminale. Nous appelons de nos vœux une autre politique que celle proposée par l’exécutif, cela ne sera possible que par le retour aux urnes de nos concitoyens. La France et les Français méritent d’autres solutions que celles qui sont matraquées par les 50 nuances de droite : la Gauche Républicaine et Socialiste continuera à défendre le projet qu’elle a adopté le 26 septembre 2021 à Marseille et à dialoguer avec les autres forces de gauche pour construire un véritable programme commun cohérent.

L’exécutif n’a pas compris le message des Français
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17 juin 2022 5 17 /06 /juin /2022 14:27
Dimanche se tiendra le second tour des élections législatives.
 
Dans le pays, le 1er tour du dimanche 12 juin a vu le camp d'Emmanuel Macron reculer, payant ainsi sa politique de régression sociale et des libertés publiques (qu'il conduit en réalité depuis 2014) et son aveuglément quant aux conditions de sa réélection le 24 avril dernier. On le dit trop peu mais ces élections ont surtout marqué une progression très forte des scores de l'extrême droite et le RN devrait disposer pour la première fois au scrutin majoritaire d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale : Macron et ses supporters en sont directement responsables. Une partie de la gauche s'est rassemblée autour d'un accord électoral inégal baptisé "Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale" : la mécanique électorale lui permettra ainsi d'être plus présente au Parlement et c'est une bonne nouvelle, mais contrairement aux commentaires médiatiques et militants, il n'y a pas eu de réelle dynamique.
 
Notre démocratie républicaine est toujours malade et personne ne semble vouloir sérieusement travailler à reconquérir les classes populaires qui choisissent de s'abstenir massivement et toujours plus (plus encore que de voter RN). Sans ce travail, la gauche (et quand je parle de gauche, je parle de formation qui ont réellement envie de changer la société, pas les clones de François Hollande ou de Manuel Valls, qui dirigent avec des masques opportunistes la mairie de Bezons aujourd'hui) ne retrouvera pas le pouvoir.
 
J'ai aidé et travaillé un peu partout avant le 1er tour pour les candidats de la Fédération de la Gauche Républicaine et de la Gauche Républicaine & Socialiste ; nous ne présentions pas de candidat(e) sur Argenteuil et Bezons, le 12 juin dernier. Les résultats ont placé très largement en tête le candidat de La France insoumise qui a élaboré le très imparfait accord électoral NUPES ; en deuxième position, Mme Fiona Lazaar, députée macroniste sortante, a rassemblé 20% des suffrages exprimés... tout cela dans un contexte d'abstention massive. Mme Lazaar est complice de la politique antisociale, antiécologique et autoritaire imposée par Emmanuel Macron ; Mme Lazaar n'a strictement rien fait de son mandat pendant 5 ans... Nous n'avons pas besoin à Bezons et Argenteuil d'une députée macroniste inutile supplémentaire ; nous n'avons pas besoin d'une députée qui soutiendra des politiques qui feront du mal au pays et à nos concitoyens, notamment aux habitants des quartiers populaires.
 
Dans ces conditions, non seulement il ne doit pas y avoir une voix qui doit se porter cette députée sortante, mais le devoir d'un républicain de gauche, d'un socialiste réel et sincère, est de la faire battre : pour cela, il faut utiliser le bulletin Paul Vannier.
 
Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la Gauche Républicaine et Socialiste
Argenteuil-Bezons : éjectons la députée macroniste !
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10 juin 2022 5 10 /06 /juin /2022 20:51

Cette dernière partie de la série publiée par Le Temps des Ruptures propose des pistes de réflexion afin de permettre à la gauche de reconstruire une position offensive dans le champ politique.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)
REMONTER LA PENTE

La situation est grave mais finalement pas désespérée. Les partis de gauche se sont finalement rassemblés en quelques jours après s’être écharpés pendant des années pour affronter ensemble les élections législatives des 12 et 19 juin 2022. LFI rebaptisée « Union Populaire » n’a donc pas reproduit la faute politique de 2017 et a assumé une forme nouvelle d’union autour d’elle : Génération·s, puis EELV (au nom du reste du pôle écologiste), le PCF et enfin le PS ont donc signé un accord national inédit car exclusif – j’y reviendrai plus loin – pour une campagne sous les couleurs de la « Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale » (NUPES). Je ne ferai aucun pronostic ici à quelques jours du 1er tour de scrutin(1), ce n’est pas le propos de cette analyse… Cependant, il est évident que le nouveau rapport de force à gauche va peser sur sa recomposition et sa réorganisation, que la NUPES impose une cohabitation à Emmanuel Macron ou non. Par contre, la gauche reste devant des problèmes existentiels toujours non résolus : celle de son objet et sujet social ; celle de ses outils et de son organisation structurelle.

RÉINTÉGRER LES CLASSES POPULAIRES DANS LA POLITIQUE ET DANS LA GAUCHE

La gauche s’est toujours donnée pour mission de faire progresser l’égalité… dans l’exercice du pouvoir, de la citoyenneté, dans le droit ou plus largement dans le champ économique et social. Que ce soit pour conquérir la démocratie républicaine – qui est l’héritage politique des Radicaux – contre les Monarchistes, les Bonapartistes et les Conservateurs ou que ce soit pour instaurer la République sociale et une forme de pouvoir ouvrier – qui est la grande ambition initiale de l’ensemble des partis de gauche (et d’extrême gauche) issus du mouvement ouvrier. La posture des écologistes est différente et s’écarte d’une certaine manière de cette histoire comme le rappelle avec franchise David Cormand dans son article cité dans le deuxième article de cette série.

La désertion de la gauche par les classes populaires – ouvriers et employés – est ainsi plus qu’une difficulté politique et électorale, c’est un choc qui met en cause l’identité même de ce camp politique. Or ce phénomène commence dès le milieu des années 1980 – au rythme des déceptions générées par la « gauche au gouvernement » puis par la « gauche de gouvernement », de la transformation radicale sociologique de long terme de la composition des catégories populaires et de la désindustrialisation constante du pays – pour se généraliser au début des années 2000. Le 21 avril 2002, c’est la gauche de gouvernement qui dispose d’un bilan de gauche (malgré des fautes graves en fin de mandat) mais qui se prend en pleine figure la défiance massive des catégories populaires, alors qu’elle était persuadée de l’avoir pour partie reconquise après le drame ouvrier dont les restructurations de la sidérurgie lorraine de 1983-1984 furent le symbole.

Vingt ans plus tard, la situation ne s’est absolument pas améliorée.

L’abstention française atteint en 2022 26,3 % (2,1 points de moins qu’en 2002 ; l’abstention s’effondre à 20,3 % au 2nd tour en 2002, mais bondit à 28 % en 2022 : c’est une différence notable). L’abstention (selon un sondage Ifop de sortie des urnes) atteint en moyenne 26 % pour les catégories populaires, 25 % chez les employés mais 29 % chez les ouvriers ; elle atteint 36 % chez les inactifs non retraités – jeunes, pauvres privés d’emploi, etc. ce qui se retrouve dans l’abstention des personnes touchant moins de 900€ par mois ou des personnes ne disposant d’aucun diplôme (même inférieur au bac). À cela, il faut ajouter que les catégories populaires comptent le plus grand nombre de non-inscrits ou de mal inscrits sur les listes électorales : 9,3 % des ouvriers, 6,1 % des employés – si l’on s’en tient uniquement aux ressortissant français – contre 3,8 % des professions intermédiaires et 2,4 % des cadres supérieurs(2). Le premier parti des classes populaires c’est d’abord le « non vote ».

Ensuite si l’on examine la répartition des votes du 1er tour de la présidentielle selon différents indicateurs sociaux, on ne peut que constater le décrochage des catégories populaires :

  • ▪️La gauche, les écologistes et l’extrême gauche recueillent 35 % des suffrages exprimés des catégories polaires (36 chez les employés, 33 chez les ouvriers) contre 42 % pour l’extrême droite (40 et 44) et 18 % pour Emmanuel Macron ;
  • ▪️La gauche recueille 33 % des titulaires d’un bac  et 26 % des électeurs n’ayant pas le bac, contre 34 % et 45 % pour l’extrême droite et 25 et 23 % pour Macron ;

Par tranches de revenus :

  • ▪️De 1300 à 1900 € par personne : 32 % à gauche, 34 % à l’extrême droite, 26 % pour Macron ;
  • ▪️De 900 à 1300 € : 32 % à gauche, 35 % à l’extrême droite, 26 % pour Macron ;
  • ▪️Moins de 900 € : 48 % à gauche, 32 % à l’extrême droite, 15 % pour Macron.

Certains pourront trouver ce dernier chiffre étonnant, mais la stigmatisation des pauvres par l’extrême droite fait de la gauche un vote refuge. Mais on est loin de 2002 où on avait crié au drame et au décrochage des classes populaires et où pourtant les ouvriers avaient voté à 43 % pour des candidats de gauche et seulement 23 % pour Jean-Marie Le Pen. Pour mémoire en 1974 et 1981, les ouvriers avaient voté entre 68 et 73 % pour François Mitterrand au second tour, le vote à gauche entre 1974 et 1988 étant supérieur à 60 % au 1er tour des scrutins nationaux(3).

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)

La gauche ne peut gagner les élections et durablement gouverner sans une base sociale large ; une stratégie « Terra Nova 2011 », assumée ou arrivant par une « ruse de l’histoire » comme le dit François Ruffin, ne permet pas de rassembler les suffrages suffisants  – notre nouveau modèle de tripartition électorale permet éventuellement de gagner sans majorité absolue parmi les électeurs – pour une victoire solide qui permettrait de transformer à long terme et radicalement la société, les rapports de force sociaux et surtout ses modes de répartition des richesses et de production. Pour gagner, la coalition électorale qui porte Jean-Luc Mélenchon à 21,95 % et l’ensemble de la gauche à 31,94 % n’est socio-politiquement pas gagnante, pas suffisante. Pour une gauche qui souhaite arriver au pouvoir pour gouverner et transformer la société, la reconquête des catégories populaires qui vivent et travaillent en dehors des quartiers populaires des métropoles est indispensable.

Le défi est de taille, car il s’agit de reconquérir des catégories sociales frappées de plein fouet par les conséquences de la mondialisation libérale et de la construction européenne, des personnes qui ont le sentiment d’avoir été si ce n’est trahies sinon abandonnées par les gouvernements de gauche, qui n’ont rien fait pour éviter la désindustrialisation, la destruction massive des emplois, la fermeture des services publics, la dégradation du pouvoir d’achat…

Ce n’est pas simplement que la « gauche du gouvernement » n’a pas fait assez pour répondre à leurs aspirations, mais qu’elle a conduit des politiques contraires à leurs intérêts primaires – de l’alignement sur les critères ordo-libéraux européens (et l’abandon de la politique industrielle) jusqu’aux taxes « écologiques » sur les particuliers(4) en passant par la loi El Khomri – et qu’elle a également arrêté de parler des sujets les concernant ou tout du moins d’avoir des propositions concrètes et opérantes. Sur ce désert, la conviction que la politique ne pouvait améliorer leur vie et que voter ne servait à rien, si c’était pour que les différents gouvernements mènent bon an mal an des politiques semblables, s’est profondément ancrée.

L’extrême droite a également rempli le vide créé par l’évacuation des principaux éléments de la question sociale et économique en proposant une réponse sur le terrain de la question identitaire : il s’agit de désigner aux catégories populaires des territoires ruraux et péri-urbains et des anciens bassins ouvriers les immigrés, leurs enfants et leurs petits enfants comme boucs émissaires, profiteurs et assistés, qui voleraient les emplois et profiteraient indûment des prestations sociales. C’est une rhétorique vieille comme le monde…

Une partie de la gauche s’est également engagée sur cette voie. La traduction politique par plusieurs dirigeants des travaux de Laurent Bouvet, en miroir avec la « stratégie Terra Nova », est tout autant méprisante pour les classes populaires que les considérations du think tank social-libéral « progressiste » : finalement, les uns et les autres concluent au conservatisme moral indécrottable des classes populaires, Terra Nova proposait de les abandonner à leur sort, les sociaux-libéraux « autoritaires » considèrent qu’il faut leur parler non de leurs conditions de vie (toute politique économique interventionniste étant renvoyée à une forme de bolchevisme) mais de leur « insécurité culturelle » et bannir toute forme de discours sur les progrès sociétaux. Au même moment avait fleuri chez une partie des élus locaux socialistes battus aux élections locales de mars 2014 et 2015 l’idée saugrenue selon laquelle ils auraient perdu le « vote musulman » à cause de l’adoption du « mariage pour tous ». La seule étude sérieuse sur le sujet démontre le contraire : la gauche a perdu les municipales de 2014 (et les départementales ensuite) entre autre parce que les électeurs issus de l’immigration, et de « culture musulmane » (au sens très extensif du terme), dans les banlieues populaires ont fait la grève du vote, considérant que François Hollande n’avait pas répondu à leurs attentes légitimes en matière de vie quotidienne (emplois, rémunérations, transports, logements, sécurité, éducation)(5).

Une partie des catégories populaires est également en déclin numérique, ce qui peut induire des comportements sociaux défensifs : Emmanuel Todd s’est récemment essayé à élaborer une nouvelle typologie sociologique de la France et il décrit que depuis le milieu des années 2000 les ouvriers – quelle que soit la forme que prend aujourd’hui cette catégorie – sont en déclin numérique et relatif marqué au sein de la société française(6). Après une forte baisse consécutive à la vague de désindustrialisation des années 1980, les ouvriers s’étaient stabilisés autour de 25 % durant une douzaine d’années, la chute a repris au même rythme que dans les années 1980 – c’est dire la violence réelle de la phase de désindustrialisation que nous venons de subir et subissons encore – pour atteindre 19 % de la population active en 2020. Parallèlement de 1982 à 2008, les employés sont passés de 25 à près de 30 % de la population active ; ils sont redescendus à 26 % en 2020. Les professions intermédiaires sont passées de 19 % en 1982 à 26 % en 2020 et surtout les cadres supérieurs (les fameuses CSP+) seraient passés sur la même période de 7,5 à plus de 20 %. Il y a une moyennisation ou un déclassement au sein des intermédiaires et des cadres, qui doit produire un sentiment de dissonance cognitive généralisé. Ainsi, les « petits bourgeois » que l’observatoire des inégalités qualifie de riches n’ont plus même de quoi acheter leur toit(7) ; mais comme ils continuent de bénéficier des vains bienfaits d’un consumérisme, ils ne se posent pas trop les questions économiques et sociales qui devraient les tarauder, pour se concentrer sur des enjeux de « libéralisme » culturel ou d’angoisse climatique pour laquelle ils n’ont pas de réponse.

Nos catégories sociales sont donc à redéfinir et l’un des moyens d’asseoir tout à la fois une remobilisation et une reconquête des catégories populaires, mais aussi d’autres catégories sociales qui ne savent plus trop bien comment se situer et se définir, c’est de reprendre les enquêtes sociales, comme les socialistes de la fin du XIXème siècle les avaient multipliées notamment avec Benoît Malon et La Revue Socialiste ; elles avaient largement contribué en France à faire de la classe ouvrière un objet social identifié, donc un objet politique pour les « républicains socialistes et progressistes », et en partie d’armer cette classe ouvrière en participant à sa prise de conscience d’elle-même. Le fait que la classe ouvrière des années 1880 à 1910 fut particulièrement diversifiée et peu unifiée (à la différence de la Grande Bretagne, de la Belgique ou de l’Allemagne) devrait nous inspirer au regard du fait que l’évolution de la classe ouvrière française tend vers une atomisation massive des travailleurs.

Jérôme Fourquet avait démontré en 2015 dans son analyse sociologique du « vote musulman » (c’est à ma connaissance la seule qui existe à ce jour, sachant que l’entrée confessionnelle est une grille d’analyse particulièrement classique en sociologie politique) que ce que différents acteurs politiques dénomment désormais les « classes populaires racisées » n’avaient pas de motivations politiques réellement distinctes des catégories populaires plus anciennement installées en France (qu’elles soient issues d’une immigration plus ancienne ou pas). Les déterminants politiques des classes populaires où qu’elles résident et quelles que soient leurs origines sont similaires : il s’agit de leurs conditions matérielles d’existence – emploi, rémunération, logement, transports, accès à l’éducation et aux services publics, sécurité – auxquelles il faut ajouter leurs conditions morales.

À des degrés divers, les uns subissent un mépris social, d’autant plus profond et mordant que la « classe ouvrière » organisée, visible et donc puissante semble avoir disparu du paysage social et politique et qu’on pense pouvoir la moquer sans grand risque (que n’ai-je entendu dans les débats départementaux du PS dans les années 1990 et 2000 sur le fait qu’il n’y avait « plus d’ouvriers en France ») ; les autres ajoutent à ce mépris social le fait d’être frappés par des discriminations à raison de leur couleur de peau, de leur origine (réelle, supposée ou fantasmée), de leur lieu de résidence, etc. d’autant plus insupportables qu’elles sont clairement interdites par la loi et pourtant massives et lentes à reculer … d’autant plus lentes à reculer qu’une partie des agents de l’État chargés de faire respecter la loi les perpétuent – le plus souvent à leur insu, mais aussi de façon assumée. Dans les années 2020, la conjugaison « classes laborieuses, classes dangereuses »(8), qui sert à décrire la perception par la bourgeoisie du XIXème siècle face à la « question sociale », reste totalement d’actualité : les uns sont suspects d’être racistes et conservateurs, les autres d’être communautaristes, rétifs à l’intégration, l’ensemble d’être frustres et profiteurs…

Évidemment, dans un contexte de désindustrialisation, de recul relatif de l’État social et des services publics de proximité, l’instrumentalisation de la question identitaire par l’extrême droite et les organisations communautaristes ont compliqué le paysage social et politique, au point que l’on peut parler dans certains cas de « tenaille identitaire » qui met en cause l’idée d’égalité républicaine elle-même. Ces différentes « entreprises » ont pour objectif de dresser les classes populaires les unes contre les autres, on a déjà vu cela ailleurs, ce n’est ni plus ni moins un projet de « guerre civile ». Les politiques néolibérales, conduites de manière plus ou moins assumées maintenant depuis plusieurs décennies, n’ont pas seulement abouti à désarticuler les classes populaires et leurs conditions de travail et de socialisation, elles ont convaincu les générations les plus récentes, placées dans un contexte d’atomisation croissante du travail, que seule l’initiative individuelle pouvait leur permettre de s’en sortir ; je me répète sans doute mais le mythe de l’auto-entrepreneur dans la start-up nation fonctionne encore en banlieue.

La gauche doit faire un travail de Titan (et de Sisyphe, qu’on imaginera « heureux » avec Albert Camus) pour reconquérir une hégémonie idéologique dans les différentes parties des classes populaires, réunifier leurs aspirations ou à tout le moins faire reculer les gains socio-culturels des identitaires de tous bords qui fracturent la société. Les orientations politiques et les propositions qui seront défendues (de la réindustrialisation à la lutte contre les discriminations, en passant par les conditions de travail et tout ce qui peut promouvoir une République concrète et effective au plus près des Français) seront centrales mais il faut aussi réinvestir la bataille culturelle.

J’ai un bémol majeur avec l’entretien de François Ruffin dans Libération le 13 avril dernier : LFI n’a pas réalisé dans les quartiers populaires un travail d’éducation populaire en profondeur. C’est pourtant cela qu’il faut conduire, en banlieue comme dans les autres territoires des catégories populaires. Cela nécessite un retour dans les associations d’éducation populaire qui, pour l’essentiel, ont abandonné leurs missions d’origine pour se concentrer sur le loisir ou « l’occupationnel ». Peut-être faudra-t-il en créer de nouvelles ? Les actions menées par les jeunes de la gauche républicaine sont intéressantes, mais elles doivent désormais se tourner vers l’avenir plutôt que la mémoire (sans abandonner celle-ci) et s’adresser à un public plus large donc différent. Il faut également relancer des dynamiques d’universités populaires, tout en s’interrogeant sur les outils à mettre en œuvre pour toucher autre chose que les petits bourgeois éduqués qui ont précédemment répondu présent, et eux seuls, à ce type d’initiatives.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)

REFONDER LES ORGANISATIONS POLITIQUES

En 2017, la cause était entendue : les partis étaient morts. Pierre Rosanvallon tranchait de manière définitive en affirmant dans Le Monde le 2 mars 2017 : « Le parti ne produit plus ni culture politique, ni programme, ni projets de loi. Il est devenu un rameau mort. »(9) La démocratie d’opinion publique allait remplacer la démocratie partidaire, avec une personnalisation et une soumission aux média accrues, un emballement des sondages et une consumérisation accrue des comportements électoraux. L’état des « vieux » partis et les entreprises politiques ultra-personnalisées autour d’Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon lui donnaient plutôt raison… Le problème, c’est que ce type de configurations favorise concrètement la droite, qui a toujours bénéficié de ressources structurelles qui rendaient la forme de parti secondaire : les médias, la haute fonction publique, sa proximité avec le monde économique dont elle sert les intérêts, les institutions d’État… Acter la mort des partis c’était acter d’une certaine manière la mort de la gauche ou d’une perspective de reconquête et d’exercice du pouvoir par une force politique incarnant la gauche. Or la sentence énoncée par Rosanvallon venait sanctionner une lente mais irrésistible évolution des partis politiques : accentuant leur professionnalisation et leur tendance oligarchique(10), les partis de gauche ont abandonné les principales fonctions d’un parti politique, celles qui visaient à éduquer, conscientiser, encadrer, intégrer socialement la « classe ouvrière » (à l’exception des écologistes et du grand Parti radical de la IIIème République, tous les partis de gauche français se sont rattachés à la « fiction nécessaire » de se penser le relais politique du « mouvement ouvrier »). Les partis ouvriers avaient pour mission de donner aux ouvriers « la science de leur malheur »(11). Le PS et le PCF ont connu leurs âges d’or comme organisations partidaires avant d’accéder au pouvoir, ils étaient alors de véritables milieux de vie, remplissant ces diverses fonctions électorales, idéologiques, sociales et identitaires.

À partir des années 1980 et surtout 1990, ils rejoindront d’un point de vue structurel leurs adversaires de droite pour ne plus assumer que la fonction de « machine électorale »(12) qui ne font que distribuer des investitures, mobiliser des fonds et de la main-d’œuvre pour emporter des mandats, qui offriront indemnités et capacité à distribuer des postes rémunérés ; on est en plein dans la définition que Max Weber donne du parti politique en 1919 : « procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d’un groupement et à leurs militants actifs des chances – idéales ou matérielles – de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble »(13).

Par nécessité, les partis sont désormais marqués par un électoralisme local pragmatique (d’autant plus fort que les marges de manœuvres dont disposent les collectivités se réduisent), ils désinvestissent leur fonction idéologique et n’ont pas même chercher à renouveler leur pensée théorique, une fois passé l’effondrement soviétique (avec des conséquences aussi fortes sur les social-démocraties d’Europe occidentale que sur les partis communistes qui ont été longtemps discrédités par leur compagnonnage avec l’URSS). L’activité programmatique se technicise, s’externalise dans des think tanks, elle accélère le processus de désintellectualisation des organisations et d’éviction des non diplômés à qui on ne se donne même plus la peine d’offrir un capital de savoirs militants et idéologiques(14). Un des faits marquant qui a émergé lors du quinquennat d’Emmanuel Macron, c’est la déconnexion complète entre la représentation politique locale et la représentation politique nationale : LFI et LREM emportent les suffrages de la présidentielle, mais sont incapables de s’implanter sur le terrain où régions, départements et communes sont dirigés par des élus locaux, membres ou sympathisants de LR, du PS, du PCF et plus récemment d’EELV.

La forme « gazeuse » du mouvement politique n’a pas apporté plus de satisfaction et ne s’est pas donné les moyens de prendre le relais des partis politiques d’antan. De toute façon, elle n’est pas faite pour cela : toute l’énergie de LFI est tournée vers un seul objectif, porter son leader au pouvoir suprême, une contradiction difficilement réductible pour un parti qui affirme son hostilité à la présidentialisation (il est vrai que l’évolution institutionnelle de la Vème République depuis 2002 laisse peu d’alternative). Mais on l’a vu, LFI n’a pas su, pas pu – et surtout en réalité pas voulu – s’implanter dans les institutions locales, et c’est aussi une des difficultés majeures pour mener une action de terrain permettant de construire avec une conscience politique des citoyens sur le terrain.

LFI, comme LREM, sont de pures « machines électorales » au niveau national. L’équipe dirigeante des Insoumis, autour de Jean-Luc Mélenchon, a certes perdu l’élection présidentielle, mais ils ont mené objectivement d’une main de maître la séquence de négociations pour les élections législatives. Alors qu’il n’était pas inscrit sur les tables de la loi que la coalition électorale était la seule possibilité pour répondre aux intérêts des différents partis de gauche (certains sondages du 2 mai 2022 promettaient plus de députés au PS s’il se présentait seul qu’en coalition, ce n’était pas le cas pour le PCF et EELV), LFI en a imposé la grille de lecture et elle a imposé un type d’accord électoral qui n’était jamais intervenu à gauche : l’accord exclusif. Les partis rassemblés dans la NUPES présenteront donc 577 candidats en tout et pour tout (sans parler des dissidences qui ne manqueront pas d’intervenir) : 100 pour le pôle écologiste, 70 pour le PS, 50 pour le PCF et le reste pour LFI. Le parti populiste a « surpayé » relativement ses partenaires (surtout le PS qui se voit proposer 12,1 % des candidatures, alors qu’il ne représente que 5,7 % des voix des candidats à la présidentielle dont les partis se sont ensuite rassemblés dans la NUPES) pour les lier dans l’accord – je ne me prononcerai pas sur la qualité des circonscriptions « accordées » aux uns et aux autres, je n’ai pas eu le temps de les examiner. Alors que les chances d’imposer une cohabitation à Emmanuel Macron restent particulièrement faibles (une dynamique peut cependant se créer dans la campagne, n’insultons pas l’avenir), cette façon de faire ne vise que trois objectifs : invisibiliser la gauche non mélenchoniste dans les deux tiers du pays, drainer l’essentiel du financement public de la vie politique à gauche vers LFI et réduire les ressources des autres partis, PS et PCF au premier titre. Habituellement, un accord électoral à gauche pour les législatives se déclinait de la manière suivante : rassemblement partout où cela est nécessaire pour conquérir la circonscription ou là où les sortants de gauche peuvent être en difficulté, rassemblement pour faire barrage à l’extrême droite, concurrence là où la circonscription est « tellement à gauche » qu’un député de gauche sera de toute façon élu (c’est de plus en plus rare), concurrence là où la circonscription est ingagnable mais sans risque d’extrême droite… Cette formule permettait une éventuelle victoire électorale, comme en 1997 ou encore en 2012 (sur un format partiel PS-EELV-PRG-MRC) et elle permettait également aux différents partis de présenter suffisamment de candidat(e)s pour assurer d’être visible dans tout le pays et de recueillir suffisamment de suffrages pour un financement public de chacun des partis. LFI avec l’accord définitivement conclu le 4 mai 2022 cherche donc à installer son hégémonie structurelle dans la durée.

Dans la stratégie populiste adoptée par Jean-Luc Mélenchon et ses camarades, la grille gramscienne remplace la grille marxiste comme l’a sous-tendu Chantal Mouffe : la « bataille culturelle » se joue sur les sujets marqueurs d’identité politique, l’objectif étant de conquérir l’hégémonie culturelle en attisant ce qui forge la culture de gauche au détriment du développement d’une idéologie structurée. Ainsi LFI a massivement investi les réseaux sociaux, en privilégiant les thèmes marqueurs d’identité politique au détriment des questions européennes ou industrielles, par exemple. Or, ces thèmes sont les miroirs de ceux avancés par le populisme de droite : « créolisation » contre « grand remplacement », « anti-nucléaire » contre « anti-éolien », « bien-être animal » contre « pro-chasse », « théorie du genre » contre « traditionalisme », « environnement » contre « productivisme »… LFI applique une stratégie de « politique à la demande » : elle a agrégé une série de mesures catégorielles en rassemblant tous les mécontentements. C’est d’ailleurs ce qui rend la critique programmatique du programme de l’AEC difficile. Il y a tellement tout dedans que chacun peut y trouver son compte. Or l’absence de doctrine et de cohérence permet d’obtenir des suffrages mais in fine ne convainc personne ce qui est nécessaire pour conquérir et exercer le pouvoir.

C’est une version actualisée de la stratégie des « masses inorganiques » dénoncée par Léon Blum lors du congrès de Tours en 1920 : « Vous pensez, profitant d’une circonstance favorable, entraîner derrière vos avant-gardes les masses populaires non communistes, non averties de l’objet exact du mouvement, mais entretenues par votre propagande dans un état de tension passionnelle suffisamment intense. C’est bien là votre conception. Avec cela, qu’est-ce que le blanquisme a fait, pas grand-chose… En ces dernières années, il n’est même pas arrivé à prendre une caserne de pompiers sur le boulevard de la Villette… mais c’est à l’idée même, sans m’attarder à chercher si elle est réalisable ou non en fait, c’est à la conception théorique que je veux m’en prendre. Cette tactique des masses inconscientes, entraînées à leur insu par des avant-gardes, cette tactique de la conquête des pouvoirs publics par un coup de surprise en même temps que par un coup de force, mes amis et moi, nous ne l’admettons pas, nous ne pouvons pas l’admettre. Nous croyons qu’elle conduirait le prolétariat aux plus tragiques désillusions. Nous croyons que, dans l’état actuel de la société capitaliste, ce serait folie que de compter sur les masses inorganiques. Nous savons, en France, ce que sont les masses inorganiques. Nous savons derrière qui elles vont un jour et derrière qui elles vont le lendemain. Nous savons que les masses inorganiques étaient un jour derrière Boulanger et marchaient un autre jour derrière Clemenceau… »

Or la politique ce n’est pas répondre à une demande, c’est inventer une offre. C’est là où la stratégie de Gramsci (qu’on utilise à tort et à travers) est intéressante. Il y a bien une bataille culturelle à mener car, en réalité, les fondamentaux de gauche – je parle de ses principes mêmes, pas de marqueurs conjoncturels – sont en régression dans la société. La bataille culturelle n’est pas dissociable de la bataille idéologique qui nécessite de s’appuyer sur une conception claire du bien commun et de l’intérêt général. Récusons l’illusion commode du consensus dans laquelle la gauche gestionnaire s’est fourvoyée. Nous devons réaffirmer l’existence de clivages structurants au sein de la société. Mais une vision politique ne peut se passer d’un projet de société susceptible d’intégrer les adversaires du jour dans un nouvel espace collectif à construire parce qu’il sera devenu le cadre de référence de tous, suite à un combat idéologique de longue haleine. Ainsi défendre cette vision impose de ne pas rejoindre l’organisation gazeuse et populiste : le « gazeux » est une boutade bien pratique pour expliquer qu’on s’embarrassera pas de procédures d’arbitrage démocratique ; à son niveau Iñigo Errejon, cofondateur de Podemos, a dû se rendre à l’évidence qu’il n’y avait pas de possibilité apaisée et démocratique d’arbitrer un conflit de ligne (stratégique ou idéologique) au sein du parti populiste : un tel parti repose sur le leader et son cercle immédiat, si vous y êtes marginalisés, il ne reste que deux solutions, le silence ou la porte.

Il faut donc réinventer le parti traditionnel… Les lecteurs du dernier essai de Rémi Lefebvre(15)sont souvent restés sur leur faim : c’est ingrat. On ne peut pas inventer une forme d’organisation totalement nouvelle si l’on veut rester dans le cadre d’une démocratie représentative. Il faut faire le deuil de l’image du parti de masse que notre imaginaire impose à gauche : nous n’avons jamais connu en France les conditions sociologiques de la Grande Bretagne, de la Belgique ou de l’Allemagne, et aujourd’hui nous devons reconstruire dans une société « archipellisée ». Par contre, nous pouvons réapprendre à penser la forme social-démocrate d’organisation du parti politique (qui n’était pas si éloignée de celle des partis communistes), mais en réseau et non en liens organiques. L’urgence pour nos partis politiques est de réinvestir les fonctions abandonnées des partis pour reconquérir des couches entières de la population, d’abord à l’inclusion politique puis à un commun idéologique du primat de l’intérêt général et de l’égalité républicaine.

Réinventer une forme social-démocrate de parti en réseau, cela veut dire qu’il faut créer (ou recréer) des connexions, des coopérations renforcées, dans un écosystème d’associations (consommateurs, locataires, d’éducation populaire), de structures coopératives ou mutualistes ; cela veut dire aussi qu’il faut, si ce n’est rompre avec, tout du moins dépasser le mythe de la Charte d’Amiens : la déconnexion totale des partis politiques d’avec les syndicats de salariés est préjudiciable aux uns comme aux autres et elle est fondée sur un malentendu historique conjoncturel qui s’est maintenu en dépit du bon sens(16).

Le Parti politique dans cette configuration servira d’espace de coordination entre militants politiques, associatifs et syndicaux, les expériences des uns et des autres devant nourrir la réflexion idéologique et programmatique, les moyens dégagés permettant de créer des écoles de formation militante et des universités populaires, irriguant la société. Je ne vois pas d’autres moyens de reprendre pied dans la société et d’y reconquérir durablement une hégémonie idéologique.

Cela suppose également une recomposition politique qui n’a pas encore commencé mais dont la conflagration créée par cette élection présidentielle pourrait offrir l’opportunité. Le PS est probablement en train d’exploser sous nos yeux, les divisions héritées du début du XXème siècle sont par ailleurs inadaptées à notre temps dont les enjeux géopolitiques n’ont plus grand-chose à voir avec le monde d’avant la chute du mur de Berlin… L’écologie politique a une vision bien à elle de ce qu’est la politique, mais l’impératif écologique et climatique est aujourd’hui compris et intégré dans toute la gauche…

Tout cela paraîtra peut-être utopique mais la gauche est à reconstruire, que la NUPES impose une cohabitation ou non en juin prochain…  Après avoir accumulé des années d’impasses politiques, tactiques et stratégiques, nous n’avons pas grand-chose à perdre en nous jetant à l’eau !

Références

(1)L’article a été rédigé entre le 1er et le 7 mai 2022

(2)Loin des urnesL’exclusion politique des classes populaires, Camille Peugny, 23 mars 2017, Metropolitiques.eu

(3)Gougou Florent – Comprendre les mutations du vote des ouvriers – Thèse IEP de Paris – 2012 (p. 178)

(4) N’oublions pas que la révolte des « Gilets Jaunes » sous le quinquennat d’Emmanuel Macron débute par une mobilisation contre une mesure prévue dans la loi pour la transition énergétique et la croissance verte portée par Ségolène Royal en 2015 et ardemment défendue par les groupes parlementaires écologistes de l’époque.

(5)Karim vote à gauche et son voisin vote FN, Jérôme Fourquet, éditions de L’Aube, Fondation Jean-Jaurès, novembre 2015.

(6) Les Luttes de classes en France au XXIème siècle, Emmanuel Todd, Seuil, janvier 2020

(7)https://www.inegalites.fr/Rapport-sur-les-riches-en-France-pour-que-la-connaissance-progresse [mise à jour de l’article au 2 juin 2022]

(8)Classe laborieuses, classes dangereuses, Louis Chevalier, 1958, disponible dans la collection Pluriel (Fayard)

(9)Pierre Rosanvallon : les propos de Fillon « marquent un tournant populiste dans la campagne », entretien accordé au Monde, le 2 mars 2017

(10) Le phénomène est décrit dans le détail pour le PS dans La société des socialistes, Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre, octobre 2006, éditions du Croquant

(11) Extrait d’un article de Fernand Pelloutier, dirigeant anarcho-syndicaliste, Le Musée du travail in L’ouvrier des deux mondes, 1er avril 1898 : « Ce qui lui manque [à l’ouvrier], c’est la science de son malheur ; c’est de connaître les causes de sa servitude ; c’est de pouvoir discerner contre quoi doivent être dirigés ses coups ». Ce texte a été réédité par J.-P. Lecercle (2002). in L’Art et la Révolte aux éditions Place d’armes.

(12)Je vous laisse approfondir la notion de « Machine » politique ou électorale en lisant Les machines politiques aux États-Unis. Clientélisme et immigration entre 1870 et 1950, François Bonnet, dans Politix, n°92, 2010 https://www.cairn.info/revue-politix-2010-4-page-7.htm

(13)Le Savant et le Politique, Max Weber (1919)
en libre accès ici : http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant.html

(14)C’est une des formes de la crétinisation des élites dénoncée par Emmanuel Todd dans La lutte des classes en France au XXIème siècle➔ https://bit.ly/37oZWXr

(15)Faut-il désespérer de la gauche, Rémi Lefebvre, mars 2022, édition Textuel, coll. « Petite encyclopédie critique »

(16) La charte d’Amiens est adoptée au congrès de la CGT de 1906 qui voit sa prise de contrôle par les anarcho-syndicalistes, qui rejettent par principe les partis politiques et la SFIO naissante. Mais les socialistes reprendront le contrôle de la confédération dès 1909. Le rôle de « courroie de transmission » réservé aux syndicats par le bolchevisme va jouer le rôle de croque-mitaine, pourtant la CGT n’a pas eu en soi à pâtir d’un point de vue organisationnel de ses liens organiques avec le PCF de 1946 à 1992. La Charte d’Amiens sera revendiquée à partir de 1946 par tous les autres syndicats, au premier chef FO scission non communiste de la CGT créée en 1946, CFTC puis CFDT, pour se distinguer de la CGT et revendiquer un vernis démocratique tout relatif (le droit de tendance n’existe pas à la CFDT), puis pour justifier une prise de distance croissante avec le PS et l’idée socialiste.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (3/3)
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8 juin 2022 3 08 /06 /juin /2022 18:51

Dans cette deuxième partie de l'article publié par Le Temps des Ruptures, est analysée le rôle des structures et logiques partisanes dans la défaite.

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (PARTIE 2/3)
LE RÔLE DES STRUCTURES ET LOGIQUES PARTISANES DANS LA DÉFAITE 

La multiplication des candidatures à gauche (écologistes compris) pour l’élection présidentielle de 2022 n’est pas inédite : on compte 6 candidat(e)s dans cette catégorie– Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Anne Hidalgo et Yannick Jadot. La division importante à gauche en 2022 s’est illustrée par la volonté de deux autres personnalités de prétendre à cette compétition mais qui ont finalement renoncé – Arnaud Montebourg et Christiane Taubira. Rien d’anormal, la faiblesse du nombre des candidatures présidentielles est une rareté de la vie politique française : il y avait 5 candidat(e)s du centre gauche à l’extrême gauche en 1974 ; 6 en 1981 ; 6 en 1988 ; 4 en 1995 ; 8 en 2002 ; 7 en 2007 ; 5 en 2012 ; 4 en 2017. 2022 est donc plutôt dans la moyenne. Leur multiplicité n’explique ni la victoire ni la défaite.

Les ambitions personnelles existent et il ne faut pas les sous-estimer dans le processus psychologique qui conduit à présenter sa candidature. L’élection présidentielle exacerbe ces ambitions. C’est d’autant plus vrai pour notre système politique totalement déréglé par la sacralisation progressive de ce scrutin dans nos institutions, sacralisation d’autant mortifère depuis l’invention du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral en 2001-2002.  L’électorat ne vote plus pour choisir mais pour éliminer, lui qui considère de plus en plus qu’une fois ce scrutin passé le reste n’a plus vraiment d’importance et renforce ainsi une dévalorisation du parlement déjà induite par la constitution de la Vème République (démobilisation et abstention différentielle de l’électorat dont le candidat a perdu de 2007 à 2012, et finalement 47 % de participation seulement aux élections législatives de 2017). Il rend fous les partis politiques qui deviennent pour la plupart des « machines » électorales sans idéologie, sans pensées, au service d’une ambition personnelle et « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ». Je suis convaincu qu’il faut être « un peu fou » pour se lancer dans une telle candidature et la campagne qui l’accompagne et prétendre assumer les pouvoirs exorbitants dont disposent le président de la République française. Je partage à ce titre ce qu’avait évoqué Cécile Duflot voici plusieurs années pour expliquer sa réticence même à se présenter à la primaire interne des écologistes « J’ai toujours dit ma réticence personnelle à me présenter […] Personne ne le croit, puisque tous les politiques, paraît-il, ne rêvent que de ça. […] On peut être un peu lucide sur soi-même. Aujourd’hui, je pense que je n’ai pas les épaules assez larges pour porter seule une telle charge. […] Honnêtement, quand je me regarde dans la glace le matin, puisque c’est là, paraît-il, que ça se passe, je me dis que j’en ai peur. La présidentielle, c’est une tuerie(1). » Quelques années plus tard, elle affirmait encore : « Cette obsession totale pour la présidentielle est en train de ronger la démocratie(2). » Je partage assez largement le point de vue de l’ancienne ministre écologiste du logement et de l’aménagement du territoire.

Certes, il y a des motivations idéologiques et programmatiques. Les candidats en lice en 2022 à gauche ont tous présenté des options politiques relativement différentes. Des points de convergences existent évidemment mais, au-delà de l’incongruité politique spécifique à la France de disposer à chaque élection présidentielle de deux ou trois candidats trotskistes, on ne peut nier que l’axe réindustrialisation/nucléaire/République de Fabien Roussel n’est pas réductible dans les programmes Europe/antinucléaire/renouvelables de Yannick Jadot ou Créolisation/antinucléaire/populisme de Jean-Luc Mélenchon… La réduction des divergences ou la capacité à élaborer un compromis n’étaient pas impossibles – cela a déjà été fait précédemment quand les divergences idéologiques et géopolitiques étaient bien plus fortes – mais cela nécessitait du temps et du travail, ce qui n’a jamais été réellement voulu. Et même quand Yannick Jadot a souhaité mettre en scène un débat entre les représentants de l’ensemble de la gauche au printemps 2021, il n’est pas sûr que la réussite de l’opération fût souhaitée par son obédience politique.

En janvier 2022 (il est vrai, en pleine campagne électorale), David Cormand publiait un long papier à portée idéologique pour dénoncer « la fable de l’unité » et rappelait que les écologistes ne pouvaient être confondus avec le reste de la gauche française : pour résumer (et caricaturer), la nature et la « justice climatique » passent avant le matérialisme et la « justice sociale »(3). Ainsi il faut comprendre que, sur le temps long, l’écologie politique prétend en soi défendre un projet radicalement différent de celui de la gauche classique représentée en 2022 par Fabien Roussel, Anne Hidalgo … et même Jean-Luc Mélenchon. Cette différence justifiant pour soi une candidature distincte qui ne se réduit pas à des intérêts partisans.

On voit donc bien qu’on ne peut résumer la présence de six candidatures distinctes à des questions d’égo ou à des logiques partisanes. Nier que ces dernières existent serait cependant une tartufferie. Passons donc en revue l’existant.

POPULISME ET CÉSARISME

LFI n’existe que pour la présidentielle. Ce mouvement créé en 2016 pour la deuxième campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon avait un premier objectif : se donner les moyens de s’émanciper totalement du partenariat avec le PCF (ce qui se traduira immédiatement par la décision de tailler des croupières aux communistes dès les législatives de 2017) en appliquant à l’élection phare les principes du populisme de gauche tels que théorisés par la philosophe belge Chantal Mouffe. L’adhésion au leader permettrait ainsi de mobiliser les affects par-delà l’argumentation politique rationnelle pour créer le sentiment d’adhésion militant sur lequel repose la conquête du pouvoir : « une volonté collective ne peut pas se former sans une certaine forme de cristallisation d’affects communs et les liens affectifs qui unissent un peuple à un chef charismatique peuvent jouer un rôle important dans ce processus »(4).

En l’absence de l’implication directe et personnelle du chef, LFI est incapable de remobiliser ses sympathisants (qui se sont largement évaporés après la présidentielle), d’organiser des stratégies cohérentes et d’intéresser l’électorat lors des élections intermédiaires (Européennes, Municipales, Régionales et Départementales) : le « mouvement gazeux » n’est pas fait pour cela, car la base n’est pas réellement structurée et il s’agit essentiellement de mettre en scène une forme d’unanimisme autour des mots d’ordre du leader et du groupe dirigeant.

Créée pour la campagne du leader, l’organisation populiste ne peut vivre sans lui : la dégradation de l’image du leader lui est donc directement préjudiciable, or elle a été directement affectée par sa violence verbale en direction de ses alliés PCF, par sa violente réaction aux perquisitions de l’automne 2018 puis par son glissement philosophique illustré par sa participation au rassemblement de novembre 2019 « contre l’islamophobie » à l’appel du CCIF. Le lancement très précoce de sa candidature dès novembre 2020 vise à installer la campagne des Insoumis dans la durée en rétablissant progressivement l’image du leader et en installant l’idée que la détermination du candidat est totale et que quoi qu’il se passe on ne peut imaginer une élection présidentielle en 2022 en l’absence de Jean-Luc Mélenchon.

Cette campagne a donc commencé par un plébiscite sous la forme d’un parrainage citoyen et se poursuit par la mise en scène constante du candidat dans des meetings très travaillés, conçus comme de grands spectacles (avec talent et réussite au demeurant). La personne de Mélenchon est omniprésente sur les réseaux sociaux, amplifiée par l’action coordonnée d’une armée de militants. Cette personnalisation s’explique, il est vrai, par la nature de nos institutions, mais elle est poussée à l’extrême par LFI, LaREM et le RN.

Avec la présidentielle, LFI a remobilisé une partie de ses sympathisants qui avaient disparu pendant 5 ans et n’étaient pas intervenus dans des combats politiques qui les désintéressaient. Elle a mis en scène un parlement de l’Union Populaire, qui rassemblait en réalité nombre de soutiens déclarés et déjà acquis depuis longtemps à la cause du leader, pour masquer l’absence de ralliement politique partisan. Mais l’Union Populaire n’a pas plus fait élire Mélenchon que LFI, il a donc fallu revoir en catastrophe la stratégie du mouvement en articulant à la fois le populisme – l’appel à élire Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre (communication politique au demeurant bien ficelée puisqu’elle maintient la mobilisation et l’attente d’une partie de l’électorat) en espérant éviter cette fois-ci une trop grande abstention aux législatives – et le rassemblement de la gauche, avec des négociations marathon pour les élections législatives avec tous les partis qu’elle rejetait jusqu’ici.

On peut s’interroger malgré tout sur l’avenir promis à LFI, quel que soit le résultat des élections législatives à venir : si le leader prend effectivement sa retraite, l’organisation devra pour survivre politiquement (financièrement, cela devrait aller) soit se trouver un nouveau leader charismatique, soit se normaliser et abandonner la stratégie populiste (au risque de perdre une partie de son attractivité)… dans tous les cas, des affrontements internes au sein même du groupe dirigeant risquent d’intervenir, d’autant plus violents que le contrôle de la manne financière publique sera au cœur des enjeux.

MIRROIR AUX ALOUETTES ÉCOLOGISTES

EELV a reproduit dans cette campagne électorale la même erreur d’analyse que lors de la précédente élection présidentielle Leur score flatteur lors de l’élection européenne de 2019 (13,48 %, +4,5 points, 7 eurodéputé(e)s supplémentaires) a donné l’impression aux Écologistes qu’il ne fallait pas à nouveau passer à côté de l’élection présidentielle(5)… Les bons résultats européens des Écologistes n’ont pourtant jamais débouché sur une traduction électorale domestique de même niveau, mais l’illusion a été entretenue par la conquête d’une vingtaine de nouvelles municipalités, dont plusieurs villes majeures (Lyon et sa métropole, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers, Tours, Annecy, Besançon, Colombes et Besançon) qui rejoignent alors Grenoble… le taux de participations aux élections municipales est faible et aurait dû inciter les dirigeants d’EELV à plus de circonspection… Qu’importe ! les défaites des régionales (toujours sur fond de faible participation) ont été interprétées aussi comme une progression écologiste : Julien Bayou arrivé en tête à gauche d’un cheveu en Île-de-France conduit la liste d’union au second tour pour échouer ; Éliane Romani refuse l’union avec la liste de l’Appel Inédit dans le Grand Est tout en étant la seule à pouvoir se maintenir ; EELV conduit également la liste d’union en Auvergne-Rhône-Alpes avec Fabienne Grébert ; idem avec Mathieu Orphelin (ex-macroniste) en Pays-de-la-Loire… Peu importe là encore que ces listes essuient des défaites parfois cinglantes et très prévisibles au second tour, le fait de devenir dans ces régions les leaders d’un soir à gauche suffisent à leur bonheur.

Il est temps, il est l’heure… Le moment de l’écologie est venu et la jeunesse participe en masse (mais moins que dans le reste de l’Europe) aux manifestations pour la justice climatique. EELV a pour projet de s’imposer comme le nouveau parti dominant contre les libéraux/conservateurs et l’extrême droite ; elle a vocation à changer les paradigmes idéologiques qui déterminent les positionnements politiques du pays. Ici l’intérêt direct du parti rencontre un objectif politico-culturel évident : comment reprocher aux Écologistes d’avoir été présents dans l’élection présidentielle ? Ils l’ont toujours été, sauf en 2017 où Yannick Jadot s’est rangé derrière Benoît Hamon après avoir constaté des convergences massives. D’ailleurs depuis 2020-2021, les amis de Hamon qui ont quitté le PS et agrégé quelques centaines de nouveaux militants supplémentaires sont avec Génération·s dans le pôle écologiste cornaqué par EELV. Jadot rumine son retrait de 2017 : il était logique idéologiquement mais n’a pas été payant politiquement, peut-être pourrait-il réussir là où l’ancien président du MJS a échoué ?

L’intérêt du parti aussi est en jeu dans cette campagne : le quinquennat Hollande lui a coûté des élus et des financements, l’argent dépensé pour le début de campagne de Jadot est perdu. Le parti a vendu son siège pour rembourser ses dettes, son équipe de permanents est réduite. Les lendemains électoraux, fondés sur une mésinterprétation des résultats de 2019 à 2021, ont l’air radieux : un bon score à la présidentielle, c’est imposer aux partis de gauche un accord écrasant aux législatives et s’assurer des rentrées financières publiques enfin conséquentes. Au-delà de la légitimité d’EELV à défendre légitimement un projet spécifique, le parti a cru pouvoir imposer son hégémonie. Les enquêtes d’opinion (avant les résultats) ont rapidement fait déchanter les Écologistes, il était tout à la fois trop tard pour faire marche arrière. EELV n’imaginait pas cependant être sous la barre des 5 % : le non-remboursement de la campagne est un coup dur et les négociations avec LFI pour les élections législatives ont dû être d’autant plus serrées que l’enjeu des dettes de campagne est majeur.

AU PS, LE CONGRÈS EST TOUJOURS EN PRÉPARATION

Les responsables socialistes ont, de la même manière que les écologistes, pour les européennes et les municipales, mésinterprété les résultats des élections intermédiaires, notamment les régionales, de 2020 et 2021. Depuis 2017, ce parti avait – tout en refusant de faire un inventaire sérieux du quinquennat Hollande – donné quelques signes d’une réorientation un peu plus à gauche, mais somme toute assez classique pour un parti revenu dans l’opposition.

Le refus de rompre franchement avec le hollandisme (la motion Le Foll est arrivée devant celle d’Emmanuel Maurel au congrès d’Aubervilliers en avril 2018) et le rejet de toute discussion avec la France Insoumise par principe avait causé le départ des principaux responsables de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann et leurs camarades allant poser les fondations de la future Gauche Républicaine & Socialiste, qui s’allia avec la France Insoumise aux élections européennes de juin 2019 au regard de leur proximité politique sur la construction européenne. Ces élections donnèrent une satisfaction relative au PS puisqu’il y talonnait la France Insoumise avec 6,19 % contre 6,31 %. Mais le fait qu’EELV ait fait le double de leur score et celui que le pôle écologiste se soit constitué en août 2020 ont pu convaincre un temps le Premier secrétaire du PS de se ranger derrière les écologistes. Une candidature commune social-écologiste n’était pas absurde : cela avait déjà été le cas en 2017 (avec un dénouement malheureux il est vrai), le souffle de la jeunesse mobilisée dans les « manifestations climat » et les spéculations provoquées par la crise sanitaire sur le « jour d’après » plus écolo semblait donner raison à la conversion théorique et superficielle mais survendue du PS à l’écologie ; le fédéralisme européen d’EELV était également parfaitement compatible avec l’européisme, devenu idéologie par défaut d’un PS sans boussole idéologique depuis plusieurs décennies.

Mais le ralliement du PS à une éventuelle candidature de Yannick Jadot (dans le meilleur des cas, car évidemment il est absolument inenvisageable de se ranger après une primaire écolo hasardeuse derrière un Eric Piolle, seul rival ouvertement déclaré du futur candidat à l’époque) n’est pas forcément du goût des grands élus locaux du parti : président(e)s de région et maire des grandes villes refusent de céder quoi que ce soit à des élus et militants écologistes avec qui ils ont parfois des relations plus que tendues. Alain Rousset, président très Macron compatible de la Nouvelle Aquitaine, rejette par principe toute possibilité d’accord avec EELV ; Anne Hidalgo qui n’est pas encore candidate multiplie les passes d’armes avec les écologistes de sa propre majorité municipale, dénonçant le peu de fiabilité (selon elle) de leurs valeurs républicaines. Il est hors de question pour eux qu’Olivier Faure impose au PS de ne pas présenter de candidat ; la « jeune génération » de maires PS élus ou réélus lors des municipales de mars et juin 2020 compte bien trouver quelqu’un pour porter la candidature d’un parti qu’ils considèrent comme leur propriété, bien qu’ils en méprisent la direction et ses consignes.

La « victoire » aux régionales de juin 2021 les conforte dans leur résolution. Comme les verts, ils oublient que la conservation des présidences de région par le PS s’est déroulée sur fond d’une abstention massive et d’une sur-prime aux sortants : les Français n’ont pas élu des équipes socialistes, ils ont voté pour les sortants. Qu’à cela ne tienne, l’affaire est entendue : l’orientation de centre-gauche sans beaucoup d’idée est consolidée par la réélection de présidents de région Macron compatibles ou vallsistes et les « jeunes maires » imposent la candidature d’Anne Hidalgo au forceps. Ces élus qui tiennent un PS qui a tout désormais de la SFIO des années 1960 sont convaincus que leur modération peut ramener à la « vieille maison » une partie de l’électorat qui se tournait auparavant vers le PS mais s’est découvert de centre droit avec Emmanuel Macron. C’est cette partie-là que les « hollandais » du PS voudraient récupérer, or comme il ne peut plus réellement assumer le bilan de Hollande sans en avoir même fait l’inventaire, il n’y a aucune raison que cela marche.

La catastrophe électorale ne fait bientôt plus de doute – aggravée par les erreurs de communication de la candidate mais aussi de tactique, comme avec l’appel à une primaire qu’elle finira par rejeter : certains envisagent de la débarquer pour la remplacer par François Hollande (!?) ou pour rallier en catastrophe Yannick Jadot et faire ressortir la candidature social-écologiste du placard… le bateau socialiste est ivre. Il n’y a en réalité plus d’autres choix que de continuer la campagne, au regard des sommes déjà engagées, et d’allumer des cierges dans l’attente d’un miracle qui ferait suffisamment remonter la candidate PS pour se faire rembourser par l’État. Bientôt, on en est plus à continuer la campagne que parce que s’arrêter serait plus ridicule encore.

Anne Hidalgo n’était pas encore à terre et n’a pas encore recueilli 1,7 % des suffrages exprimés que les éléphants et éléphanteaux du PS fourbissent déjà leurs armes pour un prochain congrès post-défaite, où ils pourront s’accuser mutuellement d’être responsables de la bérézina et à prétendre devenir le primus inter pares des barons locaux socialistes. Perdus pour perdus, la campagne interne de François Hollande avec Rachid Temal, Stéphane Le Foll ou Jean-Christophe Cambadélis contre un accord pour les législatives avec LFI s’inscrit dans cette logique ; il s’agit de reprendre le contrôle de l’appareil en s’appuyant sur la défaite, en espérant que cette nouvelle SFIO récupérera un jour ou l’autre les électeurs partis chez Macron… J’ai dit ce que je pensais de cette hypothèse plus haut. Olivier Faure et son équipe sont en train de brûler leurs vaisseaux : les discussions pour les législatives qu’ils ont toujours refusées jusqu’alors (au point ridicule de co-signer avec les parlementaires insoumis des recours communs au Conseil Constitutionnel alors qu’ils leur déniaient publiquement toute respectabilité politique) avec LFI marquent leur rupture avec le quinquennat Hollande qu’ils n’ont pas eu le courage de faire avant : « A minima, cela supposerait que François Hollande et Manuel Valls se posent quelques questions. Quand on me dit « Plus jamais PS » dans les rues, ce n’est pas pour me dire « Vous, Olivier Faure, qu’avez-vous fait pendant 5 ans ? » Ils me reprochent à moi ce que tous les autres ont pu faire avant. Sous le quinquennat Hollande, je n’ai jamais été « frondeur » mais je me suis battu sans être écouté : qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? J’étais minoritaire, je me suis tu ! […] Si certains ne croient plus appartenir à un espace commun de la gauche, avec les communistes, les écologistes, les insoumis, les radicaux et nous, si vous pensez que votre avenir est avec Emmanuel Macron, le mieux à faire est de partir. Qu’est-ce qu’on paie aujourd’hui ? Le manque de clarté. Les gens, quand ils voient Manuel Valls ou Ségolène Royal présentés comme socialistes à la télévision, se disent « C’est ça le PS », pensent qu’on est toujours dans l’attente de trahir quelqu’un. Ce n’est pas vrai, ceux qui sont restés, l’ont fait pour leurs convictions. »(6) Il est vrai que le premier secrétaire du PS présente les choses de manière à s’exonérer de quelques-unes de ses responsabilités (qui était justement de ne pas se taire), mais s’il avait dit cela avec la même force 4 ans plus tôt, il nous aurait peut-être épargné bien des déboires…

PERENNITÉ ET IDENTITÉ DU COMMUNISME FRANÇAIS 

« Vous êtes la mort et le néant. » Dans un sms rageur et assassin, Jean-Luc Mélenchon signifie à Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, le 4 mai 2017 (3 jours avant le second tour de l’élection présidentielle) sa rupture politique avec les communistes. Voici le propos dans son intégralité : « Vous créez la confusion dans tout le pays en vous appropriant mon portrait et mon nom sans parler du logo front de gauche ! Bravo ‘l’identité communiste’. Tout ça après des mois d’injures et de manœuvres pour saboter ma campagne. Et vous recommencez ! Vous êtes la mort et le néant. 10 mois pour me ‘soutenir’, 10 minutes pour soutenir Macron. Sans oublier les accords que vous ne respectez pas. J’en ai assez. Je vais donc annoncer notre rupture politique dès mon retour à Paris. Et je vais dire pourquoi. »(7)

Jean-Luc Mélenchon reproche alors au PCF d’avoir pensé de manière autonome : partisan d’une candidature unique de la gauche anti-Hollande à la présidentielle, Pierre Laurent s’était engagé début 2016 dans le processus de la primaire de la gauche et des écologistes, tandis que Jean-Luc Mélenchon refusait tout net d’y participer. Toute l’année 2016, le PCF a tenté, en vain, de le convaincre de ne pas se lancer seul dans la présidentielle. Jusqu’à la décision tardive, en novembre 2016, de le soutenir. Le PCF n’a pas voulu non plus se plier à une campagne dirigée par les seuls proches du candidat, donc il refusera de soutenir les candidats du PCF, sauf Stéphane Peu et Marie-George Buffet en Seine-Saint-Denis qui devront accepter le cadre de la campagne législative des Insoumis. Mais le PCF, malgré la concurrence de plusieurs candidats LFI contre les siens, se sort plutôt bien des élections législatives de 2017, comparées à celles de 2012 : le PCF n’avait que 7 sortants (auxquels on peut ajouter les deux députés de la FASE), il fait élire 10 députés, mais la concurrence insoumise lui a coûté une circonscription dans l’Oise et celle de Nanterre (Hauts-de-Seine) où une de ses sympathisantes tentait de prendre la succession de Jacqueline Fraysse… Elsa Faucillon (Colombes/Gennevilliers) a manqué de peu d’être éliminée par un candidat LFI.

Le PCF maintient son groupe parlementaire à nouveau grâce à divers députés ultramarins, mais la conviction de nombreux responsables communistes est faite que la survie du parti dépend d’une attitude plus offensive et volontaire. André Chassaigne, président du groupe GDR, ne veut plus d’un secrétaire national qui reste abasourdi devant les agressions de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement qui doivent tant au PCF ; avec l’aide de Fabien Roussel, nouveau député du Nord, il va mener l’offensive contre la direction du parti lors du congrès d’octobre-novembre 2018 et à la « surprise générale » le texte alternatif qu’ils ont défendu reçoit 1 300 voix de plus que celui de la direction. Ce résultat est la conséquence directe de la brutalité de LFI ressentie par les militants communistes à l’égard de leur parti. Pierre Laurent (dont on ne comprenait pas quelle orientation il défendait réellement dans ce congrès) est battu et il en prend acte ; lors du congrès d’Ivry-sur-Seine, une seule liste est soumise aux délégués, avec Fabien Roussel comme secrétaire national du PCF et Pierre Laurent comme président du conseil national. Le texte de Stéphane Peu et Elsa Faucillon qui proposait un rapprochement plus important avec LFI n’a fait que 12 %.

L’orientation du PCF est désormais tracée : réaffirmer l’identité communiste, tout en se distançant de LFI et en actant la fin d’un Front de gauche déjà mort, pour pouvoir s’allier tantôt à LFI tantôt au PS au niveau local. Dès ce moment, la perspective d’une candidature communiste à la prochaine élection présidentielle est assumée : le PCF et ses dirigeants ont fait l’analyse que l’absence du PCF à l’élection présidentielle signait la fin rapide du parti. Les choix tactiques des élections intermédiaires vont répondre tout à la fois à ce besoin de visibilité (la liste conduite par Ian Brossat en 2019 aux élections européennes – 2,49 %) et de permettre le maintien ou la progression du nombre d’élus locaux communistes avec des alliances au cas par cas (lors des élections régionales de mars 2021, le PCF choisira de faire liste commune avec LFI en Île-de-France, Normandie et en Auvergne-Rhône-Alpes, mais d’être avec les présidents PS sortants en Nouvelle Aquitaine, en Occitanie et en Bourgogne/Franche-Comté… il choisira de rester sur la liste de rassemblement de la gauche malgré l’exclusion unilatérale et injustifiée de LFI en PACA par le tête de liste écologiste. La préparation de l’élection présidentielle et de la candidature communiste, dont il devient évident que ce sera Fabien Roussel qui la portera, va bon train et elle est renforcée par l’annonce unilatérale de la candidature de Jean-Luc Mélenchon dès novembre 2020… ce dernier n’a pas même cherché à prendre langue avec des partenaires politiques éventuels et, tout au long de l’année, l’actualisation du programme présidentiel « L’avenir en commun » (AEC) ne fera l’objet d’aucune discussion avec d’autres organisations politiques.

Or jusqu’en février 2022, le candidat insoumis stagne entre 9 et 12 %, la perspective d’un second tour à gauche étant parfaitement improbable les communistes n’ont aucune raison de remettre en cause leur orientation politique et stratégique et Fabien Roussel sera désigné candidat du PCF à la présidentielle par un vote militant avec un score sans appel : 82,4 % sur quelques 30 000 votants (équivalent au congrès). Les principaux élus communistes qui ne partagent pas la stratégie de leur parti, comme Stéphane Peu et Elsa Faucillon, préfèrent se taire d’autant que le doute les a également gagnés sur la candidature Mélenchon et qu’ils ont peu goutté eux-mêmes l’agressivité globale de LFI à l’égard du PCF. On a beau jeu à quelques semaines des élections législatives de saluer l’intelligence tactique des Insoumis mais, durant toute l’année 2021, ils ont été d’une brutalité impressionnante avec leurs interlocuteurs : si l’on n’est pas avec eux, c’est que l’on est contre eux, si on ne proclame pas son ralliement à la candidature populiste c’est que l’on n’est pas avec eux, vous le paierez donc au centuple au moment des élections législatives…

La direction du PCF a donc fait le pari de la visibilité… quoi qu’il en coûte. Quelques jours après sa désignation, on craint le faux pas fatal pour Fabien Roussel, car une polémique s’ouvre sur sa présence avec d’autres responsables de gauche (mais dont on n’attend alors plus rien comme Olivier Faure) à la manifestation organisée le 19 mai 2021 par différents syndicats de policiers ; cette manifestation se transforme en démonstration de force du syndicat d’extrême droite Alliance, avec une foule qui reprend ses slogans remettant en cause des principes essentiels de l’État de droit. Libération accorde même une pleine page à Elsa Faucillon pour sermonner son secrétaire national(8). Sur le moment, et par la suite aussi, on oublie pourtant que le patron du PCF a été invité à la manifestation par la CGT Police et qu’il ne défend en rien les exigences d’Alliance(9) mais des propositions parfaitement légitimes. Les responsables politiques de gauche se sont fait piéger, ils ont pêché par naïveté en pensant que le plus bavard (et aussi l’un des plus gros syndicats) et droitiers des syndicats de policiers n’allait pas tirer la couverture à lui pour banaliser un discours mettant en cause la cohésion nationale. Mais après plusieurs semaines, la polémique se tasse.

Jusqu’à la mi janvier 2022 Fabien Roussel stagne entre 1,5 et 2 % des intentions de vote, subissant en plus la concurrence d’Arnaud Montebourg qui met en scène tout à la fois sa proximité politique avec le candidat communiste et l’impossibilité à le rallier(10). Donc la direction du PCF a prévu un financement de campagne qui soit capable d’affronter un score inférieur à 5 % des suffrages exprimés et le non-remboursement des frais de campagne, perspective la plus probable. Le candidat communiste peut donc affirmer qu’il ira jusqu’au bout sans craindre la catastrophe politique : il réaffirme l’identité communiste et la visibilité du PCF, ce qui était le principal objectif avoué de la candidature. De la mi-janvier à début avril 2022, la candidature va prendre une autre ampleur avec l’espace libéré par Arnaud Montebourg, la polémique absurde engagée contre lui par Sandrine Rousseau (dont on se demande si elle ne travaillait pas déjà en sous-main pour les Insoumis) sur l’alimentation et qui attire enfin sur lui l’attention des médias, puis le soutien des petits partis de la gauche républicaine.

Roussel a donc rempli son contrat – l’identité communiste a été réaffirmée, le PCF est redevenu audible – mais le ton qu’il a donné à sa campagne a fini par apporter une dimension supplémentaire à sa candidature, représenter une gauche de transformation sociale qui n’a pas abandonné ses racines républicaines et laïques. Avec l’accord législatif de rassemblement de la gauche, le PCF va pouvoir maintenir son groupe (avec peut-être moins de financement public toutefois) et même si ses partenaires de la présidentielle risquent de passer momentanément à l’as, ce parti redevient un pôle avec lequel il faut construire.

RÉFÉRENCES

(1) Cécile Duflot : « La présidentielle me fait peur » – entretien accordé au Nouvel Observateur, 18 août 2010

(2) 13 janvier 2016 dans un entretien vidéo accordé à Ecorama/boursorama

(3) La fable de l’unité, 7 janvier 2022, David Cormand – https://www.davidcormand.fr/mon-blog-articles/la-fable-de-lunit

(4) Pour un populisme de gauche, Chantal Mouffe, 2018, Albin-Michel. La référence littéraire est postérieure à la campagne électorale de 2017 mais répercute les analyses précédentes de la philosophe : Hégémonie et stratégie socialiste : Vers une démocratie radicale (1985-2009), Le paradoxe démocratique (2000-2014), L’illusion du consensus (2005-2016), Agonistique : Penser politiquement le monde (2013-2014), ou encore Construire un peuple co-écrit avec Íñigo Errejón (2016-2017) [Les différentes dates indiquent la publication en anglais ou en espagnol puis la publication en français.]

(5) On ajoutera qu’après les élections européennes EELV et Génération·s ont entamé des discussions qui allaient déboucher sur la création en août 2020 avec Génération Écologie, CAP21, l’AEI et le MdP du pôle écologiste ; or la liste Génération.s conduite par Benoît Hamon aux élections européennes de 2019 avait recueilli 3,27 % : 13,48+3,27=16,75 %, un « socle » à faire pâlir de jalousie toute la gauche, mais un « socle » fondé sur le résultat des élections européennes.

(6) Olivier Faure dans l’émission « Questions politiques » de France Inter, France Télévision et Le Monde, le 1er mai 2022

(7) Le Canard Enchaîné, mercredi 17 mai 2017

(8)  « Elsa Faucillon : pourquoi je n’irai pas manifester auprès des policiers », tribune dans Libération, 19 mai 2021

(9) « Droit à la sécurité : Fabien Roussel défend « une police nationale de proximité« . » : tribune dans l’Humanité, 19 mai 2021

(10) Arnaud Montebourg : « La gauche a abandonné le récit national », entretien accordé à Libération, publié le 7 décembre 2021 : « Je lui ai dit une chose [à Fabien Roussel] : “Si moi je me désiste pour toi, je deviens communiste, si toi tu viens avec moi, tu restes communiste.” Franchement, ce n’est pas à 59 ans que je vais commencer une carrière de communiste. »

LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ? (PARTIE 2/3)
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3 juin 2022 5 03 /06 /juin /2022 11:30

La revue Le Temps des Ruptures (en ligne et papier) m'a commandé une analyse approfondie sur la transformation de la gauche française sur ces dernières années et ses conséquences frustrantes sur le résultat de l'élection présidentielle de 2022. La première partie de cet article au long court (rédigé début mai 2022) a été publiée le 25 mai dernier et vous pouvez le trouver ici 👉 https://letempsdesruptures.fr/index.php/2022/05/25/le-rendez-vous-manque-de-la-gauche-en-2022-sera-t-il-definitif/

Je vous le publie également ci-dessous...

Bonne lecture,
Frédéric FARAVEL

Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Coordinateur national des pôles thématiques de la Gauche Républicaine et Socialiste

Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?

Pour la troisième fois en 20 ans, la gauche est éliminée au soir du 1er tour de l’élection présidentielle. C’est surtout et d’abord la deuxième fois consécutive… La situation est d’autant plus frustrante pour nombre d’électeurs et militants que le candidat de gauche le mieux placé – Jean-Luc Mélenchon – manque l’accès au 2nd tour de quelques 421 000 voix, après l’avoir raté en 2017 de 619 000 voix en 2017. Beaucoup de déceptions donc, mais aussi beaucoup de raisons d’espérer faire mieux la prochaine fois, comme nous y a invité le candidat insoumis le 11 avril dernier.

Jean-Luc Mélenchon a fait mentir tous les pronostics : personne en décembre 2021 ou même en février 2022 ne pouvait imaginer que le candidat « populiste » pourrait frôler le 10 avril la barre des 22 % des suffrages exprimés. Depuis l’annonce unilatérale de sa candidature en novembre 2020, la baisse sondagière ne s’est pas arrêtée pendant un an, avant de rester « scotché » entre 10 et 12 % d’intentions de vote jusqu’en mars. Ayant rompu avec tous ses partenaires politiques de manière relativement brutale, ayant vu son image durablement abîmée (en grande partie sous l’effet de la séquence des perquisitions de novembre 2018, dont on continue encore aujourd’hui à interroger les véritables causes), ayant raté les différentes étapes que représentent les élections intermédiaires, ayant rejeté toutes les aspirations au rassemblement exprimées dans le « peuple de gauche » et, enfin, étant accusé d’avoir fortement altéré son orientation politique sur la question républicaine, Jean-Luc Mélenchon ne paraissait pas en mesure au début de la campagne présidentielle de renouveler son « exploit » de 2017. C’était un peu vite oublier que la France insoumise (LFI) était toute entière à la fois tournée vers l’élection présidentielle et vers la personne de son leader : les équipes de campagne du candidat insoumis ainsi que les militants encore engagés dans LFI ont été, malgré les obstacles, en permanence « habités » de la certitude qu’ils allaient gagner, ce qui les mettait dans des dispositions plus dynamiques que leurs concurrents qui s’étaient logiquement convaincus que la gauche (du fait de sa division) ne pouvait rien espérer de mieux que de poser des jalons pour l’avenir…

Mais Jean-Luc Mélenchon a toujours largement distancé ses concurrents à gauche et dans les deux ou trois dernières semaines de campagne a cristallisé sur sa candidature le « vote utile » de nombreux électeurs de gauche exaspérés par la perspective d’une répétition du duel Macron/Le Pen de 2017 : le bulletin Mélenchon a été un outil de barrage, y compris pour celles et ceux qui n’apprécient ni son orientation ni sa personnalité. Différents sondages de « sortie des urnes » ont tenté de mesurer ce « vote utile » ; les Insoumis prétendront que l’adhésion motivait 80 % des suffrages, les personnes plus critiques affirmeront que l’utilitarisme en représente 50 %… la vérité est sûrement entre les deux, mais nier cette dimension, en 2017 comme en 2022, serait absurde.

Au final, force est de constater que « la marche était trop haute »… le candidat insoumis n’a pu se hisser au 2nd tour et la colère des sympathisants de LFI et d’une partie des électeurs contre les autres candidats de gauche – notamment Fabien Roussel, accusé (à tort) d’avoir directement contribué à la défaite de Jean-Luc Mélenchon – n’y change rien : il n’y a pas, à y regarder de plus près, de « vases communicants » entre électorats et les spéculations sur le sujet sont assez vaines.

Cependant, la gauche n’est paradoxalement pas aussi affaiblie qu’il y a 5 ans. Dans un contexte de progression de l’abstention (un million d’abstentionnistes supplémentaires), la gauche, les écologistes et l’extrême gauche rassemblent 1,25 million de suffrages supplémentaires ; la progression est sensible au regard du nombre de suffrages exprimés (+4,2 points) et des inscrits (+2 points). Cependant, pour la première fois, le total des voix de gauche au 1er tour est inférieur à celui des voix pour l’extrême droite – 11,22 contre 11,34 millions – ce qui n’est pas exactement un signe de bonne santé de la gauche et de la démocratie française. N’oublions pas non plus que les logiques institutionnelles de la Cinquième République (aggravées avec l’inversion du calendrier depuis 2002) peuvent avoir des conséquences démobilisatrices : à l’heure où j’écris, il reste un mois avant les élections législatives, mais il faut rappeler que la gauche était tombée en 2017 de 21 % des inscrits pour l’élection présidentielle à 13,5 pour les élections législatives ; au regard des suffrages exprimés (l’abstention avait été massive : 51,3%), c’était un léger mieux 28,3 contre 27,7 %, mais il était dû à une remontée du vote socialiste et du vote écologiste (sans député écolo à la clef, ce vote était-il « inutile » ?) et à une relative confusion dans les positionnements des candidats vis-à-vis du nouveau locataire de l’Élysée. La division avait fait le reste pour aboutir à une soixantaine de parlementaires d’opposition de gauche.

La gauche – ou plus exactement ses dirigeants – est donc à un moment charnière… Elle doit comprendre le moment politique et social dans lequel nous sommes, tirer les leçons du scrutin présidentiel. C’est la condition nécessaire pour qu’une force de gauche reprenne le pouvoir et, surtout, transforme (durablement) la société.

LES RAISONS DE L’ÉCHEL PRÉSIDENTIEL DE 2022

Avant d’aborder les éléments territoriaux et sociaux qui découlent de l’analyse du scrutin du 10 avril 2022 et les stratégies politiques qui ont présidé à cette élection, il paraît nécessaire de resituer sur le moyen terme le contexte politique plus général de notre pays.

Objectivement, le bilan du mandat d’Emmanuel Macron présente une brutalité rarement vue à l’égard des catégories populaires (la répression contre les « gilets jaunes » a été de ce point de vue un phénomène inédit depuis la fin des années 1960) et a mis en exergue à l’occasion de la crise sanitaire les faillites du néolibéralisme qu’il promeut. Il y avait la place pour une contre-offensive de gauche, d’autant plus nécessaire qu’il n’est jamais inscrit que la colère sociale débouche forcément sur un renforcement de la gauche quand celle-ci est atone ou divisée – on le voit depuis des années, et en 2022 plus encore, l’extrême droite connaît une progression continue.

EVOLUTION DU CONTEXTE SOCIO-CULTUREL FRANÇAIS

La société française connaît comme d’autres sociétés occidentales une phase de rétractation qui n’est pas déconnectée de l’évolution du système capitaliste qui les sous-tend et des vagues successives, plus ou moins brutales, du néolibéralisme qui les ont transformées.

L’incapacité collective à préserver du marché des pans entiers de notre vie économique et sociale et la fin des grands récits unificateurs « positifs », ou même leur faillite économique, idéologique et morale si on songe à la chute du système soviétique(1) ont laissé le champ libre à des niveaux d’intensité divers à l’individualisme, au consumérisme, au repli sur la sphère familiale, mais aussi au repli sur les identités culturelles et religieuses (qui peuvent donner l’impression d’un renouveau de la solidarité), à l’obscurantisme et à une remise en cause du « savoir scientifique » ; enfin, dans une certaine mesure, la défiance grandissante qui travaille nos sociétés se double fréquemment d’une forme plus ou moins forte de « complotisme ».

Toutes ces évolutions sont en soi défavorables à la gauche, d’autant qu’aucune initiative sérieuse n’est conduite d’un point de vue culturel pour les contrecarrer…

LES CONSÉQUENCES DU « HOLLANDISME » SUR LA GAUCHE FRANÇAISE

Il y a cependant une spécificité politique française qui tient au désastre du quinquennat de François Hollande. La perception que garde l’immense majorité des électeurs de gauche (et même des Français) de ce mandat est celle d’une trahison politique sur tous les fronts ou presque : construction européenne, politique économique, travail (droit et rémunérations)… Avec Hollande est entré dans la tête des gens que la « gauche de gouvernement » c’est la même chose que la droite et parfois pire : non seulement – à la différence de toutes les précédentes expériences de la gauche au pouvoir – les Français (et tout particulièrement les catégories populaires) n’ont retiré aucune amélioration de leurs conditions de vie matérielle et morale de ce quinquennat, mais alors qu’il n’avait aucun marqueur social à mettre en avant, le « président normal » a mis en œuvre des politiques économiques et sociales que même Nicolas Sarkozy avant lui n’auraient osé pouvoir conduire.

Dès les premiers mois de son mandat, le PS a dû mettre au pilon des centaines de milliers de tracts saluant la fin de la « TVA sociale » car elle avait été remise en place de manière détournée après avoir été supprimée. Puis le soutien financier aux grandes entreprises sans aucune contrepartie a atteint des niveaux improbables, la dérégulation du marché a été accrue ; pour finir, les droits des salariés ont été réduits (là où Sarkozy créait des accords de compétitivité « défensifs », Hollande installait des accords « offensifs » c’est-à-dire des réductions relatives des rémunérations des salariés pour développer les grandes boîtes)… c’est sous François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve que les techniques de maintien de l’ordre ont été modifiées avec des résultats désastreux (mort de Rémi Fraisse en 2014 au barrage de Sivens ; nassages et nombre de blessés en hausse lors des manifestations contre le projet de loi El Khomri) qui annonçaient les violences du quinquennat suivant. Sans parler du trouble créé par la proposition de déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux…

D’une certaine manière, François Hollande a installé dans l’esprit des Français qu’une politique publique de gauche était « utopique ». Tony Blair était venu nous dire en 1998 qu’il n’y avait pas de politiques économiques de gauche ou de droite, François Hollande – qui n’a pas simplement abdiqué devant le néolibéralisme mais en était un agent convaincu depuis des lustres(2) – semble avoir voulu nous en faire la démonstration de manière acharnée et l’impression qu’il a laissée est durable : quand bien même Anne Hidalgo présentait un programme superficiellement de gauche, les électeurs de la présidentielle lui ont à nouveau fait payer le quinquennat Hollande, « plus jamais PS » c’est d’abord « plus jamais Hollande ». Peut-être mesurera-t-elle dans les semaines qui viennent l’erreur fatale d’avoir voulu se mettre en scène avec l’ancien président dans une fausse intimité (au café sous le regard de dizaines  de caméras) et en meeting. Hollande est au PS, et sans doute à la gauche française, ce que Ferenc Gyurcsány(3) a été à la gauche hongroise qui vient à nouveau d’échouer lors du dernier scrutin face à l’ultra-conservateur illibéral Viktor Orbán (la gauche hongroise a perdu le pouvoir voici près de 12 ans et croyait le reprendre grâce à une coalition de tout ce que la Hongrie compte d’opposants au premier ministre actuel). Une perspective terriblement réjouissante donc…

De plus, les Français ont le sentiment totalement légitime que la politique conduite par Emmanuel Macron depuis son élection en mai 2017 est dans une complète continuité avec celle qu’avait menée son prédécesseur… On peut à la rigueur considérer qu’Emmanuel Macron est allé encore plus loin que François Hollande mais la logique mise en œuvre est absolument identique sur l’Europe, l’économie, le social, la sécurité et les libertés publiques. Emmanuel Macron est aujourd’hui identifié à droite – il ne reste plus grand monde pour faire semblant de croire au « en même temps » à part François Rebsamen, Marisol Touraine, Élisabeth Guigou et Jean-Yves Le Drian – mais les Français ne peuvent oublier qu’il « vient [immédiatement] de la gauche » et qu’il est la « créature » (au sens premier du terme) de François Hollande et donc de l’État PS.

La gauche semble donc condamnée dans la psychologie collective à une posture oppositionnelle dont les solutions ne seraient pas « praticables » puisqu’elle ne les a pas pratiquées au pouvoir ; si la « gauche de gouvernement » n’est qu’un autre avatar de la politique néolibérale et autoritaire, alors autant garder celui qui le fait déjà sans plus prétendre être « de gauche ». Emmanuel Macron recueille donc en 2022 encore quelques brebis égarées dans l’électorat de gauche qui pensent faire barrage « aux extrêmes », mais il a aussi mis fin à une forme de « faux nez » politique : une partie de l’électorat qui se tournait auparavant vers le PS s’est découverte de centre droit avec Emmanuel Macron et le vit bien.

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GÉOGRAPHIE ET SOCIOLOGIE DU VOTE DE GAUCHE AU 1ER TOUR DE LA PRÉSIDENTIELLE

J’ai largement traité cette question dans la note d’analyse électorale que j’ai récemment publiée sur mon blog (note rédigée le 21 avril 2022)(4). Mais on peut reprendre ici quelques éléments marquants…

On considérera par facilité statistique et politique que les candidatures d’Anne Hidalgo et de Yannick Jadot en 2022 occupent le même espace politique que celle de Benoît Hamon en 2017. Il n’existe quasiment pas d’endroits où la somme des suffrages exprimés en faveur des deux premiers soit supérieure aux suffrages obtenus par le troisième ; ils perdent des voix partout dans le pays et font près de 47 000 voix de moins à l’échelle nationale. C’est un électorat identique où prédominent les urbains, les gagnants de la mondialisation et les personnes qui ont fait des études supérieures.

L’électorat résiduel des candidats trotskistes est également en baisse de près de 161 000 suffrages.

Les mouvements importants se sont donc déroulés autour des candidatures présentées par LFI et le Parti Communiste Français (PCF). Ils soutenaient ensemble Jean-Luc Mélenchon en 2017, ce dernier se représentait en 2022 (pour la dernière fois ?) mais le PCF avait décidé d’envoyer son secrétaire national, le député du Nord Fabien Roussel.

Mélenchon, malgré la division avec Fabien Roussel, gagne 654 623 suffrages. Mais ces gains sont extrêmement concentrés dans un électorat des métropoles et de leurs banlieues ainsi que dans les régions, collectivités et départements d’Outre-Mer. Ainsi, près de la moitié de la hausse correspond à la banlieue parisienne avec près de 327 000 suffrages, soit 49,92 % de sa progression. L’Île-de-France représente à elle-seule 66,3 % des voix gagnées par le candidat insoumis entre 2017 et 2022. Symptomatique : ses deux plus fortes progressions se font à Paris (+107 266 voix) et en Seine-Saint-Denis (+82 509 voix). Les Départements ou anciens départements d’Outre-Mer représentent presque un quart des gains en voix de Jean-Luc Mélenchon, dont près de 15 % pour les seules Antilles et la Guyane. Si on ajoute à ces deux catégories territoriales, les métropoles lyonnaises et marseillaises (départements du Rhône et des Bouches-du-Rhône), on atteint 99,4 % des voix supplémentaires conquises par le député de Marseille, concentrées sur 16 départements et régions, Collectivités d’Outre- Mer (en comptant Saint-Martin et Saint-Barthélémy). Jean-Luc Mélenchon rassemble donc l’électorat classique de la gauche des années 2000, les jeunes et les adultes des quartiers populaires de banlieue et les électeurs d’Outre-Mer en révolte contre le mépris du gouvernement central. Cet électorat composite semble se distinguer de plus en plus d’une autre partie du pays avec des classes populaires qui se sentent exclues du système. François Ruffin le dit assez bien dans Libération le 13 avril 2022 en parlant des départements où Mélenchon perd du terrain : « C’est là qu’on perd. Au-delà même de la gauche, ça pose une question sur l’unité du pays, ces fractures politico-géographiques : comment on vit ensemble ? Comment on fait nation, sans se déchirer ? ».

Car c’est là un enseignement fort et inquiétant – pour toute la gauche, car elle est concernée avec Mélenchon – du 10 avril 2022. Dans 54 départements de l’Hexagone, Jean-Luc Mélenchon perd des voix par rapport à 2017 et parfois beaucoup. Ces départements dans lesquels il recule sont de trois ordres : territoires ruraux, territoires périurbains déclassés, anciens « bassins ouvriers »… tous ont la caractéristique de ne pas participer des « bienfaits » (contestables) de la « mondialisation [supposée] heureuse » des grandes agglomérations et métropoles de notre pays. Cette situation se reproduit à l’intérieur des départements où Mélenchon gagne des voix (hors région parisienne, Rhône et Outre-Mer) : les circonscriptions qui ne sont pas dans l’attraction de la « métropole locale » et les circonscriptions les plus « ouvrières » voient Mélenchon reculer (y compris dans son département d’élection). Elle se reproduit en miroir enfin dans les départements où il perd des voix : les seules circonscriptions où il en gagne sont celles de l’agglomération principale (Troyes, Caen, Angoulême, La Rochelle, Nîmes, Blois, Reims, Laval, Nancy, Lille-Roubaix-Tourcoing, Clermont-Ferrand, Rouen, Amiens, Toulon, Fréjus…).

En résumé, Jean-Luc Mélenchon recule dans ce que les géographes ont délicatement appelé la « diagonale du vide » et les anciens « bassins ouvriers » du nord et de l’est de la France. Dépité, François Ruffin l’exprime assez nettement dans son entretien à Libération : « On ne peut pas, par une ruse de l’histoire, laisser triompher la logique de « Terra Nova ». Je ne sais pas si vous vous souvenez ? En 2011, ce think tank proche du PS recommandait une stratégie « France de demain », avec « 1. Les diplômés. 2. Les jeunes. 3. Les minorités ». » C’est pourtant ce qui s’est passé…

Où sont passés les électeurs de Jean-Luc Mélenchon de 2017 qui l’ont abandonné en 2022 ? Les deux premières explications paraissent superficiellement évidentes : dans l’abstention puisque celle-ci a progressé ; chez Fabien Roussel, puisque le PCF soutenait l’Insoumis en 2017, son électorat se serait logiquement reporté sur le candidat communiste. L’analyse détaillée que j’ai publiée sur mon blog ne permet pas de soutenir cette dernière hypothèse (je vous y renvoie pour plus de détails). Nous connaissons tous nombre d’électeurs potentiels de Fabien Roussel, Yannick Jadot ou Anne Hidalgo, voire des militants qui ont fait campagne pour ces derniers, qui ont finalement glissé un bulletin Jean-Luc Mélenchon dans l’urne le 10 avril. Cela plaide pour que le candidat communiste soit allé chercher hors de l’électorat Mélenchon de 2017 une large partie de son électorat de 2022 et que ces nouveaux roussellistes ne se soient sans doute pas déplacés pour Mélenchon si Roussel avait été absent : on ne peut pas dire « Il manque à Mélenchon 621 000 voix, or Roussel lui en a volé 802 000 : c’est tout vu » comme l’ont fait nombre de sympathisants de LFI. De même, Mélenchon a trouvé, dans les 16 départements qui concentrent 99 % de sa progression, un électorat nouveau, issu des abstentionnistes ou des jeunes électeurs inscrits depuis 2017, notamment dans les quartiers populaires. Il reste donc l’abstention pour expliquer son recul partiel : mais là aussi on trouve des reculs qui ne correspondent pas à l’évolution de la participation dans les départements concernés que ce soit en positif ou en négatif… Ce n’est donc pas l’abstention qui permet d’expliquer à elle seule ce recul de Mélenchon dans 54 départements.

Dans les 4 départements du « Sud-Ouest profond » (Landes, Pyrénées-Atlantiques, Gers et Hautes-Pyrénées), plusieurs milliers de voix sont notamment transférées directement de Jean-Luc Mélenchon en 2017 vers Jean Lassalle en 2022 – le candidat béarnais gagne d’ailleurs plus de voix entre 2017 et 2022 que n’en gagne le candidat insoumis. Dans les départements et les circonscriptions ouvrières du nord et de l’est de la France, notamment dans le Pas-de-Calais, le Nord, l’Aisne, les Ardennes, la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, mais aussi dans les Bouches-du-Rhône, on voit nettement qu’il y a eu un déplacement de voix parfois par plusieurs milliers de Jean-Luc Mélenchon en 2017 vers Marine Le Pen en 2022. Ainsi, dans ces départements et dans quelques autres, percevoir les traces ou ressentir la gifle d’un transfert d’électorat de Jean-Luc Mélenchon vers Jean Lassalle et Marine Le Pen devrait interroger toute la gauche plutôt que de perdre notre temps à déterminer si Fabien Roussel est responsable de l’élimination du député de Marseille au soir du 1er tour, ce qui n’est nullement démontré par les relevés de terrain.

Le problème des Insoumis comme de tout le reste de la gauche reste donc entier et c’est un problème sociologique et républicain : les catégories populaires des anciens « bassins ouvriers », des territoires péri-urbains et plus encore des territoires ruraux ont atteint un niveau de défiance telle qu’elles s’abstiennent d’abord massivement, qu’elles préfèrent voter Marine Le Pen ensuite (la différence d’électorat à l’extrême droite est clairement apparue à l’occasion de la division du travail entre Le Pen et Zemmour – qui se distingue avec un électorat concentré dans le sud-est de la France et l’ouest parisien) ou pour des candidats aussi baroques que Jean Lassalle.

Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?Le Temps des Ruptures me publie : LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ DE LA GAUCHE EN 2022 SERA-T-IL DÉFINITIF ?

La candidature de Fabien Roussel n’a évidemment pris qu’à la marge sur cet électorat et il partage avec les autres candidats de gauche l’électorat classique de la gauche : les habitants des métropoles éduqués et insérés, les habitants des quartiers populaires et des banlieues de ses métropoles pour qui les conditions économiques et sociales sont bien plus problématiques et qui subissent, souvent du fait de leurs origines, des discriminations importantes. Mélenchon y ajoute un raz de marée électoral dans les Antilles qui se sentent méprisées depuis longtemps par la puissance publique et pour lesquelles on n’a sans doute pas pris la mesure au moment de la crise sanitaire de plusieurs facteurs de ressentiments parfois légitimes se précipitant (au sens chimique du terme) : économie fragile et chômage endémique, environnement dégradé avec les conséquences à long terme du chlordécone, méfiance sanitaire qui a nourri un fort mouvement anti-vaccination…

Cet électorat de la gauche de Mélenchon à Jadot est non seulement très classique mais il est aussi très hétérogène car aucun travail n’a été conduit pour lui donner une cohérence politique. Il n’est d’ailleurs pas dit que les gains de Jean-Luc Mélenchon dans les quartiers populaires et en Outre-Mer puissent être tous qualifiés « de gauche ». Ils viennent aussi en partie d’une défiance anti-rationaliste et ils agrègent des électeurs qui, déçus par une gauche qui a failli à concrétiser l’égalité républicaine de manière concrète dans les banlieues, ont fini par croire au mythe de l’auto-entreprenariat et que Macron a trompé…

Quant aux « bobos » des métropoles si ouverts et si progressistes sur le papier, il n’est pas dit qu’ils comprennent quoi que ce soit à la révolte ultramarine et qu’ils soient particulièrement solidaires des catégories populaires – version banlieusardes « racisées » ou prolos, fils de prolos traditionnels « beaufisés »…

La gauche est donc dans une impasse sociologique et territoriale (les deux critères se croisant régulièrement). Elle est victime de deux biais politiques hérités du début de la décennie précédente : l’imposture Terra Nova et l’imposture Bouvet… L’une et l’autre ont décrit les catégories populaires traditionnelles comme des bastions du conservatisme, concluant pour le think tank qu’il fallait les abandonner et pour le politiste qu’il fallait abandonner les politiques sociétales et résoudre leur « insécurité culturelle » (qu’on peine encore à définir) plutôt que leurs difficultés économiques.

Le problème dans tout cela, c’est que la gauche – enfin une gauche de transformation sociale – ne peut pas se hisser au 2nd tour de l’élection présidentielle sans gagner durablement à sa cause des catégories populaires qui lui ont progressivement puis totalement échappé à partir de la fin des années 1980. Mais il faudra aussi compter avec le poids des organisations politiques, leurs capacités de mobilisation mais aussi leurs défauts substantiels.

Références

(1)Le « compromis social-démocrate » européen a d’autant moins résisté au néolibéralisme, qu’il avait perdu sa fonction politique de troisième voie entre le libéralisme américain et le totalitarisme soviétique et que ses leaders n’ont jamais inventé de pensée cohérente une fois réalisé leurs Bad-Godesberg respectifs (assumés ou rampants).

(2)Lire L’Abdication, Aquilino Morelle, 2017, Paris, éditions Grasset et Fasquelle

(3)Ferenc Gyurcsány, ancien jeune communiste puis chef d’entreprise, était le leader du parti socialiste hongrois, premier ministre de 2004 à 2009. Réélu triomphalement en avril 2006 (un résultat inédit dans la nouvelle Hongrie démocratique), la radio publique hongroise diffuse 5 mois plus tard un enregistrement pirate d’une déclaration prononcée au cours d’une réunion à huis clos de son parti en mai 2006 dans laquelle il admet avoir menti sur l’état des finances du pays pour se faire réélire. Cette trahison politique puis les politiques austéritaires auxquelles le FMI contraindra son gouvernement entraîneront son renvoi en avril 2009 par le groupe parlementaire socialiste hongrois et sa démission, puis la défaite sans appel du PS hongrois en mai 2010. Ce parti a connu plusieurs scissions depuis et ne peut plus prétendre concurrencer sérieusement le Fidesz de Viktor Orbán qui lui a succédé.

(4) Progressions, limites et échec des gauches au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 ➔ http://www.fredericfaravel.fr/2022/05/progressions-limites-et-echec-des-gauches-au-premier-tour-de-l-election-presidentielle-de-2022.html

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2 juin 2022 4 02 /06 /juin /2022 18:27

Le lundi 30 mai 2022, à partir de 19h30, se tenait le conseil municipal de Bezons... La plupart des délibérations qui nous étaient soumises était purement administratives. Deux dossiers ont cependant nécessité des interventions un peu fortes de notre part :

👉 un projet d'aménagement autour de la rue Emile-Zola et du Grand-Cerf

👉 la fusion du comité technique et du CHSCT en comité social de territoire...

Je me suis également permis d'intervenir en fin de conseil municipal concernant les difficultés persistantes de recrutement de cadres que rencontre la Ville de Bezons et qui a conduit l'équipe divers droite a dépensé plus de 40.000 € en cabinet de "chasseurs de têtes".

Je vous laisse les découvrir en images.

Frédéric Faravel
conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes et républicains"
coordinateur national des pôles thématiques de la Gauche Républicaine et Socialiste

Projet d'aménagement pour la Rue Emile-Zola et le Grand Cerf

L'équipe de la maire divers droite soumettait prise en compte d'un projet d'aménagement pour 5 ans avec un périmètre géographique qui permettait de bloquer chaque permis de construire indésirable pour 2 ans (maximum)... L'outil est intéressant, l'idée est sans doute pertinente, sauf que le projet qui prétendait justifier cette démarche est vide et que Mme Nessrine Menhaouara a refusé de répondre aux questions légitimes que Mme Marjorie Noël et M. Arnaud Gibert et moi-même lui avons posées et qu'elle a refusé de transmettre le contenu des études qu'elle aurait (paraît-il) en sa possession.

Illustration du mépris de l'équipe divers droite pour le dialogue social et les agents municipaux

La création du comité social de territoire qui fusionne le Comité technique et le CHSCT communal était soumis aux élus. L'occasion de rappeler à quel point l'équipe divers droite de Mme Nessrine Menhaouara est en délicatesse avec les règles du dialogue social et de plus en plus désapprouvée dans ses méthodes par les représentants syndicaux du personnel municipal.
Le mépris envers l'opposition s'étend donc à toutes celles et tous ceux qui pourraient émettre un point de vue éclairé sur les agissements de la maire... La démocratie locale est de plus en plus une mascarade à Bezons.

à propos des difficultés de recrutement de la Ville de Bezons

En fin de conseil municipal, un débat s'est engagé à l'occasion de la lecture des décisions courantes de la Maire depuis le dernier conseil municipal en mars : plus de 40.000 € dépensés pour recourir à des cabinets de recrutement et dépasser les difficultés de recrutement de la Ville.

Certaines de ses difficultés ne sont pas de la responsabilité de l'équipe de Mme Menhaouara, ce sont celles qui ont trait à la faiblesse des rémunérations des fonctionnaires et notamment des fonctionnaires territoriaux. D'autres ont trait à la stratégie adoptée : abaisser le niveau de recrutement ne fait pas venir plus de candidats (c'est souvent le contraire).

Enfin, la très, très mauvaise réputation extérieure de la Ville à cause de l'équipe municipale divers droite de Mme Menhaouara risque de plomber longtemps notre commune.

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30 mai 2022 1 30 /05 /mai /2022 09:40

Les accueils périscolaires et l’encadrement de la restauration scolaire font face aujourd’hui à un mouvement de grève particulièrement massif des animateurs qui assurent ces missions auprès de nos enfants. Cela fait plusieurs mois déjà que le conflit dure entre les animateurs et l’équipe municipale divers droite de Mme Nessrine Menhaouara : depuis l’installation de la « nouvelle » équipe, les grèves sont plus nombreuses et plus suivies qu’auparavant. Plus le temps passe, plus cela s’aggrave… La Maire et son équipe se vante d’avoir rénové le dialogue social, on voit en réalité ce qu’il en est ; il suffit de lire les tracts et les courriers adressés tant par la FSU que par la CGT pour comprendre que Mme Menhaouara et M. Cuvillier n’écoutent personne et ne respectent pas les cadres de consultation des représentants du personnel.

Il est déjà totalement faux d’affirmer, comme l’équipe municipale le fait écrire à la direction de l’éducation (dans un mail adressé samedi après-midi aux parents d’élèves – en copie ci-dessous – avec toutes les adresses des destinataires apparentes, bravo pour la protection des données personnelles), qu’elle ne connaîtrait pas de « revendications claires de la part des grévistes » : depuis des mois, les revendications sont les mêmes, conditions de travail, heures fractionnées, rémunérations… Les animateurs ont choisi d’utiliser un préavis national de la CGT pour pouvoir étayer leur mouvement local, mais il est mensonger de dire que les « revendications sont de portées nationales et hors du champ d’action de la municipalité ».

La Mairie a choisi dans ce conflit la stratégie du pourrissement, espérant que les animateurs abandonnent en premier (n’oublions pas que contrairement à ce qu’affirme une légende urbaine les grévistes ne sont pas payés!) : ainsi quand dans le même mail, la direction de l’éducation écrit que « ce mouvement, déclenché à la veille d’un week-end prolongé allait porter gravement préjudice aux familles », elle oublie volontairement de préciser que les premiers responsables du préjudice causé aux parents d’élèves sont la Maire et son équipe ! Nous savons à quel point ce type de situation est difficile pour les parents d’élèves, nous y sommes confrontés également. Mais ne vous trompez pas de responsables : Mme Menhaouara vous désigne les animateurs comme des « boucs émissaires », des fautifs ; rien n’est plus faux ! Nous vous invitons dès demain et les jours qui suivent à apporter votre soutien et à le leur témoigner aux animateurs : plus ils seront soutenus, plus la mairie sera forcée de les entendre et de discuter ! Nous sortirons peut-être alors enfin de l’impasse dans laquelle Mme Menhaouara, M. Cuvillier et leur équipe nous ont enfermés.

« Boucs émissaires » c’est totalement cela… Dans le mail envoyé samedi après-midi, le premier mensonge est donc de vouloir faire croire qu’il n’y a pas de revendications connues et que la mairie ne pouvait pas prévoir (des responsables syndicaux nous ont par ailleurs indiqué qu’ils n’avaient pas dit à l’équipe municipale qu’ils ne savaient pas que le mouvement serait suivi), mais cela ne s’arrête pas là. L’équipe municipale fait ainsi écrire à la direction de l’éducation que la façon de se mettre en grève aurait empêché une information dans les délais : c’est faux ! Et ce mensonge frise l’absurde puisque le mail de samedi après-midi indique lui-même que les tableaux de perturbations ont été diffusés dès mercredi ; les fédérations et associations de parents d’élèves ont d’ailleurs relayé fortement l’information (copie d’écran ci-dessous) immédiatement pour informer largement les parents d’élèves. Or nous n’avons jamais été prévenus plus tôt de ces perturbations lors des mouvements de grève précédents !

Toute cette communication démontre seulement que, sur ce dossier comme sur d’autres, la municipalité divers droite panique et préfère réécrire l’histoire plutôt que d’assumer ses responsabilités. Elle est responsable du blocage actuel et donc commande en catastrophe à la direction de l’éducation d’envoyer un mail le samedi en fin d’après-midi pour désigner les animateurs grévistes comme coupables : c’est minable !

Enfin, nous dénonçons avec vigueur la décision de la mairie divers droite dont nous sommes informés en fin de mail : « la ville organise en urgence un accueil sur le temps du midi assuré par des fonctionnaires volontaires conscients de la difficulté de cette situation pour les familles, ainsi que par des élus mobilisés ». Pour la première fois, la Mairie décide de mettre en place le « service minimum » inventé sous Nicolas Sarkozy – belle référence pour une équipe qui se prétend de gauche mais démontre ainsi sa nature de droite. Voilà des années que M. Cuvillier (déjà quand il était au PS avant de rejoindre EELV) rêve de le mettre en place ce « service minimum », il l’a avoué clairement devant Mme Catherine Pinard et moi… Non seulement, ce dispositif vise à casser les mouvements de grèves (qui sont utilisés pour défendre les droits des salariés… c’est bien de défendre les grévistes à PPG Bezons, mais pourquoi briser la grève des agents municipaux ?) plutôt que pour résoudre les difficultés des parents, mais il ne permet jamais un accueil correct dans des conditions de sécurité satisfaisantes, avec des personnes aptes à encadrer des enfants qui ne sont pas les leurs… Le « service minimum » est donc non seulement une « fausse bonne idée », c’est aussi une idée dangereuse pour les agents qui y participent et les enfants qui en font les frais ! Que des élus annoncent en plus qu’ils vont participer à ce dispositif est tout simplement effarant et malsain : ils ne sont donc pas de gauche mais en plus ils sont irresponsables !

Frédéric FARAVEL
conseiller communautaire et municipal Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

tableau des perturbations de services dues à la grève envoyé mercredi et courrier électronique adressé aux parents d'élèves samedi 28 à 16h36 (nous avons volontairement masqué les adresses mails des destinataires)tableau des perturbations de services dues à la grève envoyé mercredi et courrier électronique adressé aux parents d'élèves samedi 28 à 16h36 (nous avons volontairement masqué les adresses mails des destinataires)

tableau des perturbations de services dues à la grève envoyé mercredi et courrier électronique adressé aux parents d'élèves samedi 28 à 16h36 (nous avons volontairement masqué les adresses mails des destinataires)

Grève des animateurs périscolaires à Bezons le 30 mai : la Mairie cherche des "boucs émissaires" et réécrit l'histoire
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20 mai 2022 5 20 /05 /mai /2022 16:30

Le premier tour de l'élection présidentielle de 2022 se déroulait le 10 avril dernier. Il a vu arriver en tête Emmanuel Macron, président de la République sortant, et Marine Le Pen, sa challenger d'extrême droite... immédiatement derrière se situait Jean-Luc Mélenchon à 425.000 voix de l'accession au second tour. La gauche (puisque le candidat populiste avait redécouvert la nécessité d'afficher cette couleur dans les dernières semaines de la campagne) était à nouveau écartée du second tour de l'élection présidentielle.

Dès le lendemain du premier tour, j'ai commencé à regarder les résultats en détail ; j'ai pris mon temps creusant les chiffres et croisant les échelles géographiques, pour comprendre les dynamiques qui expliquent le vote du 10 avril 2022. Mes amis politiques m'avaient par ailleurs demandé une analyse approfondie du scrutin... Jean-Luc Mélenchon aurait-il pu atteindre le second tour ? Les autres candidatures à gauche, notamment celle de Fabien Roussel, étaient-elles responsables du fait qu'il trébucha encore si près du but ? Quelles ont été les dynamiques à gauche ? Quels ont été les électeurs de Gauche ?

Ainsi après plusieurs jours de travail et d'examen aride de tableaux excell, de conversations plus intéressantes avec des acteurs politiques de différents points du territoire et avec des personnes ayant participé à l'organisation du scrutin sur le terrain (comme je l'avais fait moi-même), je me suis mis à écrire, corrigeant à plusieurs reprises mon propos quand de nouvelles précisions fusaient des témoignages ou des tableaux de calcul... Le texte ci-dessous a donc été rédigé du jeudi 14 au jeudi 21 avril 2022. Je l'ai alors diffusé à un nombre restreint de personnes, amis et responsables politiques, dont Emmanuel Maurel (député européen), Marie-Noëlle Lienemann (sénatrice), Anthony Gratacos (conseiller départemental), Isabelle Amaglio-Térisse (co-présidente de LRDG) et les membres du collectif d'action national de la Gauche Républicaine et Socialiste en général, mais aussi Pierre Ouzoulias (sénateur PCF) et sa collaboratrice puis mon ami Rémi Lefebvre, essayiste et politiste à l'université Lille 2, qui m'a fait l'honneur de me citer dans l'entretien qu'il avait accordé à la Midinale de Regards.fr du 22 avril 2022 alors que le note n'était toujours pas publiée (ce qui fait que Pierre Jacquemain rédacteur en chef du magazine m'a demandé de la lui transmettre ce que j'ai fait). Il m'avait cependant été demandé de ne pas publier cette note avant le dépôt des candidatures aux élections législatives, les choses étant particulièrement tendues à gauche (et les piques adressées entre responsables politiques de la même alliance électorale ces derniers jours le démontrent encore) : ce délai de publication a été pour moi - je dois l'avouer - particulièrement frustrant.

Je publie donc aujourd'hui cette note d'analyse électorale détaillée...👇 Elle est longue, forcément ; j'espère qu'elle suscitera la réflexion ; je crains que, comme souvent ces dernières années, elle ne suscite chez certains qu'une rancœur irrationnelle... pourtant je le répète ici, quelle que soit la dureté apparente du propos, elle ne reflète que la dureté des faits ; il s'agit de sortir moins bêtes de l'analyse et de sortir des fausses évidences qui ne sont que de la communication politique visant à masquer nos faiblesses collectives.

Bonne lecture,
Frédéric FARAVEL

Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

Progressions, limites et échec des gauches au premier tour de l’élection présidentielle de 2022

Le score de Jean-Luc Mélenchon au soir du dimanche 10 avril 2022 constitue un succès indéniable – bien que terriblement frustrant pour le candidat et ses sympathisants, puisqu’il se retrouve à nouveau exclu du second tour de l’élection présidentielle. Il lui manquait en effet quelques 430 000 voix en avril 2017 pour dépasser Marine Le Pen (l’accès au second tour s’était fait dans un mouchoir de poche, Jean-Luc Mélenchon n’étant que quatrième du scrutin derrière le candidat LR, François Fillon) ; il arrive cette fois-ci troisième, clairement détaché de tous ses poursuivants, avec seulement 421 308 voix d’écart avec la candidate d’extrême droite Marine Le Pen.

Le candidat de la France insoumise – même si le mouvement s’est fondu artificiellement dans un « rassemblement » qui se veut plus large et baptisé « Union populaire » – a fait mentir les différents pronostics : ayant rompu avec tous ses partenaires politiques de manière relativement brutale, ayant vu son image durablement abîmée (en grande partie sous l’effet de la séquence des perquisitions de novembre 2018, dont on continue encore aujourd’hui à interroger les véritables causes), ayant raté les différentes étapes que représentent les élections intermédiaires (européennes, municipales, régionales et départementales), ayant rejeté toutes les aspirations au rassemblement exprimées dans le « peuple de gauche » et, enfin, étant accusé d’avoir fortement altérée son orientation politique sur la question républicaine, le mouvement populiste de gauche ne paraissait pas en mesure au début de la campagne présidentielle de renouveler son « exploit » de 2017. C’était un peu vite oublier que la France insoumise était toute entière à la fois tournée vers l’élection présidentielle et (du fait de son orientation populiste) vers la personne de son leader : les équipes de campagne du candidat insoumis ainsi que les militants encore engagés dans LFI ont été malgré les obstacles en permanence « habités » de la certitude qu’ils allaient gagner, ce qui – n’en doutons pas – les mettaient dans des dispositions plus dynamiques – dans l’adversité – que leurs concurrents qui s’étaient rapidement convaincus que la gauche (du fait de sa division) ne pouvait rien espérer de mieux que de poser des jalons pour l’avenir…

D’une certaine manière, les deux postures étaient justes : la marche pour le second tour était trop haute et on peut comprendre que différents candidats de gauche aient souhaité profiter de l’élection présidentielle pour faire entendre un autre son de cloche ; mais, bien qu’il soit resté longtemps dans les sondages à son étiage de 2012, Jean-Luc Mélenchon a toujours largement distancé ses concurrents à gauche (y compris Yannick Jadot et les écologistes qui ont un temps rêvé de lui ravir la primauté) et dans les deux ou trois dernières semaines de campagne a cristallisé sur sa candidature le « vote utile » d’une part non négligeable d’un électorat de gauche exaspéré de voir arriver la reproduction du duel Macron/Le Pen de 2017. De très nombreux électeurs ont donc utilisé le bulletin Mélenchon pour faire barrage à la répétition de 2017, y compris certains de ceux qui n’appréciaient ni l’orientation ni la personnalité du candidat. Différents sondages de « sortie des urnes » ont été publiés pour mesurer cette importance du « vote utile » ou « efficace » en faveur de l’Insoumis ; les sympathisants du candidat prétendront que l’adhésion au programme motivait 80 % des suffrages, les personnes plus critiques affirmeront que l’utilitarisme en représente 50 %… la vérité est sûrement entre les deux, mais nier la dimension « vote utile » pour Jean-Mélenchon, en 2017 comme en 2022, serait absurde.

Toujours est-il que la force de la dynamique du député de Marseille est bien réelle : il passe de 19,58 % en 2017 à près de 22 %, repoussant de beaucoup son plafond de verre. Mais surtout, dans un contexte où l’abstention a fortement progressé (+4,08 points, sans atteindre le record de 2002), il gagne à l’échelle du pays près de 655 000 voix supplémentaires – plus que Marine Le Pen (+455 337) … mais moins que Jean Lassalle (+666 086). Osons le dire, au regard des obstacles auxquels il faisait face, c’est un tour de force…

Pourtant, il existe des faiblesses dans le résultat de Jean-Luc Mélenchon ; comme François Ruffin l’a exprimé dans son entretien accordé à Libération et publié le 13 avril 2022 « Jusqu’ici, nous ne parvenons pas à muer en espoir la colère des “fâchés pas fachos” ». Rémi Lefebvre, politologue qui avait pris position pour le candidat insoumis dans une tribune collective quelques jours avant le 1er tour, ajoute dans un article publié par AOC le même jour « La dynamique de 2022 ne s’est pas nourrie des abstentionnistes (sauf les jeunes) mais du siphonnage des électorats de gauche rivaux (l’enquête du CEVIPOF et de la Fondation Jean-Jaurès l’a bien montré bien tout au long de la campagne). Jean-Luc Mélenchon parle d’un « pôle populaire » installé grâce à lui dans la vie politique mais la sociologie de ses électeurs reste centrée dans l’électorat de gauche classique, diplômé, urbain, inséré ou déclassé. » Enfin, à bien des égards, le procès fait par l’équipe et les sympathisants de Jean-Luc Mélenchon aux communistes et à Fabien Roussel d’avoir empêché leur candidat d’accéder au second tour est, si ce n’est infondé, tout du moins spécieux…

Nous allons essayer de montrer dans la partie qui suit un certain nombre de limites du vote Mélenchon (évidemment tous les tableaux de résultats et de comparaisons seront tenus en annexe).

évolution du vote Mélenchon entre 2017 et 2022

évolution du vote Mélenchon entre 2017 et 2022

UNE BASE DE PROGRESSION TERRITORIALEMENT ET SOCIOLOGIQUEMENT ÉTROITE

Jean-Luc Mélenchon a donc gagné entre 2017 et 2022 (malgré une participation en baisse de plus de 2,2 millions d’électeurs) 654 623 suffrages. En 2017, sa progression était générale ; Jean-Luc Mélenchon avait alors retenu une partie importante de l’électorat de gauche classique (la majorité des 33 % d’électeurs de François Hollande qui avaient hésité jusqu’au dernier moment entre le futur « président normal » et lui), mais il avait également drainé malgré une abstention en hausse (+1,7 point) une partie des abstentionnistes, dont des jeunes et un électorat populaire qui aurait pu être tenté par Marine Le Pen.

En 2022, sa progression en voix est extrêmement concentrée territorialement : près de la moitié de la hausse correspond à la banlieue parisienne avec près de 327 000 suffrages, soit 49,92 % de sa progression. L’Île-de-France représente à elle-seule 66,3 % des voix gagnées par le candidat insoumis entre 2017 et 2022 ; symptomatiquement, ses deux plus fortes progressions se font à Paris (+107 266) et en Seine-Saint-Denis (+82 509)…

Les Départements ou anciens départements d’Outre Mer représentent presque un quart des gains en voix de Jean-Luc Mélenchon, dont près de 15 % pour les seules Antilles et la Guyane.

Si on ajoute à ces deux catégories territoriales, les métropoles lyonnaises et marseillaises (départements du Rhône et des Bouches-du-Rhône pour faire vite), on atteint 99,4 % des voix supplémentaires conquises par le député de Marseille, concentrées sur 16 départements et Collectivités d’Outre Mer (en comptant Saint-Martin et Saint-Barthélémy). Pourtant c’est dans son département d’élection que le candidat insoumis progresse tendanciellement moins qu’ailleurs (on ne peut pas dire d’ailleurs qu’il y écrase le match, puisqu’il ne rassemble « que » 23,6 % – +1,5 point – des suffrages exprimés, derrière Marine Le Pen 26,2 %)… car il est également intéressant de regarder les progressions de Jean-Luc Mélenchon relativement au poids réels de l’électorat et des votants dans les ensembles concernés :

  • Paris représente 16,4 % des gains alors qu’elle pèse 2,8 % des inscrits et 3 % des votants ;

  • le reste de l’Île-de-France compte 49,9 % des gains pour 12,3 % des inscrits et 12,6 % des votants ;

  • les Antilles et la Guyane représentent 14,8 % des gains pour 1,5 % des inscrits et 0,9 % des votants (!?!) ;

  • plus largement, l’ensemble des DOM et anciens DOM comptent 23,85 % des gains pour 3,1 % des inscrits et 2 % des votants (différentiel de participation terrible entre l’Hexagone et l’Outre Mer) ;

  • le département du Rhône représente 8,25 % des gains pour 2,4 % des inscrits et 2,6 % des votants ;

  • enfin, le département des Bouches-du-Rhône ne compte que 1 % des gains de son député le plus célèbre pour 2,89 % des inscrits et 2,86 % des votants.

La conclusion est limpide : la progression de Jean-Luc Mélenchon se réalise essentiellement au cœur des Métropoles et des quartiers populaires, avec une percée massive et une sur-représentation en Outre Mer. Voilà la dynamique qui conduit Rémi Lefebvre et François Ruffin, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, à la même analyse :

« Jean-Luc Mélenchon parle d’un « pôle populaire » installé grâce à lui dans la vie politique mais la sociologie de ses électeurs reste centrée dans l’électorat de gauche classique, diplômé, urbain, inséré ou déclassé. La géographie électorale le démontre : les zones de force se situent dans les grandes métropoles. Le député des Bouches-du-Rhône a réuni 31 % des suffrages dans les villes de plus de 100 000 habitants, loin devant le chef de l’État (26 %) et Marine Le Pen (16 %).

Certes Jean-Luc Mélenchon a réussi à mobiliser à nouveau les jeunes (35 % des 18-24 ans contre 25 % pour Emmanuel Macron et 17 % pour Marine Le Pen) et a gagné des parts de marché dans les quartiers populaires (Roubaix, Saint-Denis…), en partie grâce à l’évolution stratégique de son discours sur la laïcité et l’islamophobie, [...]. Son électorat s’est comme embourgeoisé depuis 2017 : 25 % des cadres ont voté Mélenchon [...]. » - Rémi Lefebvre, in AOC 13 avril 2022, La tortue, le trou de souris et Sisyphe : Mélenchon et l’élection présidentielle

« On ne peut pas, par une ruse de l’histoire, laisser triompher la logique de « Terra Nova ». Je ne sais pas si vous vous souvenez ? En 2011, ce think tank proche du Parti socialiste recommandait une stratégie « France de demain », avec « 1. Les diplômés. 2. Les jeunes. 3. Les minorités ». » - François Ruffin, Libération, 13 avril 2022

Si l’on en restait à l’analyse des territoires qui lui ont apporté des suffrages supplémentaires, malgré une abstention en hausse, on pourrait considérer que la déduction manque un peu d’arguments. Mais le poids relatif dans la progression de Jean-Luc Mélenchon de ces différents départements est d’autant plus important que dans 54 départements sur 108 (départements, COM, DOM ou ex-TOM), ou même 109 (si on tient compte des Français établis hors de France), le candidat insoumis perd des voix par rapport à 2017 … et l’analyse de ces pertes nous dit quelque chose de plus du mouvement électoral autour du leader populiste de gauche.

tableau présentant la concentration de la progression électorale de Jean-Luc Mélenchon en 2022 par rapport à 2017

QUE NOUS DIT LA CARTE DES DÉPARTEMENTS OÙ JEAN-LUC MÉLENCHON PERD DES VOIX ?

Dans la moitié des territoires de la Républicaine française – la majorité des départements hexagonaux, Jean-Luc Mélenchon recule… Ce n’est pas qu’il y fasse forcément toujours un mauvais score, mais il y perd des suffrages rapport au 1er tour de l’élection présidentielle en avril 2017. Deux explications logiques – sans examen approfondi – viennent immédiatement en tête : 1- alors que l’abstention a progressé de 4,08 points, il faut bien que dans certains territoires le candidat en question perde aussi quelques électeurs ; 2- en 2012 et 2017, le candidat insoumis était soutenu par le Parti Communiste Français (PCF), alors qu’en 2022 il a décidé de présenter la candidature de son secrétaire national, Fabien Roussel, Mélenchon aurait donc logiquement perdu le vote des plus irréductibles communistes.

L’examen attentif de la carte départementale aboutit à une situation beaucoup plus complexe.

Dans certains départements (ou territoires) où l’abstention progresse plus fortement que la moyenne nationale, le candidat Jean-Luc Mélenchon progresse et parfois fortement : les Bouches-du-Rhône (+5,3 points), la Loire-Atlantique (+6 points), le Maine-et-Loire (+6,2 points), l’Oise (+5 points), Paris (+5,5 points), La Réunion (+5 points), ou les territoires de l’Océan Pacifique (même si la faiblesse des suffrages pour le candidat concerné ne les rend pas particulièrement signifiants).

Dans d’autres départements, comme l’Aube, la participation chute fortement (-6,4 points), mais Jean-Luc Mélenchon reste stable (13 voix en moins, -0,06 points) ou en tout cas ne connaît des pertes de voix relativement limitées ; 14 départementaux hexagonaux appartiennent à ce profil. Dans certains départements, la hausse de l’abstention est supérieure à la moyenne nationale, comme l’Aisne (-5,7 points), et Jean-Luc Mélenchon subit une perte de suffrages beaucoup plus forte (- 15,7%, 7679 voix perdues) : c’est le cas de 11 des 54 départements hexagonaux où Jean-Luc Mélenchon perd des voix. Enfin, dans certains départements, la baisse de participation est inférieure à la moyenne nationale et Jean-Luc Mélenchon y connaît des baisses de suffrages également fortes, comme l’Allier où l’abstention grimpe de 2 points mais où le candidat insoumis perd 7298 voix soit 19 % de ses suffrages de 2017 ; c’est le cas de 12 départements hexagonaux. Enfin, dans certains départements, comme les Alpes-de-Haute-Provence, la hausse de l’abstention est inférieure à la moyenne nationale (-3,65 points) et Jean-Luc Mélenchon y limite la casse (-592 voix, soit 2,6 % des suffrages de 2017) ; au moins 4 départements rentrent dans cette catégorie.

On ne peut donc pas tirer d’enseignements sur la baisse du vote Mélenchon dans certains départements hexagonaux au regard de la baisse de participation.

Ces départements répondent à deux caractéristiques distinctes qui parfois se sur-imposent l’une et l’autre. D’une part, Jean-Luc Mélenchon perd des voix dans l’hexagone dans les territoires qui sont à l’écart des principales métropoles : ce sont les territoires ruraux et péri-rubains déclassés ; d’autre part, Jean-Luc Mélenchon perd des voix dans les anciens bassins ouvriers. Ainsi le candidat insoumise perd moins de 5 % de ses suffrages de 2017 dans les départements suivants : les Alpes-de-Haute-Provence, l’Ariège (où il détient les deux sièges de député), l’Aube, le Calvados, la Charente-Maritime, les Côtes-d’Armor, le Gard, le Jura, le Loir-et-Cher, la Haute-Loire, le Lot, la Lozère, la Marne, la Mayenne, la Meurthe-et-Moselle (où est élue Caroline Fiat), le Nord (où sont élus Adrien Quatennens et Ugo Bernalicis), le Puy-de-Dôme, les Pyrénées Atlantiques, la Haute-Saône, la Sarthe et la Vendée – il n’y a pas d’unité particulière dans cette liste, certains départements sont très ancrés à droite, mais on y trouve aussi des territoires avec une tradition de gauche ancienne, des bassins ouvriers, ce qui peut rassembler la plupart d’entre eux c’est d’être à l’écart des grandes aires métropolitaines ; il perd entre 5 et 10 % de ses suffrages de 2017 dans les départements suivants : l’Aude, l’Aveyron, la Charente, la Corrèze, la Corse-du-Sud, la Haute-Corse, la Creuse, l’Eure, le Gers, le Lot-et-Garonne, la Manche, l’Orne, les Pyrénées-Orientales, la Saône-et-Loire, les Deux-Sèvres, le Var, la Haute-Vienne – évidemment tous ces départements n’ont forcément pas une tradition de gauche (le Limousin, si), mais ce n’est pas le cadre de référence ici, puisqu’on mesure la perte de voix par rapport à 2017 ; il perd entre 10 % et 15 % de ses suffrages de 2017 dans les départements suivants : les Ardennes, le Cantal, la Dordogne, les Landes, la Haute-Marne, la Nièvre, la Seine-Maritime (où est élu Sébastien Jumel, soutien communiste de Jean-Luc Mélenchon), la Somme (où est élu François Ruffin), les Vosges – plusieurs d’entre eux ont une tradition de gauche avérée, les bassins industriels y marquent encore certains territoires, ils sont tous concernés par une forme d’éloignement (voire d’isolement) des métropoles régionales ; il perd entre 15 et 20 % de ses suffrages de 2017 dans les départements suivants : l’Aisne, l’Allier, le Cher, l’Indre, la Meuse et les Hautes-Pyrénées (même remarque que dans la catégorie précédente) ; enfin, le Pas-de-Calais se détache des autres avec la perte de 34 583 suffrages par rapport à 2017, un recul de 21,7 % – pas besoin de faire la description de ce département, de son histoire ouvrière et politique !

Examinons maintenant l’hypothèse que le vote pour le candidat communiste Fabien Roussel aurait pénalisé Jean-Luc Mélenchon, soutenu en 2017 par le PCF, notamment dans ces territoires… Il faut noter que les cas où le vote Roussel correspond peu ou prou à la perte de suffrages de Jean-Luc Mélenchon sont rares. Il s’agit d’abord et avant tout du Cher (où Roussel fait moins de voix que Mélenchon n’en perd) et des Vosges – dans ces deux départements, on peut considérer que l’électorat Roussel est repris directement sur l’ancien électorat Mélenchon ; on peut ensuite ajouter les départements où le différentiel entre les votes Mélenchon et Roussel fait moins de 25 % du vote Roussel : il s’agit de l’Allier, la Dordogne et de la Seine-Maritime, la Somme – dans ces quatre départements il existe une tradition communiste, qui a pu jouer sur la redistribution de l’électorat entre 2017 et 2022 ; les départements où ce différentiel se situe entre 25 % et 50 % du vote Roussel sont l’Aude, le Cantal, la Charente, le Gers, les Landes, la Manche, la Nièvre, les Pyrénées-Orientales et les Deux-Sèvres – on voit mal dans ces départements lesquels disposent d’une tradition communiste, ceux qui ont une histoire politique de gauche (l’Aude, les Landes, la Nièvre) versaient plutôt du côté le SFIO, de l’UDSR puis du PS… Dans les 33 autres départements où le vote Roussel dépasse largement les pertes de suffrages de Jean-Luc Mélenchon que le rapatriement des électeurs communistes de 2017 à la maison Roussel ne suffit pas à expliquer son résultat. Il a donc fallu que Fabien Roussel aille chercher des électeurs ailleurs que dans l’électorat de Jean-Luc Mélenchon en 2017 (voire en 2012) – vraisemblablement dans l’ancien électorat socialiste, mais pas seulement, et chez les abstentionnistes malgré la baisse de la participation. Dans certains cas « extrêmes », le différentiel dépasse 90 % : l’Aube (3094 suffrages pour Roussel), la Charente-Maritime (10 002) et le Lot (3559) – dans l’Aube et le Lot, Mélenchon ne perd quasiment pas de voix. Il a donc fallu que Fabien Roussel compte sur bien plus qu’un électorat anciennement acquis à Jean-Luc Mélenchon. On peut s’interroger fortement sur le fait que ces « nouveaux roussellistes » se soient déplacés pour Jean-Luc Mélenchon en cas d’absence de candidature Roussel.

Mais il existe une dernière catégorie de département où Jean-Luc Mélenchon perd des voix, et c’est une mauvaise nouvelle pour toute la gauche ! Dans 7 départements, Fabien Roussel fait moins de voix que Mélenchon n’en perd. Il s’agit de l’Aisne, des Ardennes, du Cher (cité précédemment), de l’Indre, de la Meuse, du Pas-de-Calais et des Hautes-Pyrénées… La plupart de ces départements appartiennent à ce que certains géographes ont « délicatement » baptisé voici quelques décennies « la diagonale du vide »… Le Pas-de-Calais est l’archétype du département « bastion ouvrier » largement déclassé, qui connaît cependant des reconversions industrielles récentes et également des territoires très ruraux. L’Indre, mais surtout le Cher, l’Aisne et les Ardennes peuvent aussi revendiquer un passé ouvrier et industriel, plus ou moins épars – le Cher dispose aussi d’une implantation communiste ancienne ; quant à l’Aisne et aux Ardennes, elles ont fait partie ces dernières décennies de la chronique, souvent dramatique, des effets de la désindustrialisation massive. On a déjà considéré plus haut que le transfert de l’électorat communiste de Mélenchon vers Roussel était probable pour le Cher, l’écart étant faible entre les pertes de voix du candidat insoumis et le résultat du candidat communiste. Ce n’est pas le cas dans les 6 autres départements concernés : le déficit est de 1694 suffrages dans l’Aisne, 882 dans les Ardennes, 504 dans la Meuse, 1160 dans les Hautes-Pyrénées (entre 25 de 30 % dans ces quatre cas), 282 dans l’Indre (7 %)… l’écart monte à 8431 voix (soit plus de 32%) dans le Pas-de-Calais !

Où sont passés ces électeurs Mélenchon du 1er tour de 2017 puisqu’ils ne sont pas partis chez Fabien Roussel suite à la fin d’alliance avec le PCF ? Nous avons vérifié si ces 7 départements faisaient mentir les résultats nationaux concernant le champ social-écologiste, à savoir celui que couvraient Benoît Hamon, Yannick Jadot et Anne Hidalgo… L’affaire est vite entendue, ce champ politique perd encore plus de voix entre 2017 et 2022 : 2173 dans l’Aisne, 2047 dans les Ardennes, 1544 voix dans le Cher, 1596 dans l’Indre, 305 dans la Meuse, 1748 dans les Hautes Pyrénées et … 12 170 dans le Pas-de-Calais ! Ces sept départements sont une bérézina pour la gauche, quelle que soit sa sensibilité.

Quelles sont donc les autres possibilités ?

La plus évidente c’est que l’essentiel des pertes de voix de Jean-Luc Mélenchon et de la gauche se retrouve dans l’abstention puisque celle-ci est en hausse dans le pays de 4,08 points. La progression de l’abstention est légèrement plus forte que la moyenne dans l’Aisne, le Cher, l’Indre, la Meuse et le Pas-de-Calais… mais cette progression est légèrement inférieure à la moyenne nationale dans les Ardennes et les Hautes-Pyrénées… donc l’abstention ne peut expliquer à elle seule cette perte de suffrages. On pourra considérer qu’un partie des électeurs social-écologistes de 2017 ont pu voter directement Emmanuel Macron en 2022, mais il est fortement probable qu’ils aient également rejoint en nombre Jean-Luc Mélenchon, ce qui renforce l’interrogation sur la perte de voix du leader insoumis dans ces sept départements.

Le cas des Hautes-Pyrénées est intéressant : Emmanuel Macron y perd un peu plus de 1000 voix, mais Marine Le Pen en gagne près de 4000 et Jean Lassalle plus de 7800… quand Jean-Luc Mélenchon en perd 5699. Le plus probable dans cette configuration c’est qu’une partie de la gauche dont les électeurs de Mélenchon en 2017 participent fortement à la progression du vote Lassalle dans ce département et dans une moindre mesure à celle du vote Le Pen. Les Hautes-Pyrénées permettent d’interroger les dynamiques politiques dans le Sud-Ouest rural : Lassalle gagne près de 20 000 voix dans les Pyrénées-Atlantiques (Le Pen 15 000), près de 6700 dans le Gers (Le Pen 2600) et près de 14 000 dans les Landes (idem pour Le Pen) : dans ces départements, Jean-Luc Mélenchon perd des voix mais Fabien Roussel y fait beaucoup plus que les pertes du premier, or si, comme cela s’est passé dans tout le pays, des électeurs communistes, socialistes et écologistes ont choisi de « voter utile », l’hypothèse pour expliquer ces baisses de suffrages de Mélenchon c’est un transfert vers un vote Lassalle

Examinons les cas de l’Aisne et des Ardennes… la hausse de l’abstention est soit légèrement au-dessus, soit légèrement en-dessous de la moyenne nationale… en nombre de voix, la progression de Marine Le Pen n’est pas mirobolante, respectivement +1572 et +664. Sans même considérer qu’une partie de l’électorat communiste, socialiste et écologiste ait voté Mélenchon dès le premier tour, on peut faire raisonnablement l’hypothèse que le différentiel négatif de voix des électorats Mélenchon et Roussel s’explique donc d’abord par un transfert assez direct vers Marine Le Pen : -1694 et -882…

Enfin il faut explorer le Pas-de-Calais… Dans ce département longtemps emblématique d’une classe ouvrière organisée, objet d’une concurrence (parfois violente) pendant des décennies entre socialistes et communistes, terrain de chasse désormais du Rassemblement National et terre d’élection de Marine Le Pen où Jean-Luc Mélenchon s’était cassé les dents en 2012, la gauche et Jean-Luc Mélenchon essuient une défaite sévère. Jean-Mélenchon perd 34 583 voix par rapport à 2017 ; Fabien Roussel ne récolte que 26 152 suffrages, il y a donc une perte sèche de 8 431 suffrages par rapport à 2017 ; en additionnant les scores de Yannick Jadot et d’Anne Hidalgo, c’est là aussi une perte plus sèche encore de 12 170 suffrages. La gauche accuse donc un retard cumulé de 20 601 voix. La progression de l’abstention est très légèrement supérieure à la progression nationale moyenne. La perte en voix de Jean-Luc Mélenchon représente près de 22 % de son électorat de 2017. Si on prend en compte que, comme partout en France, des électeurs séduits ou attachés initialement à Roussel, Jadot et Hidalgo sont finalement allés voter dès le 1er tour pour Mélenchon et Macron, on ne peut aboutir qu’à une seule conclusion possible : il y a eu un large transfert d’électorat directement de Jean-Luc Mélenchon vers Marine Le Pen qui gagne elle dans le même temps 19 669 suffrages par rapport à 2017.

Ainsi, dans ces départements et dans quelques autres, percevoir les traces ou ressentir la gifle d’un transfert d’électorat de Jean-Luc Mélenchon vers Jean Lassalle et Marine Le Pen devrait interroger toute la gauche et au premier chef les Insoumis, plutôt que de perdre notre temps à déterminer si Fabien Roussel est responsable de l’élimination du député de Marseille au soir du 1er tour, ce qui n’est nullement démontré par les relevés de terrain.

Cette analyse à l’échelle départementale pourrait s’avérer insuffisante ; or nous avons avec François Ruffin et Rémi Lefebvre postulé l’hypothèse selon laquelle la dynamique Mélenchon était essentiellement portée par les Métropoles et leurs zones d’attraction immédiate et que les anciens bassins ouvriers, les zones périurbaines et rurales plus ou moins « déclassées » s’en détachaient : il faut donc vérifier cette hypothèse à l’échelle des circonscriptions.

Comparaison par départements des votes pour Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel le 10 avril 2022 et pour Jean-Luc Mélenchon au 1er tour de l'élection présidentielle en 2017

L’ANALYSE DES RÉSULTATS PAR CIRCONSCRIPTION CONFIRME LE POSTULAT DE DÉPART

Le titre de cette partie « divulgâche » sans doute son contenu, mais nous ne sommes pas là pour faire un récit et rien n’y est de nature à procurer du plaisir. Nous nous emploierons donc seulement à en faire la démonstration. Nous examinerons les circonscriptions en fonction de deux grandes catégories de départements et territoires que nous avons définis dans la seconde partie : celle où il gagne des voix ; celle où il en perd… il y en a autant d’un côté comme de l’autre. Il y a par contre 244 circonscriptions où Mélenchon perd des suffrages contre 322 où il en gagne (hors Français résidant hors de France). L’idée est de vérifier à l’échelle infra-départementale si l’hypothèse de l’interprétation sociologique et territoriale de l’évolution du vote Mélenchon perçue à l’échelle départementale se vérifie. Nous verrons que c’est le cas, parfois jusqu’à la caricature.

Commençons par les départements où Mélenchon progresse (parfois très fortement) de 2017 à 2022.

Premier constat : il n’y a pas une seule circonscription de Région parisienne ou d’Outre Mer où Mélenchon ne progresserait pas… et c’est la même chose pour le Rhône (Métropole lyonnaise).

Les Bouches-du-Rhône sont un premier exemple de résonance à l’échelle infra-départementale de ce que nous avons décrit à l’échelle départementale. Marseille apporte l’essentiel des suffrages qui permettent à Mélenchon de progresser entre 2017 et 2022. Il perd cependant des voix dans les circonscriptions au passé ouvrier – Aubagne/La Ciotat, Gardanne, Marignane/Vitrolles, Istres/Martigues – ou plus conservatrices – St.-Rémy, Berres/Salons… toutes sont d’ailleurs devenues depuis longtemps le terrain de chasse du Rassemblement national. On peut considérer que Fabien Roussel reprend l’électorat communiste dans la circonscription d’Aubagne, analyse qui ne tient pas pour Berres, Marignanne ou St.-Rémy où il agrège un autre électorat… par contre, Communistes et Insoumis (et toute la gauche) doivent s’inquiéter durablement du décrochage des anciens fiefs communistes de Gardanne et Martigues où toute la gauche perd des voix de manière relativement importante.

Si on regarde les départements qui sont parties prenantes d’une dynamique de métropolisation, on retrouve là-aussi une dichotomie marquée dans le territoire. En Haute-Garonne, la circonscription de St.-Gaudens – la plus rurale – est celle où Mélenchon perd des voix. En Gironde, seules les circonscriptions bordelaises font progresser Mélenchon. En Loire-Atlantique, ce sont les circonscriptions nantaises qui jouent ce rôle, il recule ailleurs. Dans l’Hérault, ce sont les circonscriptions directement dans l’orbite de Montpellier où il gagne des voix ; on ne sera pas étonné qu’il puisse régresser à Béziers (où Robert Ménard a même pu mordre sur l’électorat mélenchoniste de 2017), et les informations de terrain sur les bureaux de vote de Sète indique clairement un basculement d’une partie de l’électorat insoumis de 2017 vers l’abstention et Marine Le Pen.

Dans des départements à effet métropolitain plus réduit, c’est la même chose : en Indre-et-Loire, seules les circonscriptions tourangelles le font progresser ; dans la Loire, les circonscriptions rurales et ouvrières de Roanne et Feurs voient Mélenchon reculer ; en Moselle, c’est Metz qui apporte des suffrages supplémentaires à Jean-Luc Mélenchon, il recule sinon dans le rural et les bassins ouvriers de Florange, Hayange, Thionville et Cattenom, dans celui de Bitche/Rohrbach Roussel ne compense pas les pertes et la gauche recule globalement ; dans le Vaucluse, seule Avignon fait progresser Jean-Luc Mélenchon ; dans la Vienne, ce sont les deux circonscriptions pictaviennes ; en Ille-et-Vilaine, Rennes fait l’essentiel des suffrages supplémentaires, Mélenchon recule dans les circonscriptions de Fougères, Cancale/Dol/St.-Malo. En Alsace, Mélenchon régresse dans les circonscriptions rurales. Là encore, rappelons le, la question n’est pas de savoir si ces territoires sont par nature favorables ou défavorables à la gauche.

Dans les départements plus ruraux, comme l’Yonne et la Côte-d’Or, ce sont les grandes villes du territoire qui rapportent des voix supplémentaires (Sens, Auxerre, Dijon), Mélenchon recule ailleurs. Dans le Morbihan, il recule dans les circonscription plus rurales (Baud, Locminé, Pontivy ; Hennebon, Faouët). Dans le Maine-et-Loire, il recule dans les deux circonscriptions rurales de Saumur, mais aussi dans les Mauges autour de Cholet où se maintient encore une culture ouvrière catholique qui avait largement basculé vers l’engagement à gauche au début des années 19701. Dans le Tarn, Albi soutient la dynamique Mélenchon qui recule dans les circonscriptions de Carmaux (et à Carmaux même où il perd 22 voix) et de Castres et Mazamet… Dans le Tarn-et-Garonne, c’est la circonscription de Montauban (et Montauban même, pourtant dirigée par une droite dure depuis 20 ans, +600 voix) qui lui apporte des gains.

Pour finir le tableau, dans deux départements dans l’orbite de la Région parisienne, l’Oise au nord et l’Eure-et-Loir au sud-ouest, Mélenchon recule dans les circonscriptions les plus rurales (Noyon/Compiègne – très travaillée depuis longtemps par le RN – et Châteaudun/Brou) ou qui ont une histoire ouvrière importante (les deux de Beauvais).

Dans cette énumération/déconstruction, un profil se dessine immanquablement à l’échelle infra-départementale : Jean-Luc Mélenchon progresse – parfois très fortement – dans les territoires métropolitains, d’agglomération centrale, recrutant à la fois un public diplômé et très inséré et un public « quartier populaire » ; il recule quasi-systématiquement dans tous les autres : rural, péri-urbain déclassé, bassins ouvriers. Un seul département semble faire mentir cette logique, c’est le Territoire-de-Belfort, où l’empreinte ouvrière reste importante et où malgré un territoire densément peuplé on ne peut pas parler de métropolisation sauf à considérer l’attraction des aires urbaines de Mulhouse dans le Haut-Rhin et Bâle en Suisse (c’est peut-être l’explication).

Après avoir examiné les départements où Mélenchon engrange des suffrages supplémentaires, retrouve-t-on une logique confirmant notre analyse dans les départements où il en perd ?

Dans ces 54 départements, il n’y a que 33 circonscriptions où le candidat insoumis recueille des suffrages supplémentaires. Nous ferons cependant aussi quelques remarques sur des circonscriptions où il recule comme dans le reste du département en fin de sous partie.

Les circonscriptions où Mélenchon gagne des suffrages supplémentaires dans des départements où il en perd sont presque systématiquement celles où on trouve les villes-centres et leurs banlieues ou quartiers populaires : Troyes dans l’Aube, Caen dans le Calvados, Angoulême en Charente, La Rochelle en Charente-Maritime, Nîmes dans le Gard, Blois dans le Loir-et-Cher, Reims dans la Marne, Laval en Mayenne, Nancy et Vandœuvre en Meurthe-et-Moselle (ce qui signifie que Jean-Luc Mélenchon recule, avec toute la gauche d’ailleurs car il n’est pas même compensé par Fabien Roussel, dans la 6e circonscription ouvrière – Pont-à-Mousson – où est élue Caroline Fiat, députée particulièrement mise en avant par le groupe LFI ces derniers mois), la métropole de Lille-Roubaix-Tourcoing dans le département du Nord, Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme (celle où il en gagne le moins est la circonscription la plus rurale des deux), Rouen en Seine-Maritime, Amiens dans la Somme et Toulon et Fréjus dans le Var…

Quelques pas de côté pour des cas particuliers : dans les Côtes-d’Armor, Mélenchon progresse dans les circonscriptions de Dinan et de Tréguier/Perros-Guirec/Lannion, qui ne sont pas les plus urbaines et les plus à gauche du département mais les plus touristiques, il en perd ailleurs là où existait une tradition de gauche (Tregor, St.-Brieuc) ; dans le Jura c’est la circonscription de St.-Claude qui lui octroie quelques 290 supplémentaires ; dans le Lot, c’est celle de Figeac avec 136 voix de plus ; dans les Pyrénées Atlantiques, dont on parlait plus haut, Mélenchon progresse de 243 voix dans la circonscription de Bayonne/Anglet ; et en Vendée, c’est la circonscription côtière des Sables-d’Olonne qui lui offre 51 voix supplémentaires.

Nous avions dit plus haut que nous dirions quelques mots de circonscriptions où Mélenchon recule pour préciser les dynamiques. Dans le Pas-de-Calais, la gauche recule partout massivement donc et le phénomène de transfert de Mélenchon vers le vote Le Pen et l’abstention se vérifie constamment ; une seule circonscription se distingue, c’est la 2e autour d’Arras, préfecture du département, où Fabien Roussel fait 1005 voix de plus que Jean-Luc Mélenchon n’en perd. Dans l’Aisne, même profil, la seule circonscription qui se distingue est la 5e avec Châteauthierry, où là-aussi les voix engrangées par Roussel sont légèrement supérieures à celles perdues par Mélenchon (290) et qui se situe dans l’orbite de la Région parisienne. En Charente, la circonscription où la gauche régresse fortement dans toutes les sensibilités est celle de Confolens (la plus rurale) où est élu le député divers gauche (ex PS) Jérôme Lambert. Dans le Cher, la gauche régresse partout, seule la première circonscription avec la préfecture de Bourges (là où il a existé une implantation communiste ancienne) permet à Fabien Roussel de rassembler plus de suffrages que Jean-Luc Mélenchon n’en perd (618). En Seine-Maritime, la circonscription de Dieppe (la ville est un point d’appui du PCF mais très régulièrement disputée, le reste de la circonscription est assez rurale), où est élu Sébastien Jumel – député communiste qui soutenait Jean-Luc Mélenchon au premier tour – voit toute la gauche reculer et les voix de Roussel ne compensent pas celles perdues par Mélenchon. Enfin, dans la Somme, la 1ère circonscription où est élu de François Ruffin voit Jean-Luc Mélenchon reculer de plus de 700 voix, mais le différentiel par rapport à 2017 reste positif car Fabien Roussel recueille 1592 suffrages – mais Jadot et Hidalgo perdent 1001 voix par rapport à Hamon) ; c’est une circonscription socialement composite avec les quartiers populaires du nord d’Amiens, les territoires périurbains, peuplés par une ancienne classe ouvrière qui a beaucoup perdu ses dernières décennies, et les territoires ruraux autour d’Abbeville…

Un dernier mot sur la Corse… Jean-Luc Mélenchon y perd plusieurs centaines de voix dans chacune des 4 circonscriptions comparé à 2017. Différents commentateurs ont parlé d’opportunisme politique quand la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon ont, sur fond d’affrontements sur l’Île de Beauté, soutenu les revendications des nationalistes corses pour une autonomie de l’île ; il y a plus vraisemblablement à parier que le candidat et son mouvement sont sincèrement convaincus par leur propre discours sur le dépassement de la République unitaire (ce n’est pas forcément plus rassurant). Opportunisme ou conviction, peu importe, cela n’a pas été suivi. Marine Le Pen y explose ses scores alors que son père ne pouvait pas y mettre les pieds. Et Fabien Roussel fait plus que combler les pertes de voix de Mélenchon sur ce territoire sur une ligne qui est à l’opposé de la complaisance avec l’autonomisme.

Ainsi à l’intérieur même des départements où le nombre de voix en faveur de Mélenchon recule (et sauf erreur, il n’existe pas de département où la somme des voix de Yannick Jadot et Anne Hidalgo dépasserait les suffrages obtenus par Benoît Hamon), le phénomène que nous voyions à l’échelle de l’hexagone se reproduit : Les centres-villes, les agglomérations, les petites métropoles, avec leur classes moyennes supérieures et leurs quartiers populaires font progresser le candidat insoumis ; il régresse dans les territoires ruraux, le périurbain déclassé et les anciens bassins ouvriers. À nouveau, à regarder de plus près, on ne voit pas de lien direct entre le vote Roussel et l’incapacité de Jean-Luc Mélenchon à se qualifier pour le second tour… Dans la plupart des cas, le vote Fabien Roussel est allé chercher au-delà des suffrages perdus par le leader populiste, des électeurs qui n’auraient sans doute pas voté pour ce dernier – en tout cas, affirmer une certitude en la matière est relativement présomptueux.

1Lire Les mauvaises gens, Étienne Davodeau, 2005, roman graphique publié aux éditions Delcourt

Analyse des pertes départementales de Jean-Luc Mélenchon en 2022 par circonscription

Analyse des pertes par circonscription de Jean-Luc Mélenchon dans les départements où ils progressent en 2022

La gauche est dans une impasse… Elle paye son incapacité à vouloir travailler un projet alternatif commun pendant 5 ans, alors qu’objectivement le bilan du mandat d’Emmanuel Macron démontre une brutalité rarement vue à l’égard des catégories populaires et a mis en exergue les faillites du néolibéralisme qu’il promeut à l’occasion de la crise sanitaire. Il y avait la place pour une contre-offensive de gauche, d’autant plus nécessaire qu’il n’est jamais inscrit que la colère sociale débouche forcément vers un renforcement de la gauche quand celle-ci est atone ou divisée – on le voit depuis des années, et en 2022 plus encore, l’extrême droite connaît une progression continue.

Ce n’est pas l’objet de cette note que de faire le compte des responsabilités dans l’absence de travail et de rassemblement ; il a été assez dit qu’en 2017 une opportunité historique avait existé pour recomposer la gauche et qu’elle n’avait pas été saisie, bien au contraire. Les querelles de leadership et d’hégémonies concurrentes se sont ensuite succédées les unes aux autres, avec le résultat que l’on connaît. Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ont fait le pari qu’ils imposeraient leur force au reste de la gauche et que dans un « trou de souris », ils réussiraient avec leur stratégie d’« union populaire » à faire mentir les faits et les pronostics : ils y sont presque arrivés.

Mais faute d’une véritable démarche de rassemblement, ils ont échoué à 421 000 voix près… Il ne sert à rien de vouloir faire porter à la candidature de Fabien Roussel la responsabilité de cet échec, d’abord parce que cette affirmation est pour une part indémontrable et que, dans de larges parties du territoire et de la société, le candidat communiste est allé chercher des électeurs qui n’auraient sans doute pas voté pour Jean-Luc Mélenchon, ce que laissent percevoir les éléments chiffrés de cette note. L’aspiration au « vote utile » ou au « vote efficace » a été si forte dans les trois dernières semaines de cette « drôle de campagne » que nous connaissons tous nombre d’électeurs de Fabien Roussel, Yannick Jadot ou Anne Hidalgo, voire des militants qui ont fait campagne pour ces derniers, qui ont finalement glissé un bulletin Jean-Luc Mélenchon dans l’urne le 10 avril. Les Insoumis – au regard de la hausse de l’abstention – pas plus que les autres candidats n’ont réussi à convaincre suffisamment d’abstentionnistes de quitter leur Aventin pour renverser la tendance ; avec une baisse de 4 points de participation, dans les grandes masses c’est l’inverse qui s’est passé : des électeurs de gauche du 1er tour de 2017 se sont parfois abstenus 2022. Il serait plus intéressant de comprendre les raisons pour laquelle dans certains territoires la gauche recule alors qu’elle gagne nationalement plus de 1,4 millions d’électeurs par rapport à 2017 ; de comprendre pourquoi certains électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont rejoint cette année Marine Le Pen ou Jean Lassalle…

Avec 21,95 % et 7 712 520, le député de Marseille – dont c’était a priori le dernier combat présidentiel – semble cependant avoir atteint un nouveau plafond de verre. C’est peut-être dû à sa personnalité et un nouveau candidat issu de son camp pourrait le briser… mais il existe quelques doutes raisonnables sur le fait qu’une personnalité moins connue que lui arrive dans 5 ans à faire mieux. Il y a une interrogation sur la stratégie mise en œuvre. Et cette stratégie « populiste de gauche » interroge aussi sur la cohésion de l’électorat récolté le 10 avril 2022. Rémi Lefebvre le 13 avril dernier insistait le manque de cohérence de cet électorat : « l’électorat de l’Union populaire est celui où le vote « de conviction » (50 %) est le plus faible dans les enquêtes à la sortie des urnes. La dynamique de 2022 ne s’est pas nourrie des abstentionnistes (sauf les jeunes) mais du siphonnage des électorats de gauche rivaux […]. Jean-Luc Mélenchon parle d’un « pôle populaire » installé grâce à lui dans la vie politique mais la sociologie de ses électeurs reste centrée dans l’électorat de gauche classique, diplômé, urbain, inséré ou déclassé. » Dans son dernier essai, Faut-il désespérer de la gauche ? (2022), il rappelle que les responsables insoumis se sont mépris sur la nature de leur électorat plus classiquement de gauche qu’il n’y paraissait… Cet électorat de gauche classique attaché à la redistribution et moralement à la « solidarité » mais devenu aussi méfiant à l’égard des catégories populaires (qu’elles soient des « quartiers populaires » ou de la « classe ouvrière ») se retrouve aujourd’hui empilé avec une forme de révolte des Outre Mer devant le mépris du gouvernement central, dont il ne comprend rien, et avec les jeunes et adultes des quartiers populaires pour qui la redistribution n’est plus une évidence après que la gauche a failli à plusieurs reprises à leurs yeux et qui a cru souvent au mirage de l’auto-entreprenariat, ce sont des « déçus de Macron » qui sont par ailleurs mus par un ressentiment légitime contre les discriminations qu’ils vivent immédiatement au quotidien. Cet électorat composite semble se distinguer de plus en plus d’une autre partie du pays avec des classes populaires qui se sentent exclues du système. François Ruffin le dit assez bien dans Libération en parlant de ces départements que nous avons décrits où Mélenchon perd du terrain : « C’est là qu’on perd. Au-delà même de la gauche, ça pose une question sur l’unité du pays, ces fractures politico-géographiques : comment on vit ensemble ? Comment on fait nation, sans se déchirer ? »

Le recul de Jean-Luc Mélenchon dans ces territoires, et donc in fine l’absence de la gauche au second tour de l’élection présidentielle, découle ainsi sans doute de sa stratégie « populiste de gauche » et de son pari de prendre en charge une partie de la radicalité et non toute la radicalité qui s’exprime dans le pays. Il fallait incarner une fonction tribunitienne également pour transformer la colère des « fâchés pas fachos », mais les approximations et ambiguïtés de 2021 n’y ont sans doute pas contribué. Ainsi par une « ruse de l’histoire », la « logique Terra Nova » triomphe en faveur du vote Mélenchon quand elle avait été pensée pour trouver un électorat de rechange à une gauche déjà sociale-libérale et déjà abandonnée par les classes populaires qui voulait solder les comptes.

Le quinquennat qui va s’ouvrir devra, s’il n’est pas trop tard, permettre de faire le tri dans l’échec d’une hégémonie culturelle du « populisme de gauche » mais qui vient de donner les moyens au mouvement qui la portait d’écraser (au sens propre du terme) politiquement tous ses partenaires/concurrents. Elle devra aussi régler la manière dont une force de transformation sociale qui veut conquérir et exercer le pouvoir pourra à la fois prendre en charge toutes les radicalités sociales qui s’expriment, créer du commun en réduisant les fractures territoriales et apaiser la communauté nationale.

Frédéric Faravel,
21 avril 2022

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9 mai 2022 1 09 /05 /mai /2022 08:40

J'ai rédigé hier pour la Gauche Républicaine et Socialiste l'article publié ci-dessous sur l'événement historique que représente la victoire électorale du Sinn Féin en Irlande du Nord lors du scrutin pour le renouvellement du parlement provincial qui s'est tenu le jeudi 5 mai 2022. C'est Michelle O'Neill, cheffe du parti républicaine dans la province, qui devrait donc logiquement être appelée au poste de première ministre dans les semaines qui viennent. Je tiens à adresser chaleureusement mes plus sincères félicitations à Michelle O'Neill, à la président du Sinn Féin, Mary-Lou Mc Donald, à Declan Kerney (le secrétaire général du parti que j'avais rencontré et avec qui j'avais discuté en 2015 place du Colonel-Fabien) et à tous nos camarades républicains irlandais pour cette victoire qui je l'espère marquera une nouvelle étape dans l'apaisement civil et politique du nord de l'île et vers la réunification de l'Irlande.

Frédéric FARAVEL
Conseiller municipal et communautaire Gauche Républicaine et Socialiste de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes et républicains"
Coordinateur national des pôles thématiques de la GRS

Le 5 mai 1981, Bobby Sands, 27 ans, décédait dans les H-Blocks de Long Kesh des suites d’une seconde grève de la faim qui avait duré 66 jours. Le jeune cadre de l’IRA avait été élu membre du Parlement britannique le 9 avril 1981 ; prétextant ne pas vouloir négocier avec des « terroristes » Margareth Thatcher l’avait laissé mourir en prison… Plusieurs autres prisonniers irlandais connurent dans les semaines qui suivirent le même destin. Plus de 100 000 personnes assistèrent aux funérailles de Bobby, les plus importantes funérailles républicaines depuis celles deLe Terence MacSwiney en 1920, poète et auteur dramatique, maire Sinn Féin de Cork et membre du Parlement irlandais, lui-même mort d’une grève de la faim dans les prisons anglaises.

Le jeudi 5 mai 2022, les citoyens d’Irlande du Nord votaient pour renouveler leur parlement provincial : l’enjeu était inscrit depuis plusieurs années et prédit par les enquêtes d’opinion. Il s’agissait de déterminer si pour la première fois de l’histoire de la province britannique le poste de premier ministre allait revenir à un dirigeant non unioniste. Les résultats issus du dépouillement bouclé samedi soir indiquent très nettement que les Unionistes ont perdu l’élection et que Michelle O’Neill, vice présidente de Sinn Féin et cheffe du parti parti républicain dans la province britannique, devrait devenir la prochaine première ministre. 101 ans et deux jours1 exactement après la création de la province autonome d’Irlande du Nord, et d’un régime d’apartheid fait pour les Unionistes et qui devaient leur assurer de toujours conserver le pouvoir, le renversement est total : les citoyens d’Irlande du Nord vont peut-être avoir enfin une « première ministre pour tous et chacun ».

D’aucuns pourraient penser que cette introduction est chargée de pathos, pourtant c’est bien une des dimensions du processus qu’il est nécessaire de maîtriser pour comprendre la portée symbolique de ce scrutin et de ses conséquences.

Le contexte de l’élection

Depuis 2007, le gouvernement provincial d’Irlande du Nord est dirigé conjointement par le Democratic Unionist Party (DUP) – organisation du Révérend ultra-conservateur Ian Paisley (1926-2014) – et le Sinn Féin… Les statuts provinciaux hérités du Good Friday Agreement de 1998 obligent à un cabinet de coalition entre les principaux partis de la région : le Social Democratic and Labour Party (SDLP – nationalistes irlandais modérés) et l’Ulster Unionist Party (UUP – conservateurs unionistes), qui ont dirigé le premier gouvernement après les accords de Paix en 1998, y sont associés tout comme plus récemment l’Alliance Party, parti libéral qui se veut a-confessionnel (et théoriquement indifférent au débat sur la réunification de l’Irlande).

Les difficultés à constituer un tel gouvernement de coalition ont déjà conduit à plusieurs reprises le gouvernement britannique à suspendre les institutions autonomes de la province – notamment de 2002 à 2007 (après des affaires d’espionnage sur fond de déclassements des stocks d’armes des différents groupes paramilitaires de la guerre civile), de 2017 à 2020 (sur fond de conséquences du Brexit et d’affaires de corruptions impliquant directement la cheffe du DUP, Arlene Foster, et son entourage). Pourtant pendant près de 10 ans, les pires « frères ennemis » ont gouverné ensemble ce pays pour assurer sa transition pacifique, l’apprentissage d’une cohabitation entre communautés qui se sont affrontées et son développement économiques : si on avait dit à Tony Blair (dont il faudra reconnaître l’intelligence dans la conclusion de l’accord de paix) en 1998, que le Révérend Paisley, principal instigateur des milices paramilitaires loyalistes, et Martin McGuinness, chef opérationnel de l’IRA pendant la plus partie de la guerre civile, dirigeraient ensemble la province durant plusieurs années sans véritable drame, il nous aurait sans doute ri au nez.

Le passage de relais entre les générations a paradoxalement tendu les relations politiques : Michelle O’Neill a tenu la dragée haute à Arlene Foster, dont le parti (fondé en opposition aux dirigeants traditionnels de la province (UUP) jugés trop mous avec les Irlandais) se raidit de plus en plus dans la perspective de perdre un jour ou l’autre le pouvoir. Le DUP et Arlene Foster sont les principaux responsables du blocage de 2017-2020 : indispensables à la Chambre des Communes à Theresa May, qui ne devait qu’aux unionistes d’avoir une majorité parlementaire, ils ont de fait empêché l’émergence d’un compromis sur l’Irlande du Nord avec l’Union Européenne – le Good Friday Agreement impliquait de ne pas recréer de frontière entre les deux parties de l’Irlande – et retarder la mise en œuvre pratique du Brexit, faisant du mandat de Theresa May un véritable chemin de croix. Cela explique pourquoi le cabinet de la Première ministre britannique a été si conciliant avec le DUP, pourtant accusé de graves faits de corruption, qui lui avait coûté la confiance tous ses partenaires politiques en Irlande – et pas seulement du Sinn Féin comme la presse le répète ad nauseam. Le remplacement forcé de May par Boris Johnson, puis la victoire électorale sans appel des conservateurs en 2019 sous la conduite du nouveau premier ministre britannique, a paradoxalement perdu le DUP et Arlene Foster : l’accord imposé par Dublin et Londres pour restaurer l’autonomie provinciale en janvier 2020 était une forme de désaveu de la patronne du DUP, qui conservait néanmoins sont poste de Premier ministre.

Nous avions traité dans un précédent article les conséquences pratiques du Brexit et du « protocole nord-irlandais » entre l’Union Européenne et le Royaume Uni. Début avril 2021, quelques mois après l'officialisation du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, des émeutes éclatent dans des zones loyalistes à majorité protestante, où les conséquences du « Brexit » ont nourri un sentiment de trahison (sans oublier quelques liens avec le trafic de drogue qui crée une tension logique entre certains chefs paramilitaires loyalistes « économiquement reconvertis » et le « Service de police de l’Irlande du Nord »). En effet, le « protocole nord-irlandais » prévu par l'accord commercial avec l'UE négocié par le Royaume-Uni et l'Union européenne a rétabli des contrôles douaniers au niveau des ports en mer d'Irlande et non dans les terres, entre le marché britannique et le marché intérieur européen dont l'Irlande du Nord reste membre pour éviter le retour d'une frontière terrestre en Irlande. Cette nouvelle frontière douanière mécontente les loyalistes qui se sentent « éloignés » voire « isolés » du reste du Royaume-Uni. Le 28 avril, Arlene Foster, annonça donc sa démission, victime d'une fronde dans son parti liée à sa gestion du Brexit et de ses conséquences sur l’Irlande du Nord comme « nation constitutive britannique ». Elle était en outre critiquée par les durs du DUP pour s'être abstenue, plutôt que d’avoir voté contre, lors du vote d’une motion appelant à interdire les thérapies de conversion pour homosexuels. Arlene Foster n'en demeure pas moins conservatrice sur les sujets de société, étant opposée à l'avortement et au mariage homosexuel, que l'Irlande du Nord venait d'autoriser. Elle a cependant été dépassée par la base du parti, où les fondamentalistes évangélistes sont influents.

Edwin Poots – ultra-conservateur et protestant fondamentaliste – lui succédait à la tête du DUP le 28 mai 2021. Arlene Foster démissionnait formellement du gouvernement le 14 juin 2021, transmettant le flambeau à Paul Givan (DUP) comme premier ministre. Ce dernier démissionnait en février dernier pour marquer son désaccord avec les négociations sur la prorogation du « protocole nord-irlandais ».

On imagine bien que les élections provinciales étaient particulièrement attendues et que l’équilibre issu du précédent scrutin était devenu intenable. Les Irlandais du Nord avaient hâte de retourner aux urnes et il était bien question dans toutes les enquêtes d’opinion de retrouver une stabilité politique en mettant fin au leadership du DUP.

Une victoire sans appel du Sinn Féin

L’Irlande du Nord utilise depuis 20 ans le même mode de scrutin pour les élections provinciales que celui utilisé depuis 1922 en République d’Irlande : le scrutin à vote unique transférable, une forme de scrutin uninominal à un tour, couplé à un classement des préférences de chaque électeurs, qui permet de transférer au second choix les suffrages, une fois que le candidat choisi en premier a été élu ; cela apporte à ce mode de scrutin un effet proportionnel non négligeable pour élire les 90 parlementaires. Cela implique cependant un dépouillement extrêmement long : les Nord-Irlandais ont voté jeudi, le dépouillement s’est étalé dans des bureaux centralisés par circonscription tout au long des journées de vendredi et samedi.

L’autre conséquence plus politique, c’est que la victoire nette de Sinn Féin apparaît amoindrie. Alors que le parti républicain irlandais a nettement progressé en suffrages – 29 % (+1,1 point, +26 000 voix) –, il ne gagne aucun siège supplémentaire par rapport aux 27 qu’ils détenaient déjà, ses candidats ont juste été annoncés élus beaucoup plus rapidement qu’en 2017. Sinn Féin devient bien le premier parti de la province avec près de 8 points et 66 000 voix d’avance sur les suivants, le DUP qui a été forcé de reconnaître rapidement sa défaite – ils passent de 29 % à 21,3 % des voix et de 28 à 25 sièges. L’autre grand vainqueur du scrutin est l’Alliance Party qui bondit de 44 000 voix passant de 9 à 13,5 % et de 8 à 17 sièges.

Les grands perdants du scrutin sont le vieux UUP qui perd deux points et un siège, le SDLP qui perd 3 points et 4 sièges (il est probable que nombres d’électeurs irlandais modérés ce soient portés directement sur les Républicains) et les écologistes qui perdent leurs deux sièges. Une scission plus conservatrice du DUP, la Voix Unioniste Traditionnelle, passe par contre de 2,5 à 7,6 % (gagnés directement sur le DUP) mais ne remporte pas plus que le siège unique dont elle disposait. Aontú, une scission anti-mariage gay et anti-avortement du Sinn Féin, se présentait pour la première fois et ne remporte que 1,48 % des voix et aucun siège.

En toute logique, c’est donc Michelle O’Neill qui devrait devenir première ministre de l’Irlande du Nord qui a toujours été dirigée par un Unioniste. Elle veut être une « Première ministre pour tous et chacun », sous entendant un peu perfidement que ses prédécesseurs (et partenaires) tentaient malgré les coalitions légales de continuer à privilégier les loyalistes plutôt que l’intérêt général. Elle aura pour difficile tâche de trouver un accord de coalition dans un cadre institutionnel contraint, avec le DUP, l’Alliance, l’UUP et le SDLP… Les pro-européens et les plus conciliants avec l’Irlande peuvent cependant compter avec le Sinn Féin sur 52 sièges et donc une domination réelle dans le cabinet (les mêmes forces avec les verts n’en comptaient que 49).

Protocole nord-irlandais et réunification

Les membres de l'assemblée qui sont élus devront voter sur le maintien des parties du protocole qui créent la frontière commerciale intérieure du Royaume-Uni. Ce vote doit avoir lieu avant la fin de 2024. Le vote sera décidé à la majorité simple plutôt que d'exiger le consentement intercommunautaire. C’est une grande nouveauté et cela rend les Unionistes minoritaires par avance, les marginalisant politiquement.

Les partis unionistes s'opposent au protocole tandis que les républicains, les nationalistes et le parti de l'Alliance considèrent qu'il s'agit d'un compromis acceptable pour atténuer certains des impacts du Brexit.

Le protocole d'Irlande du Nord a jeté une ombre sur la campagne électorale suite à la démission du premier ministre Paul Givan en février. La décision du DUP visait à forcer le gouvernement britannique à agir sur les accords commerciaux post-Brexit en exerçant une forme de chantage sur Boris Johnson pour qu’il mette fin à la frontière maritime entre la province et le reste du Royaume-Uni.

Le secrétaire d'Irlande du Nord, Brandon Lewis, a indiqué que le gouvernement ne présentera pas de législation relative au protocole dans le discours de la reine la semaine prochaine.

Le Sinn Féin se retrouve désormais le premier parti dans les deux Irlandes avec 24,53 % en République et le groupe parlementaire le plus important au Dáil (égalité avec les conservateurs du Fianna Fail) et 29 % en Irlande du Nord. La Présidente du Sinn Féin Mary Lou McDonald a bien l’intention de profiter de la désignation de sa vice présidente comme première ministre d’Irlande du Nord pour négocier un référendum sur la réunification de l’Île dans les deux ans.

En 24 ans, Sinn Féin qui était inexistant politiquement en République est devenu le premier parti et n’a été écarté du pouvoir que par une coalition de circonstance entre les deux partis de droite traditionnels du sud, « frères ennemis » de la politique irlandaise. Les Républicains disposent aujourd’hui d’atouts majeurs pour peser et obtenir enfin une Irlande unie, qui serait somme toute un cadre de vie bien plus simple pour tous les Irlandais, d’autant que la République d’Irlande est sortie – au cours de la même période où Sinn Féin s’y réimplantait progressivement – d’un conservatisme social d’un autre âge en légalisant le divorce, l’avortement et le mariage gay (adopté avec plus de calme qu’en France).

Sinn Féin ne dispose pas seulement de son poids incontournable, mais aussi d’alliés avec le SDLP ou d’interlocuteur compréhensifs comme l’Alliance Party, et pourrait bénéficier de la faiblesse des gouvernements irlandais et britanniques : la coalition au pouvoir à Dublin l’est par défaut avec pour seul viatique d’écarter Sinn Féin du pouvoir ; Boris Johnson et les Tories britanniques sont en mauvaises postures avec le Party Gate et leurs défaites massives aux élections locales qui se déroulaient en Grande Bretagne le même jour que celles pour l’assemblée parlementaire d’Irlande du Nord.

1De fait, la province du Nord a vu reconnu son statut d’autonomie par le gouvernement britannique avant qu’une indépendance relative ne soit accordée au reste de l’Île avec la signature du traité de décembre 1921.

Irlande du Nord : Une première ministre pour tous et pour la réunification ?
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